Pierre Rion: “Mes fiertés? Avoir créé de l’emploi, mais surtout avoir relancé la vigne en Wallonie”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Le Business Angel wallon, fondateur du Domaine de Mellemont et multi-entrepreneur, se confie à Trends tendances: ses passions, sa fierté d’avoir initié le boom du vin wallon, ses entreprises et… Julio Iglesias, dont il est “hyper fan”.

Déboucher une bonne bouteille de vin. Ecouter une bonne musique qui correspond à ses arômes. Partager ce plaisir en parlant de la vie et de ses saveurs. N’est-ce pas là une belle manière de découvrir quelqu’un sous un autre jour? De plonger dans ses jardins secrets? Pierre Rion s’est livré longuement à l’exercice pour Trends Tendances, avec la passion qui le caractérise.

Doit-on encore présenter ce multi-patron wallon? Après sa réussite à la présidence d’Iris, à la fin des années 1990, il a multiplié les initiatives et les entreprises, devenant un business angel pour aider les entrepreneurs à se lancer, en suivant ses intuitions. Au passage, il a créé l’un des premiers vignobles réputés de Belgique, le Domaine de Mellemont à Thorembais-les-Béguines. Il est aujourd’hui – et, notamment, tant il multiplie les activités – président du Conseil numérique de Wallonie, président de l’Association des vignerons de Wallonie ou encore président du conseil d’administration du groupe de presse IPM.

Autour d’un verre de vin, c’est de tout cela dont il parle, mais aussi de ses passions musicales, parfois étonnantes: Pierre Rion est, aussi, l’un des plus grands fans au monde… de Julio Iglesias. En route pour le voyage, un verre à la main.

Commençons par le lien entre le vin et la musique: en quoi vous parle-t-il?

Il y a vraiment une analogie entre la musique et le vin. Dans le vin, comme dans la musique, vous avez l’attaque, le premier nez, la première bouche… Puis, il y a la manière dont le vin remplit la bouche: pour la musique, c’est la même chose avec l’amplitude, la force, l’intensité. Et puis il y a le fait que cela dure, la finale. Oui, ce sont de troublantes similitudes.

Associez-vous certains vins avec une musique?

Une musique, comme un vin, peut rappeler un souvenir particulier, c’est une espèce de Madeleine de Proust. Quand j’écoute des musiques avec de l’orgue Hammond, qui est mon instrument préféré parce qu’il représente toute ma jeunesse, je songe à mon vin, le Domaine de Mellemont, sans doute parce que cela représente également mes racines.

Un autre morceau évoque des choses spéciales pour moi: c’est un morceau de Jean Vallée, La Vague, repris mondialement par Nana Mouskouri. Quand j’entends ce morceau, je pense à la mer et, dès lors, à ces vins suisses qui ont des notes salines, comme la Petite Arvine, dans le Valais.

Pourquoi Jean Vallée, ce chanteur que l’on a connu via l’Eurovision?

Peut-être ne le savez-vous pas, mais j’ai été producteur de Jean Vallée pendant huit ans… J’appréciais beaucoup ce qu’il faisait et il est venu chanter chez moi pour mes 40 ans devant soixante personnes.

C’est une histoire incroyable, au fond. Je me suis levé un matin, en 2000, en me demandant ce que je ferais bien pour mon anniversaire et je dis à ma femme que j’inviterais bien Jean Vallée pour chanter. Mais je ne le connaissais pas. A l’époque, j’étais assez actif chez Paradisio (devenu Pairi Daiza) et notre responsable des relations publiques avait travaillé à la Sabam. Elle me donne son numéro de téléphone à Paris, je laisse un message sur son répondeur. Jean Vallée l’entend et il confond, il croît entendre le nom de Pierre Billon, le fameux auteur-compositeur (qui a notamment travaillé pour Michel Sardou et Johnny Halliday – Ndlr): il saute sur son téléphone pour le rappeler. Quand il tombe sur moi, il est un peu déçu au début, mais je lui explique et il accepte. ma propossition

Nous nous sommes vus à Verviers et cela a été un coup de foudre amical. Nous ne nous sommes plus quittés pendant sept ou huit ans. Après ce concert à la maison, il m’a dit qu’il avait plein de titres dans ses tiroirs, mais que personne ne voulait plus le produire. Il m’a convaincu de le faire. Moi, je n’y connaissais rien, mais dans une formule très Angel, j’ai mis l’argent sur la table, je prenais les premières ventes pour me rembourser et tout le reste lui revenait. Il a fait une bonne affaire. Je l’ai aussi remis sur scène et j’ai passé quelques mois à Paris pour convaincre Michel Drucker et tous les autres de passer Jean Vallée. Ils me considéraient comme un OVNI.

