Que faire si l’on endommage votre marque?

Kanye West - Le fait qu'adidas ait très rapidement fait amende honorable après les propos déplacés du rappeur a énormément aidé la marque.

Un vieux cliché marketing veut que même une mauvaise réclame reste une publicité pour votre marque. Mais que se passe-t-il si un influenceur ou un CEO influent est pris en flagrant délit de comportement peu recommandable ?

“Je suis encore un peu endormi ce soir mais quand je me réveillerai, je me la joue ‘death con 3’ contre les Juifs.” Ce n’est pas immédiatement ce que l’on a envie de lire sur ce qui s’appelait alors encore Twitter quand on dirige une marque de chaussures allemande. Pourtant, c’est ce qui est arrivé à adidas à l’automne 2022. Les messages antisémites provenaient de l’artiste Kanye West – officiellement “Ye” – associé à l’équipementier depuis 2013 avec sa ligne de chaussures à succès Yeezy.

Les modèles Yeezy ont rapporté à adidas environ 2 milliards de dollars par an, dont un dixième a été reversé au rappeur. A la suite des commentaires de Kanye West, le chausseur a immédiatement mis fin à son partenariat et annoncé qu’il s’attendait à une baisse de ses bénéfices d’un quart de milliard de dollars. Mais c’est surtout l’atteinte à sa réputation qui a inquiété la firme allemande. Kanye West n’était pas un influenceur occasionnel qui faisait de temps à autre la promotion d’une nouvelle paire de chaussures, mais le visage de la marque phare de l’équipementier.

“Le fait qu’adidas ait très rapidement fait amende honorable a énormément aidé la marque”, explique Tom Van den Bergh, CEO de l’agence de publicité RCA et auteur du livre Beyond Brands. “La marque a fait son mea culpa, a sacrifié Kanye et a pu aller de l’avant. Mais ce qui est arrivé donne matière à réflexion. Les marques ne doivent pas se laisser aveugler par le charisme ou le nombre de followers d’un influenceur. Les spécialistes du marketing devraient également réfléchir très sérieusement aux valeurs qu’ils transfèrent d’une célébrité à une marque. Si les choses tournent mal avec un influenceur, il se peut que la marque n’en ait pas été consciente.”

Les marques tribales

Fons Van Dyck, directeur général de Think BBDO et auteur, entre autres, de The Immortal Enterprise, ne voit pas non plus de problèmes pour adidas à moyen terme. “Beaucoup de choses dépendent de la force avec laquelle une marque est modelée par la personne discréditée. Souvent, la culture des entreprises liées à une forte personnalité n’est pas façonnée par cette personne. Kanye West n’a pas façonné la culture d’adidas, contrairement à Elon Musk avec Tesla ou Steve Jobs avec Apple, par exemple. Plus près de nous, Conner Rousseau fut longtemps une marque plus forte que Vooruit. Rousseau a créé ce parti à son image. Maintenant qu’il a démissionné, on pourra vérifier la vraie force de la marque Vooruit.”

Pour de telles marques, le défi est plus grand lorsque le visage disparaît ou même meurt, comme Steve Jobs chez Apple. Mais si cette personne fait un faux pas, la réaction est souvent différente de celle d’adidas, ce qui semble quelque peu paradoxal, note Fons Van Dyck. “Lorsque ce type de leader a des problèmes, le cercle se referme, comme dans une secte. C’est pourquoi nous parlons parfois de marques tribales. La marque constitue une ligne de défense, comme nous l’avons vu avec Vooruit. Rousseau a traversé deux crises au cours de l’année écoulée, l’une à cause d’une mauvaise conduite présumée, l’autre à cause de déclarations racistes. Mais dans ces deux cas, le parti a serré les rangs.”

Pour expliquer cette réaction tribale, Fons Van Dyck évoque une relation de dépendance forte, parfois chargée d’émotion, entre une marque et sa figure de proue. “La biographie d’Elon Musk par Walter Isaacson l’expose très clairement. Ce type de leader a des disciples aveugles qui achètent tout et sont prêts à faire n’importe quoi pour leur idole. Ce lien ne peut être expliqué de manière rationnelle.”

