Nouveau souffle pour les start-up belges: des stars de la tech veulent structurer l’écosystème


Avec son WinterCirucs, Gand se positionne désormais comme la véritable capitale belge de la tech.
© BELGA

Ils ont monté leur boîte, connu le succès, réalisé des “exits”. Aujourd’hui, ils veulent transmettre, investir, structurer. À Gand et à Bruxelles, plusieurs entrepreneurs de la tech lancent des initiatives privées en faveur de l’écosystème des start-up du numérique. Que révèle cette nouvelle dynamique ?

Il souffle comme un vent de renouveau dans l’écosystème des start-up belges de la tech. Après des hauts voici une dizaine d’années et des (très) bas lors des dernières années post-covid, une série de nouvelles initiatives émergent de tous bords. Elles proposent des approches différentes qui tendent à ramener vers un seul et même questionnement : la Belgique des start-up entre-t-elle dans un nouveau cycle ?

Les initiatives se suivent, mais ne se ressemblent pas. D’un côté, Louis Jonckheere, l’emblématique cofondateur de Showpad, a positionné Gand comme la véritable capitale belge de la tech avec son WinterCircus, un hub très prisé des jeunes entrepreneurs flamands et désormais bien identifié aussi côté francophone. Ouvert depuis un an, cet ancien cirque couvert, réhabilité, est devenu un lieu hybride mêlant bureaux, événementiel, culture et gastronomie. C’est à la fois un hub entrepreneurial et un projet urbain, financé à près de 60% par Louis Jonckheere et d’autres entrepreneurs privés, avec le soutien de partenaires publics flamands. Le lieu vise une rentabilité via la location d’espaces, un système de membership façon club privé, et une programmation événementielle dense. WinterCircus incarne un positionnement assumé : celui d’un totem local, ancré dans un écosystème tech devenu l’un des plus puissants du pays.

Dans la capitale, c’est Thibaud Elzière qui lance une dynamique très observée par les fondateurs de start-up : il a annoncé son intention de lancer le WAT, un incubateur logé dans un lieu emblématique d’Ixelles pour regrouper des start-up numériques autour, notamment, des enjeux liés à la souveraineté européenne. Il a déjà repéré le lieu et prévoit, si tout va bien, un lancement dans deux ans. Un projet à 25 millions qui devrait attirer 150 start-up belges et européennes dans les quelque 10.000 mètres carrés du lieu.

Une future fédération ?

Et depuis quelques mois, une autre initiative fait parler d’elle : le Belgian Start-up Ecosystem, initié par Nicolas Debray, cofondateur de l’agence de marketing Semetis. Après avoir lancé, en juin 2025, le premier Start-up Awards Day, une journée de keynotes et de remise de prix très suivie à Bruxelles, il est, un peu par surprise, sorti du bois le même mois pour dévoiler son projet de Belgium Start-up Ecosystem, une sorte de “fédération” de la tech qui ne porte pas vraiment ce nom. Mais son ambition est bel et bien de fédérer les énergies techs dispersées partout dans le royaume, sous une seule bannière, et de capitaliser sur la mise en réseau pour faire grandir la scène belge du digital.


L’écosystème retrouve une certaine dynamique. En juin dernier s’est tenu le premier Start-up Awards Day à Bruxelles. © P.G.

Ces projets ne naissent pas dans des cabinets ministériels ou des agences publiques. Ils viennent du terrain, portés par des profils qui ont généralement fait leurs armes dans la tech. Louis Jonckheere a trouvé la voie du succès avec Showpad, scale-up qui propose des solutions d’aide à la vente aux entreprises. Thibaud Elzière a cofondé eFounders, studio à l’origine de plusieurs scale-up à succès (Aircall, Spendesk). Nicolas Debray a lancé, avec Gabriel Goldberg, l’agence Semetis, revendue à Omnicom, avant de s’engager dans ses projets de remises de prix pour start-up.

Pas un hasard

Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce regain d’énergie après des années plutôt moroses ? Il s’agit de la convergence de plusieurs facteurs. D’abord, il y aurait la maturité de l’écosystème tech. “Il y a 10 ans, on n’aurait pas pu lancer un projet comme le WinterCircus, souligne d’emblée Louis Jonckheere. Aujourd’hui, c’est possible car l’écosystème est mûr. Cela se voit parce qu’il y a des entrepreneurs qui ont connu du succès et qui peuvent rendre la pareille, ce qui n’était pas le cas 10 années plus tôt. C’est un signe de maturité.”

Aujourd’hui, l’écosystème est mûr. Des entrepreneurs qui ont connu du succès veulent rendre la pareille, ce qui n’était pas le cas dix années plus tôt.

Et à Gand plus qu’autre part, les projets se multiplient autant que les succès. Après Showpad, l’écosystème gantois a ses nouveaux noms qui donnent des étoiles dans les yeux des jeunes entrepreneurs : Henchman (rachetée par LexisNexis), Lighthouse (devenue licorne depuis sa levée de fonds à 370 millions d’euros)… Et la nouvelle vague est d’ores et déjà arrivée avec des boîtes comme Aïkido Security qui connaît un véritable succès à l’international. Ces réussites poussent les Gantois à se fédérer. Il y a plusieurs “mafias” autour de boîtes comme Showpad ou Netlog, avec des employés qui ont relancé des entreprises à succès. Et tous ceux-ci réinvestissent ensuite dans les boîtes de chacun.