Mais pour revenir aux analogies entre le vin et la musique, j’en fais tout le temps.

Il choisit un vin à déguster : un Gigondas rouge. Et il l’accompagne d’une musique suave qui lui correspond, selon lui: un album jazzy de Mélanie De Biasio, chanteuse belge.

Vous faites ces analogies entre le vin et la musique spontanément ?

Oui. Pourquoi, je ne sais pas. Avec le Gigondas que l’on déguste, un peu suave et alcooleux, cela va bien avec Mélanie De Biasio dont la musique est cool, pleine d’ambiances.

Vous appréciez tous types de vin, de toutes régions ?

Oui. Je bois du vin depuis que j’ai 18 ans. Mon grand-père maternel était directeur des Postes à Liège, il avait une belle cave, c’est lui qui m’a appris à le boire. Il buvait beaucoup de Saint-Emilion. Quand j’avais 13 ou 14 ans, on m’en mettait un peu dans l’eau, puis de moins en moins, j’ai grandi au Saint-Emilion! Et quand je prends un verre de Saint-Emilion, je pense à mon grand-père.

Avec mes premières économies, je m’achetais du vin. D’ailleurs, je pète un câble quand je retrouve une bouteille assez vieille sur lequel j’avais noté le prix et qu’elle est bouchonnée. Cela m’est arrivé récemment avec une bouteille qui m’avait coûté 500 francs belges – c’était beaucoup d’argent, quand même, pour moi, quand j’étais jeune. Au Domaine de Mellemont, nous utilisons désormais des bouchons en silicone alimentaire produits en Wallonie qui évitent ce genre d’accident.

Vous étiez branché musique très jeune également ?

J’ai fait l’Académie à Charleroi pendant cinq ans. Mes parents nous encourageaient. A l’époque, on devait faire deux années de solfège avant de choisir un instrument: j’ai opté pour la guitare, mais je me suis emmerdé royalement parce que c’était de la guitare classique alors qu’à 14-15 ans, on a envie d’autre chose.

Mon père jouant du jazz, du piano et je me suis mis au clavier. Comme je suis un matheux, je transforme la musique en mathématique: je sais jouer un accord, je sais pourquoi je le joue, mais par contre je n’ai pas son don. Je lis la musique de façon très scolaire. J’ai joué du saxo, aussi, la Panthère rose notamment, puis de la batterie. Et pour mes 60 ans, je me suis offert un orgue Hammond. Je rêvais de ce son, mais c’est épouvantable à jouer parce qu’il faut tout synchroniser en même temps, les mains et les pieds. Pour coordonner le tout, à 60 ans, votre cerveau vous dit de vous calmer. J’essaie de jouer A White Shade of Pale de Procolo Harum, mais aussi plein de morceaux des années 1970. C’est la Madeleine de Proust de mes années d’adolescence.

Par ailleurs, ce qui amuse toujours tout le monde, c’est que je suis un hyper fan de Julio Iglesias. Je l’ai vu 42 fois sur scène, un peu partout.

Racontez-nous ça!

On me demande souvent pourquoi, parce que c’est un chanteur à midinettes. Je suis impressionné par la carrière de ce bonhomme qui vient d’une famille aristocratique espagnole, qui a fait des études de droit, qui était gardien de but dans l’équipe réserve du Real Madrid et qui a eu une grave blessure à la colonne vertébrale après un accident de voiture. Il a appris la guitare dans son lit de réhabilitation… Aujourd’hui, c’est le plus grand chanteur latino avec 400 millions d’albums vendus. Il gère sa carrière de façon super professionnelle, il fait des placements: c’est un conte de fées.

