Que deviennent les supermarchés alternatifs?
En 2017, le premier supermarché coopératif et participatif de Belgique ouvrait ses portes à Bruxelles. Son nom? Bees Coop. Quatre ans plus tard, qu’est devenue cette initiative citoyenne, et quel a été son impact?
En juin 2017, nous avions consacré un long article au lancement de Bees Coop, un supermarché dont les clients sont également les propriétaires et les employés. Pour y avoir accès, il faut souscrire au moins une part de la coopérative et y travailler au moins 2h45 par mois. C’est le côté “participatif”. A l’époque, il s’agissait de la première initiative du genre dans notre pays et de la seconde en Europe. Le magasin était encore dans une phase de test en situation réelle et s’apprêtait à ouvrir ses portes dans sa configuration définitive. Comment se sont passées ces quatre premières années de fonctionnement?
“Depuis le lancement de notre projet, nous sommes toujours parvenus à atteindre les objectifs chiffrés que nous nous sommes fixés, que ce soit le crowfunding des débuts, le nombre de coopérateurs, le chiffre d’affaires, etc. Nous sommes donc plutôt satisfaits”, explique Geneviève Boxus, chargée de communication chez Bees Coop. Le supermarché compte aujourd’hui environ 1.500 coopérateurs actifs et huit travailleurs salariés. Il affiche un chiffre d’affaires annuel de quatre millions d’euros et propose à la vente environ 3.500 références produits (contre seulement 1.400 au moment de son ouverture) achetées auprès d’une centaine de fournisseurs. “Et cela fait longtemps que le seuil de rentabilité a été franchi”, se félicite la responsable com’, qui ajoute que la coopérative prépare un second remboursement anticipé sur l’emprunt d’un million d’euros contracté il y a cinq ans pour faire grandir le projet. Pour en arriver là, le supermarché n’a pas eu besoin de modifier en cours de route sa politique de prix: une marge unique de 20% sur tous les produits secs et de 25% sur les fruits, les légumes et le vrac, postes pour lesquels les pertes sont plus importantes.
Notre public actuel est principalement constitué d’universitaires blancs. A terme, notre objectif est d’avoir une fréquentation qui reflète davantage Bruxelles.” Geneviève Boxus (Bees Coop)
“Nous nous sommes fixé des objectifs antagonistes”
Les prochaines étapes? “A court terme, l’objectif est d’achever l’agrandissement du magasin d’ici la fin de l’année. Nous réalisons des aménagements afin d’installer des frigos et des congélateurs supplémentaires. Cela nous permettra de disposer d’un véritable rayon surgelés et d’étendre certaines gammes de produits frais, notamment végétariens.”
A plus longue échéance, Bees Coop entend également poursuivre un travail de particulièrement longue haleine: favoriser la mixité sociale au sein de la coopérative. Un challenge qui comporte plusieurs axes. “Nous avions un objectif de mixité au niveau des âges, explique Geneviève Boxus. Au commencement, nous avions surtout des 20-30 ans et des 60-70 ans, mais entre-temps ce gap a pu être comblé.” En parallèle, le supermarché veut aussi tendre vers une plus grande mixité économique. “Dès le début, nous savions que nous nous étions fixé des objectifs antagonistes: proposer des produits de haute qualité, bios, locaux, équitables… tout en gardant des prix accessibles au plus grand nombre. Or, beaucoup de gens ne parviennent toujours pas à effectuer l’ensemble de leurs courses dans notre magasin pour des raisons financières. La réflexion autour de ce thème se poursuit au sein de la coopérative. L’option que nous favorisons pour le moment est de proposer différentes qualités, à des prix plus ou moins élevés, et de laisser le client faire son choix en connaissance de cause.”
Enfin, il y a le défi de la mixité culturelle. “Pour caricaturer, notre public actuel est principalement constitué d’universitaires blancs. A terme, notre objectif est d’avoir une fréquentation qui reflète davantage Bruxelles et le quartier dans lequel nous sommes implantés ( la commune de Schaerbeek, Ndlr). C’est pour avancer sur cette thématique que nous allons prochainement engager un neuvième salarié. Mais cela va clairement prendre du temps.”
Un concept qui fait son chemin
Une autre tâche qui occupera Bees Coop au cours des prochaines années sera de faire connaître encore davantage le concept des supermarchés coopératifs et participatifs, ainsi que de recruter de nouveaux coopérateurs. Au profit de la coopérative schaerbeekoise elle-même, mais également des autres initiatives similaires qui se sont multipliées ces dernières années, à Bruxelles comme en Wallonie.
Etant pionnière dans le domaine, Bees Coop a naturellement assumé depuis ses débuts un rôle de guidance et d’entraide envers les autres projets belges, voire européens. Mais ce rôle a récemment été renforcé et formalisé depuis que la Région bruxelloise a décidé d’accorder une enveloppe de 50.000 euros par an à la coopérative pour qu’elle accompagne les autres initiatives existantes ou futures. Et ces dernières ne manquent pas. Que ce soit à Bruxelles, avec Bab’l Market qui a ouvert ses portes en mai 2020 à Stockel (Woluwe-Saint-Pierre) et wAnderCoop qui s’est lancé en janvier dernier à Anderlecht, ou en Wallonie avec, notamment, Coopéco à Charleroi, Oufticoop à Liège, Poll’n à Louvain-la-Neuve, etc.