Démarcation très fine

Pour adidas, les dégâts après la saga Kanye n’ont pas été trop importants, tandis que Vooruit doit encore voir dans quelle mesure les incidents puis la démission de Conner Rousseau affecteront les résultats des élections de 2024.

Les marketeurs doi­vent réfléchir très sérieusement aux valeurs qu’ils transfèrent d’une célébrité à une marque. ” – Tom Van den Bergh (RCA)

Mais toutes les marques n’ont pas le luxe d’avoir un leader suivi avec admiration, ou un influenceur qui peut être mis de côté relativement facilement après un incident. “Je pense en particulier aux nombreuses entreprises dont la marque est fortement liée à son père fondateur, explique Fons Van Dyck. De Ford, Renault et Citroën à Dior, Yves Saint Laurent et Louis Vuitton… La coutume de donner aux entreprises le nom de leur fondateur remonte à la fin du 19e siècle. Elle devient un enjeu de réputation lorsque cette personne prend des positions sociales. Quand la figure de proue s’exprime-t-elle au nom de l’entreprise et quand parle-t-elle en son nom propre ? C’est une ligne de démarcation très étroite. Nous constatons une nette évolution à cet égard en Belgique ces dernières années, grâce à des personnes comme Jef Colruyt, qui ont pris des positions claires en matière de développement durable. Les chefs d’entreprise qui agissent de la sorte doivent réfléchir attentivement à la manière dont ils maintiennent l’équilibre lorsqu’ils sortent de la zone de confort de leur entreprise.”

Fons Van Dyck fait ici référence au Néerlandais Paul Polman, CEO d’Unilever de 2009 à 2019. L’homme a mené une campagne intensive sur le développement durable. “Il a parcouru le monde pour promouvoir sa vision et a pris des positions tranchées. Mais pendant ce temps, les résultats d’Unilever sont restés à la traîne. Dans une telle période, il est bon qu’il y ait un conseil d’administration aux côtés du CEO qui puisse le lui faire remarquer.”

Un conseil d’administration puissant peut aider les entreprises à encadrer correctement un dirigeant influent, mais pour Tom Van den Bergh (RCA), cette ligne doit être étendue à l’ensemble de l’entreprise. “Le risque d’atteinte à la marque par un influenceur est plus faible lorsque l’on crée une entreprise sans la moindre faille, explique le CEO. Cela signifie : une entreprise avec une marque et une histoire claires, incarnée par une figure de leadership forte et portée par une entreprise bien gérée. Donner un sens clair à votre marque est la meilleure garantie que vous puissiez vous donner. C’est une base solide qui vous permettra d’aller de l’avant si quelque chose de négatif se produit.” Tom Van den Bergh fait référence à la manière avec laquelle un homme comme Pieter Zwart a incarné l’ascension de Coolblue.

Le cas Wrexham

Mais il voit aussi des exemples plus surprenants. Il y a deux ans, les acteurs hollywoodiens Ryan Reynolds et Rob McElhenney rachetaient le club de football britannique de Wrexham. Depuis, le duo a sorti le troisième club le plus ancien du monde du tréfond des classements du football britannique, lui construisant une base solide et médiatique grâce à leur notoriété. TikTok est devenu le sponsor du maillot, le club a fait l’objet d’une série documentaire, Welcome to Wrexham, et intégré le célèbre jeu Fifa. “C’est un exemple de la manière dont on peut transformer l’attention que l’on reçoit en une base solide”, atteste Tom Van den Bergh.

Un dernier moyen, moins conseillé, pour une marque d’anticiper l’attention négative d’un influenceur est le réflexe de contrôle. Calvin Klein et Prada, entre autres, ont déjà fait appel aux services de Lil Miquela, une influenceuse générée par ordinateur et disposant d’une vaste base de fans sur les médias sociaux. Cela réduit considérablement le risque d’incidents, mais la question de savoir si l’on peut bâtir une entreprise “sans faille” sur cette base est tout autre. Quitte à prendre plus de risques, ne vaut-il pas mieux le faire avec un leader en chair et en os ?

Wouter Temmerman

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