Et c’est quelqu’un d’extrêmement gentil. Je suis tellement fan que je suis membre de tous ses fans clubs, je sais tout de sa vie. Au début, j’emmenais mon épouse à des concerts et tout le monde lui demandait, à elle, si elle était fan de Julio Iglesias. Mais non… (il s’amuse)

Un des grands moments de ma vie est survenu il y a cinq ou six ans: il est venu chanter à Anvers et je me suis dit que dans mon beau carnet d’adresses, je trouverais quand même bien quelqu’un qui me donnerait accès à Julio Iglesias. J’ai contacté mon ami Marc Vossen (CEO de Nostalgie – Ndlr), qui m’a mis en contact avec la directrice de Sony Europe, et j’ai eu mon rendez-vous avec Julio. Je l’ai rencontré en tête-à-tête pendant quelques minutes au Sportpaleis, je me suis mis à pleurer comme un gamin, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre. Cela n’arrêtait plus, je me suis demandé s’il ne faisait pas un infarctus. Et je me disais: profites-en… Nous avons parlé, je lui ai cité des anecdotes de concert, des phrases qu’il avait prononcées : il n’en revenait pas. Je n’oublierai jamais.

En musique, je suis très éclectique, j’aime beaucoup de choses, sauf l’opéra. Je reconnais la prouesse de ces chanteurs, je suis admiratif, mais je n’aime pas.

Votre passion pour le vin a, par ailleurs, donné naissance à cette belle aventure qu’est le Domaine de Mellemont…

C’est une aventure dont je suis modestement assez fier. Il y a 31 ans, quand il m’est venu l’idée de planter 98 pieds de vigne – sept lignes de quatorze ! – dans une partie de notre jardin à Thorembais-les-Béguines, tout le monde me prenait pour un cinglé: planter de la vigne en Belgique, quelle idée? Je vois aujourd’hui toutes les vocations que cela a suscité, l’écosystème que cela a mis en place, des familles qui en vivent, deux classes IFAPME forment des vignerons belges… Il y a une économie qui se crée autour de cela, des gens qui construisent des cuves de maturation de vin avec du chêne wallon…

Le point de départ est simple. J’avais de bons vins à la cave, mais je n’avais pas mon vin, c’est quelque chose qui me manquait. Mon voisin, Etienne Rigo, un ami du Lion’s, agriculteur, venait régulièrement voir mes pieds de vigne d’un air un peu amusé. Trois ans plus tard, il est venu me montrerLe Sillon belge, le magazine des agriculteurs: il y avait une photo d’un viticulteur, Charles Henry, qui avait planté des vignes à Seraing, après la seconde guerre mondiale,et qui avait ramené des médailles de dégustation à l’aveugle en Bourgogne. “Un autre fou comme toi”, me dit Etienne Rigo. Nous avons été le voir, on a goûté le vin, on a cloné ses vignes et on les a installées sur un terrain d’un hectare derrière la ferme d’Etienne. Un an après, un autre voisin, François Vercheval, qui vinifiait de la rhubarbe et des fraises, nous a proposé d’apporté son expérience. C’est comme ça que le domaine de Mellemont est né en 1993.

Au début, nous avions du mal à convaincre les gens d’acheter du vin belge. J’étais patron d’Iris à l’époque, j’allais parfois tenir un stand au Mestdagh de Jodoigne et les gens me reconnaissaient. Bon an mal an, on vendait toute notre production. Quand nous avons eu l’occasion de louer une terre supplémentaire de deux hectares, on a replanté des vignes. Nous étions à l’époque le grand vignoble de Wallonie. Puis est arrivé Ruffus, notamment, à qui on doit vraiment le développement de la notoriété du vin chez nous.

Puis, en 2003-2005, sont arrivés les investisseurs: le Chant d’Eole, Bioul… C’est vraiment le démarrage, le volume est là, je prends la présidence de l’Association des vignobles de Wallonie. A l’époque, le ministre wallon de l’Agriculture, René Collin (CDH), nous a donné 50000 euros pour démarrer, la presse a suivi et le développement a continué. Maintenant, ce sont les grandes familles qui arrivent, avec de grands moyens: les Verhaeghe, de Mevius… qui construisent des chais de malade et font des vins à 50 euros. Il y a désormais des vins pour toutes les bourses et un effet d’entraînement.

