Quand l’investissement de rêve tourne au cauchemar: Van Hool avait mis tous ses œufs dans le panier Fortis
Le conglomérat automobile Van Hool avait une seule diversification dans son portefeuille : des actions Fortis. Ce qui semblait initialement être un investissement de rêve est devenu un cauchemar en raison de la crise bancaire de 2008. Indirectement, les pertes liées à Fortis ont contribué à sa chute ultérieure, vu que les fonds propres de Van Hool ont été impactés par le krach bancaire.
Le lundi 31 mai 1999, l’élite de l’industrie flamande s’était réunie pour une augmentation de capital significative de la société Fortales SA. De nombreuses familles d’affaires flamandes renommées avaient de quoi se réjouir. En mai 1988, elles avaient été prises de court par Carlo de Benedetti. Cet investisseur italien avait lancé une offre publique d’achat hostile sur la Générale de Belgique, cotée en bourse. Cette prise de contrôle menaçait de placer des éléments essentiels de l’économie belge sous contrôle étranger, déclenchant un débat sur la protection nationale. Dès la mi-mai 1988, des hommes d’affaires flamands comme Piet Van Waeyenberge (du holding De Eik) et Frank Arts (lié à Paul Janssen, du laboratoire pharmaceutique réputé) ont mis en place un mécanisme de protection. La société Asphales SA a d’abord acquis une participation dans le groupe d’assurance AG, qui s’est transformé en 1990 en banque-assureur Fortis après une fusion avec l’assureur néerlandais Amev et la banque néerlandaise VSB Bank.
Grâce à plusieurs augmentations de capital et à l’arrivée de plus en plus d’industriels flamands, Asphales est devenu le troisième plus grand actionnaire individuel de Fortis. Le lundi 31 mai 1999, cette participation a été transférée à la société Fortales SA, qui détenait alors plus de 38 millions d’actions Fortis, évaluées à un cours de 33,1 euros. Les investisseurs flamands de la première heure pouvaient se réjouir d’une plus-value latente d’environ 925 millions d’euros. Le conseil d’administration exprimait également son optimisme en justifiant l’apport à Fortales SA : « Cet apport conduira à une structure de capital solide, une amélioration de la position sur le marché, une capacité financière accrue pouvant attirer de nouveaux investisseurs, et la création d’une plus grande valeur ajoutée. »
Un ami de la maison
Qui faisait partie de cette élite industrielle flamande ? Jan Toye, alors directeur de la brasserie Palm et propriétaire de la holding Diepensteyn SA. La famille Dossche, dirigeant l’un des plus grands moulins d’Europe depuis Deinze. Evidemment, l’initiateur Piet Van Waeyenberge et son holding De Eik étaient également présents, tout comme la famille de Paul Janssen, qui avait fait fortune dans les années 60 en vendant son laboratoire pharmaceutique à la multinationale américaine Johnson & Johnson. On y retrouvait aussi la discrète famille anversoise Leysen, ancienne propriétaire de la Banque de Breda, vendue en 1997 à Ackermans & van Haaren, également actionnaire de Fortales.
Sixième plus grand actionnaire
La famille Van Hool était le sixième plus grand actionnaire, avec près de 400 000 actions Fortales, soit près de 7 % des parts. Via cinq augmentations de capital, elle avait injecté 188,5 millions de francs (4,7 millions d’euros) dans Asphales SA. Alfons Van Hool (1929-2013), alors directeur général, siégeait au conseil d’administration de ce véhicule de protection. « Nous étions très heureux que Van Hool investisse avec nous », se souvient Frank Arts (81 ans). Ancien administrateur et gestionnaire de la fortune de la famille Janssen, Arts avait cherché des investisseurs avec Piet Van Waeyenberge pour soutenir Fortis en 1988. « Van Hool était un nom prestigieux, et nous étions ravis de l’avoir avec nous. Alfons Van Hool était un dirigeant expérimenté, toujours positif. Il préférait investir dans Asphales plutôt que de laisser l’argent dormir sur un compte bancaire. »
L’épouse d’Arts, Rita Van de Wiele (79 ans), décrit Alfons Van Hool comme « un ami de la famille. Un homme incroyablement gentil, très intelligent et charmant. Nous avons connu Fons grâce à Paul Janssen, avec qui il était très proche. » Jan Toye (76 ans) se rappelle également d’Alfons Van Hool comme d’un « entrepreneur pragmatique, les pieds bien ancrés dans la réalité. Il avait l’aura d’un pionnier responsable et dirigeant. »
Chacun à son domaine
La famille Van Hool investissait principalement via sa holding Immoroc SA. Mais des membres individuels de la famille avaient également investi dans Fortis. En août 1999, une autre augmentation de capital a eu lieu chez Fortales. La société civile Keraton, véhicule privé de la branche familiale d’Alfons Van Hool, a alors injecté 6,84 millions d’euros. Son neveu Carl et sa nièce Véronique Van Hool ont chacun investi 1,71 million d’euros. Cependant, au sein de la famille, tout le monde n’était pas d’accord avec cet investissement dans Fortis.