Louis Jonckheere confirme : “Quand on voit le nombre de start-up issues de la première équipe de Showpad, on comprend l’effet domino. On peut parler de mafia, dans le bon sens du terme. C’est cette concentration qui a tout déclenché.” Des entrepreneurs comme Louis Jonckheere, Pieterjan Bouten (Showpad), Lorenz Bogaert (Netlog) ont acquis le statut de “role models“. Ils ont créé leur entreprise, l’ont fait grandir, ont réalisé des “exits“, et disposent aujourd’hui de capital, d’expérience et… surtout de cash, prêt à être réinvesti dans de nouveaux projets. En plus de jouer les business angels, ces entrepreneurs veulent rendre à l’écosystème ce que ce dernier leur a offert.

Emmanuelle Ghislain, responsable de la Fondation Pulse, observe cette dynamique un peu unique en Belgique : “À Gand, il y a un écosystème naturel, organique, une bande, une culture. À Bruxelles ou en Wallonie, on reste beaucoup plus fragmenté.”

Nouveau souffle

Par ailleurs, malgré le contexte économique et géopolitique global plutôt incertain, le marché actuel de la tech donne pas mal d’espoir d’un renouveau de la start-up numérique. “Après des années compliquées durant lesquelles on a observé un écrémage des start-up juste avant ou juste après la période covid, observe Nicolas Debray, on a vu que certaines ont traversé les années et sont devenues de grosses scale-up. Il y a les succès de boîtes comme Collibra, les ventes d’entreprises flamandes comme Teamleader, Henchman… On observe que les astres s’alignent autour des écosystèmes, des gens qui ont du talent et de l’expérience. Et on se dit que tout est vraiment possible en Belgique.”

Et puis, le public s’est de plus en plus effacé du créneau des start-up. Pour se faire une idée, en Wallonie, le label Digital Wallonia ne s’implique plus dans le soutien aux jeunes pousses de la tech, de nombreuses structures ont jeté l’éponge (comme Digital Attraxion) et le fonds d’investissement W.IN.G pour les toutes jeunes pousses a disparu des radars et n’investit quasiment plus. Ce n’est sans doute pas pour rien que des initiatives privées fleurissent. “Ce sont des entrepreneurs qui veulent créer les conditions de leur propre succès pour les suivants, observe Thomas Goubau, entrepreneur impliqué dans le fonds WeLoveFounders. Ce sont des “doers” (des faiseurs, ndlr), qui veulent faire bouger les choses, pas des politiques, pas des consultants.” Et Louis Jonckheere s’en réjouit : “C’est symptomatique : dans les nouvelles initiatives, ce sont des entrepreneurs locaux qui initient des mouvements.” Avec des logiques et des approches entrepreneuriales.

Le moment IA

Et puis, il y a le moment IA qui nourrit l’enthousiasme de tout l’écosystème. “Il y a plein d’opportunités à saisir, se réjouit le responsable du WinterCircus. On ne peut absolument pas manquer ce train-là.” Thibaud Elzière se fait la même réflexion de son côté. Il voit dans l’arrivée de l’IA un nouveau printemps pour les start-up. “Cela a toujours été comme ça dans la tech : de gros hivers font place à des regains d’activité. Après la bulle de 2000, la machine s’est relancée avec le Web 2.0. Après la crise de 2008, il y a eu le mobile. Et maintenant, après trois ans de galère depuis 2022, l’IA rabat les cartes. C’est un nouveau paradigme qui attire une nouvelle génération d’entrepreneurs, des tas de nouveaux projets…”

Après trois ans de galère depuis 2022, l’IA rabat les cartes. C’est un nouveau paradigme qui attire une nouvelle génération d’entrepreneurs, des tas de nouveaux projets…

Mais ce foisonnement comporte aussi ses interrogations et ses risques. Du côté des interrogations, c’est la place de la Wallonie. Peu de nouvelles initiatives y voient encore le jour. “Il n’y a pas de mafia wallonne pour le moment”, nous glisse-t-on. Fabien Pinckaers reste concentré sur son business et sur Odoo, et peu de giga-succès récents permettent d’envisager la structuration d’une génération d’entrepreneurs similaire à celle qui agit à Gand.

La crainte d’initiatives sans lien

Du coté des risques, il y a notamment celui d’un empilement d’initiatives non coordonnées, parfois concurrentes, qui pourrait nuire à la structuration de l’écosystème. Car si, dans les discours des uns et des autres, le ton est à l’unité et à la création de ponts, en coulisses, les observateurs se montrent plus dubitatifs. La rapidité avec laquelle WAT a été annoncé, par exemple, a surpris pas mal de monde, alors qu’il se murmurait que WinterCircus envisageait une extension à Bruxelles. “Il y a aussi de l’ego, et chacun pourrait bien avancer dans son coin, glisse ce spécialiste du milieu. L’annonce du WAT est arrivée très tôt, alors que le lieu n’est pas encore prêt… sans doute pour être le premier à marquer le territoire.” Du côté du Belgium Start-up Ecosystem, on voit que Nicolas Debray souhaite fédérer l’écosystème, mais certains ricanent et beaucoup l’attendent au tournant s’il veut jouer les porte-parole sans être vraiment coopté par le milieu.

Pourtant, il y a une vraie attente du secteur pour une initiative qui fédère la tech et qui parle d’une voix unifiée. Et, comme le glisse Thibaud Elzière, si Nicolas Debray fait bien les choses, cela peut avoir un impact colossal. D’autant plus si, comme en témoigne son roadshow actuel, il parvient à rassembler Flamands, Bruxellois et Wallons. Car jusqu’ici, les tentatives se sont généralement soldées par des échecs. Ce qu’il faut, insiste Emmanuelle Ghislain, c’est que WinterCircus et WAT se répartissent correctement la place à Bruxelles et que chacun joue sa partition intelligemment. Le pays a les cartes en main pour faire émerger une vraie start-up nation. Mais il va falloir jouer collectif. Et dépasser les éventuels ego-trips et guerres de clocher…

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