“En quatre ans, le paysage a fortement évolué, confirme Geneviève Boxus. Le concept reste encore assez méconnu du grand public mais de plus en plus de gens franchissent le pas. Des projets existent depuis un certain temps ou se lancent un peu partout, en Belgique comme à l’étranger. Cela participe à gagner la confiance des consommateurs. On sent vraiment que l’idée fait son chemin. Et c’est tout bénéfice parce qu’ensemble, nous sommes plus forts.”
Le Pédalo, dernier-né
Preuve que le mouvement continue à prendre de l’ampleur, un quatrième supermarché coopératif et participatif s’apprête à ouvrir ses portes à la mi-novembre à Bruxelles. Son nom? Le Pédalo. “A la base, nous sommes quatre fondateurs, dont trois coopérateurs de Bees Coop, explique Françoise Viellevoye. Comme nous habitions tous à Etterbeek, nous avons eu l’idée, début 2020, de lancer un supermarché du même genre dans notre quartier. A l’époque, Bees Coop était déjà en train de coacher Bab’l Market et wAnderCoop. Donc, nous nous sommes facilement insérés dans le processus et avons pu profiter de ce support. Finalement, le plus dur aura été de trouver une surface commerciale abordable dans cette partie ultra-dense de la ville.”
A un moment donné, il faut arrêter le ‘greenwashing’!” Françoise Viellevoye (Le Pédalo)
Le Pédalo, qui prévoit d’engager deux salariés à mi-temps d’ici janvier, ne sera dans un premier temps ouvert que deux jours par semaine, le vendredi et le samedi. “Le nombre de jours d’ouverture est lié au nombre de coopérateurs, souligne la cofondatrice ( ils sont 160 pour l’instant, Ndlr). Dès que nous serons une trentaine de plus, nous pourrons ouvrir un jour supplémentaire, et ainsi de suite.”
Le Pédalo propose déjà environ 200 références sur sa boutique en ligne lancée au début de cette année, mais uniquement du sec et des produits emballés. “A l’ouverture du magasin, nous passerons à 450 références, principalement du frais (fruits et légumes), de l’ultra-frais (crèmerie, viande sur commande, etc.) et du vrac, en plus de tout ce que nous vendons déjà en ligne. Nous proposerons également à la vente le pain d’un boulanger qui a installé son four juste en face de chez nous dans les installations du See U, mais aussi des bières ultralocales, etc. Ce qui est génial à Bruxelles, c’est que la ville fourmille de projets de ce genre et dont les porteurs ne demandent pas mieux que de voir apparaître de nouveaux canaux de distribution.”
Par ailleurs, la version du Pédalo qui ouvrira cet automne ne devrait pas être la définitive. Si sa croissance se déroule comme espéré, la coopérative a d’ores et déjà prévu un déménagement à l’horizon 2024 vers une surface commerciale plus grande, de l’ordre de 500 mètres carrés, contre une centaine à l’heure actuelle. Entre-temps, le Pédalo espère atteindre les 1.300 coopérateurs, dont une part significative d’étudiants venus de l’ULB ou de la VUB voisines. “A mon sens, notre plus grande difficulté au cours des années à venir sera de parvenir à recruter de nouvelles personnes dans un contexte où les grandes surfaces traditionnelles tentent de se réinventer. Avec le matraquage publicitaire actuel, on croirait presque que c’est Lidl qui a inventé l’alimentation durable, Carrefour le bio et Delhaize le commerce équitable. Mais à un moment donné, il faut arrêter le greenwashing!“, estime Françoise Viellevoye.
Les chaînes bios font-elles de la concurrence?
Färm, The Barn, Sequoia… Les supermarchés bios se multiplient. Quel peut être leur impact sur les magasins participatifs? “Tout d’abord, je tiens à dire que leur apparition est une bonne chose, affirme Geneviève Boxus, la chargée de communication chez Bees Coop. Il y a cinq ans, toute ces enseignes n’existaient pas. Cela signifie que davantage de gens ont désormais accès à une alimentation de qualité, ce qui est également notre objectif. Mais nous nous démarquons encore beaucoup par rapport à ces magasins, notamment au niveau des valeurs que nous défendons. C’est pourquoi nous sommes convaincus qu’il y a encore de la place pour d’autres supermarchés coopératifs et participatifs. Et puis l’une des grandes plus-values de ces coopératives, ce sont les liens qu’elles permettent de créer dans un quartier. L’ambiance n’y est pas du tout la même que dans un magasin classique. Les gens se connaissent, se parlent. Des liens sont tissés entre des générations qui d’habitude ne se croisent pas, entre des types de population qui, en général, ne se mélangent pas… C’est un véritable projet social.”
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