« Van Hool a beaucoup investi dans cette affaire », estime aujourd’hui Filip Van Hool, PDG actuel de l’entreprise. « Surtout mes oncles Alfons et Herman pensaient que c’était un bon investissement. Chaque branche familiale avait son domaine de spécialité. Les finances étaient du ressort d’Herman et Alfons. Mon autre oncle, Jos, a clairement mis en garde contre ce portefeuille d’actions vers 2004. Je me souviens encore de lui, assis en face de moi dans la salle de réunion, disant : ‘Herman, ne mets pas tous les œufs dans le même panier ! Ne fais pas ça ! Je sais que c’est risqué !’ Les actions Fortis étaient notre seule diversification. Mon oncle Alfons aimait être en contact avec les gens, il s’occupait des relations publiques pour Van Hool. »
La fin de l’ancrage
Les investisseurs n’ont tiré que peu de bénéfices de leur investissement dans Fortales. Seuls les exercices financiers de 2000 et 2001 ont distribué des dividendes substantiels. Cependant, la performance boursière de Fortis a été moins favorable. Aucune dépréciation n’a été enregistrée dans un premier temps, car la banque-assureur affichait une solvabilité solide et un bénéfice net stable. « Le cours de l’action Fortis a subi une chute déraisonnable », constatait le conseil d’administration de Fortales. Le titre a continué de baisser, et en mars 2005, le véhicule d’ancrage a été dissous, avec une perte reportée de 426 millions d’euros au dernier exercice 2004. La valeur comptable a été ajustée à la valeur de marché, et à la fin de cet exercice, le cours de l’action Fortis oscillait autour de 17 euros par action.
Une augmentation de capital pour redresser la situation n’a pas été envisagée par les industriels flamands. La dissolution de Fortales a été motivée par le conseil d’administration comme une prémonition de la chute de Fortis à l’automne 2008. « La stratégie de la société consistait à ancrer l’actionnariat de Fortis. Cela n’était plus réalisable en raison des conditions de marché modifiées. À l’origine, Fortales détenait une participation de 4,9 % dans Fortis Belgique et formait un syndicat d’actionnaires avec d’autres grands actionnaires, tels que la Générale de Belgique. Mais avec l’unification de l’action Fortis entre la Belgique et les Pays-Bas en décembre 2001, la participation de Fortales dans Fortis a été diluée de 4,9 % à 2,8 %. En 2002, le syndicat d’actionnaires a été dissous. Le nombre d’actions librement négociables a atteint 95 %. La transformation de Fortis en une entreprise publique avec un actionnariat fortement fragmenté et une vocation internationale a mis fin au rôle de Fortales en tant que véhicule de protection.
L’investissement parfait
Van Hool n’a pas tiré non plus beaucoup de bénéfices de son investissement dans Fortis. Pourtant, cela avait commencé de manière prometteuse. 86 % du bénéfice net de l’exercice 1999-2000 de la holding Immoroc provenaient de la plus-value générée par l’apport d’actions à Fortales. Mais par la suite, les choses ont empiré. La holding familiale a enregistré plusieurs années de pertes dues à la dépréciation de sa participation dans Fortis, alors que Van Hool était déjà accaparé par le rachat coûteux de trois branches familiales et l’acquisition d’actions propres pour apaiser les actionnaires mécontents. « La direction financière répétait sans cesse que c’était un investissement parfait », soupire encore Filip Van Hool. « Nous nous demandions pourquoi nous ne vendions pas ces actions pour réinvestir les bénéfices dans notre propre entreprise. Et à l’époque, nous ne savions même pas encore quel désastre allait arriver avec la crise bancaire de 2008. »
Du printemps 2005 au printemps 2007, l’action Fortis a connu un rebond. Cela a fait remonter la valeur dans le bilan d’Immoroc. À partir de 2006, les actions ont été partiellement vendues. En 2008, une lourde dépréciation a suivi lors de l’année de crise. Une dernière tranche d’actions, alors appelée Ageas, a été vendue en 2015.
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