Paul Vacca
“Pour une écologie de l’insulte sur les réseaux sociaux”
Cela se révèle chaque jour un peu plus flagrant : les réseaux sociaux deviennent pathétiquement asociaux. Même Instagram, un temps épargné par le phénomène des trolls, devient tout autant que ses petits camarades Twitter et Facebook, la cour de récréation d’insultes, de clashs, de cyber-harcèlements et autres amabilités.
Face à cette épidémie – et notamment suite à la révélation des actions de la sinistre Ligue du LOL – le gouvernement français a décidé d’agir. En ajoutant un arsenal de mesures inapplicables à d’autres mesures qui ne sont pas appliquées. Comme par exemple, en préconisant d’interdire l’anonymat. Aussi efficace qu’une ligne Maginot pour endiguer les trolls. Car en admettant que par magie une telle interdiction soit envisageable, cela ne résoudrait rien puisqu’un grand nombre des harceleurs le font à visage découvert.
Pour lutter contre ce flot d’insultes et de haine, on devrait faire preuve de plus de réalisme. Le trolling pouvant être considéré comme une pollution de l’espace public – entre déjections canines et marée noire – on gagnerait à s’inspirer des mêmes méthodes que pour la promotion des bonnes pratiques environnementales : mettre en sourdine la méthode punitive et opter pour une méthode positive. Pratiquer la politique du nudge – le coup de pouce – avec de l’incitation plutôt que celle de la répression de toute façon irréaliste voire contre-productive. Pourquoi ne pas penser ici aussi en termes de transition ?
Insulter moins pour insulter mieux serait un petit pas pour le troll mais un grand pas pour les réseaux sociaux.
On a constaté qu’il était utopique de vouloir convertir directement un consommateur de viande au véganisme et qu’il s’avérait plus efficace de promouvoir une approche plus ouverte, celle du flexitarisme visant à encourager la consommation de viande en moindre quantité, mais de meilleure qualité. De la même manière, il apparaît tout aussi illusoire de vouloir transformer directement un troll en licorne bienveillante. Là aussi, il conviendrait peut-être de procéder par étapes : ne pas chercher à convertir le troll, mais l’inciter à troller moins, en trollant mieux.
Car ce qui frappe au-delà de la virulence des attaques en ligne, c’est leur affligeante médiocrité. Il y a un problème d’inculture manifeste. Pour y remédier, il conviendrait d’initier les trolls à l’art de l’insulte. Cela pourrait faire l’objet d’un module d’enseignement dès le collège, d’un MOOC et pourquoi pas d’un programme télévisuel sur le modèle de Top Chef ou The Voice pour élire celui qui composerait le meilleur clash.
Des coachs pourraient former les candidats à quelques bonnes pratiques et les initier aux subtilités de l’art de l’insulte. En leur apprenant par exemple que s’attaquer au physique d’une personne, à son genre, à son appartenance sociale ou à sa religion se révèle non seulement d’une banalité confondante, sans imagination ni humour mais de plus totalement inefficace. La bonne insulte pour toucher sa cible gagne à être taillée sur mesure.
Les coachs pourraient leur prouver que la bonne insulte est celle qui crée un effet de surprise par la variation de ses angles d’attaque et son rythme propre et pas celle qui se contente de répéter en boucle les mêmes sempiternels éléments de langage. Ils pourraient également les aider à faire leurs gammes avec des maîtres de l’insulte que sont Jules Renard, Rimbaud, Baudelaire, Victor Hugo, Voltaire, Shakespeare, Molière, Albert Cohen, Oscar Wilde, Pierre Dac, etc. Mais aussi pourquoi pas avec quelques punchlines homériques du rap ou avec le capitaine Haddock et son imagination foisonnante en matière de sobriquets ?
Les trolls y apprendraient qu’une déclaration de haine pour être efficace demande autant d’inspiration et de sincérité qu’une déclaration d’amour : dans les deux cas, le destinataire doit y être traité comme quelqu’un d’unique, d’irremplaçable, d’indispensable. Et que pour espérer ciseler une insulte haut de gamme, il faut avoir la force de résister aux pièges tendus par les réseaux sociaux : la dictature de l’immédiateté, la facilité des simplifications et les pathétiques effets de meute.
Il y aurait alors des chances que le troll prenne conscience que pratiquer l’art de l’insulte, c’est manier le mépris avec respect : de son adversaire, de soi et plus largement de la communauté en polluant moins l’espace public. Insulter moins pour insulter mieux serait un petit pas pour le troll mais un grand pas pour les réseaux sociaux.
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