Quand les “grands” de ce monde commencent à consommer quelque chose, on suit. Je suis très content. Si l’on me demande ce que tu as fait de bien dans ta vie, je répondrais que j’ai créé de l’emploi, mais aussi que j’ai relancé la vigne en Wallonie.

C’est une fierté particulière?

Bien sûr. On a beaucoup travaillé pour y arriver. Nous avons revendu le Domaine de Mellemont à quatre jeunes, cette année: ils ne se rendaient pas compte à quel point c’était un investissement de tous les jours. Avec Etienne et François, nous faisions tout. Sur une journée, je me changeais quatre fois: je mettais ma salopette le matin pour aller pulvériser avec un masque, j’arrivais en costume au bureau, je revenais mettre ma salopette pour broyer les sarments, puis mon smoking pour sortir.

Comment faisiez-vous?

J’aime bien, je m’organise.

Nous avons cédé le Domaine parce que François va avoir 67 ans, Etienne 64 ans et moi 62 ans. Je ne voulais pas garder ça seul et je ne voulais pas imposer ça à mes enfants. Avec un vignoble, nous ne partez plus en vacances: juin juillet, août, septembre, octobre, pas question de partir dix jours. Il faut s’occuper tout le temps de la vigne: c’est comme un bébé à la crèche.

Une fois que nous avons décidé de vendre le domaine, j’en ai parlé avec un de vos collègues de La Libre qui a évidemment titré que Mellemont était à vendre. Nous avons reçu quatorze marques d’intérêt durant la semaine. Je les ai tous rencontrés. Il y en a dix à qui j’ai dit ‘non’, ils ne savaient pas faire la différence entre une brouette et une pelle. Pour les gens, la vigne, ce sont les vendanges, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg, ça…

Avec ceux qui restaient, je ne voulais pas discuter d’argent, je leur ai demandé qu’ils expriment leur projet pour notre bébé dans trente ans. C’est cela qui a fait la différence. Deux gars m’ont écrit une belle histoire: faire grandir le vignoble le transformer en bio… C’est ce que je voulais entendre. Je leur ai dit: ‘Vous êtes mes préférés, mais il y en a un qui était fiscaliste à Anvers, l’autre vivait à Bruxelles, or il fallait être proche de la vigne’. Une semaine après, ils avaient trouvé deux copains, l’un qui revenait d’une expérience en ONG et son beau-frère qui est le fils de la brasserie Bertinchamps (à Gembloux). C’était le quatuor qu’il fallait. En deux jours, c’était réglé.

Nous les avons accompagnés pendant une année de façon active. La deuxième année, je resterais disponible, mais à distance. On attaque cette période-là.

Tout cela pour dire que le vin et moi, c’est plus qu’une bouteille de vin!

Comment faites-vous pour avoir autant de vies?

Ma grand-mère paternelle m’a appris à me lever très tôt. Nous voyageons très peu: sur une année, je gagne peut-être mille heures sur un individu normal, cela fait des jours disponibles. Et je suis curieux de nature, j’aime bien apprendre, je n’ai pas de talent particulier, je ne suis mauvais en rien.

C’est la belle histoire précédente, celle d’Iris, qui a permis tout ?

Ma première opération, c’est de l’opportunisme. A la fin de mes études d’ingénieur, en 1982, je devais faire mon service militaire, mais je ne savais pas quand je serai appelé. Il fallait que je fasse quelque chose. J’ai été bucheron dans les Ardennes pendant quatre mois et j’ai été engagé dans une entreprise où j’ai rencontré mon épouse. Nous nous sommes mariés et, de ce fait, je n’ai pas été envoyé en Allemagne. Il fallait bien vivre. Je connaissais bien les PC, j’en ferais bien un business et j’ai créé ma première boîte avant mon service militaire. J’ai signé un contrat avec une agence en douane où j’ai mis les PC en réseaux. Au service militaire, je fais de bonnes rencontres, notamment des gens proches de la Mitsubishi Bank. J’ai commencé à recruter du personnel depuis le bureau du colonel.

J’ai revendu cette entreprise après mon service militaire. Avec Prodata, nous avons racheté Iris qui était au bord de la faillite. Plus tard, après un MBO avec Pierre Demuelenaere, on l’a introduite en bourse et on a investi parallèlement dans Paradisio, que nous avons mis en bourse également. Ce sont deux belles opérations. Et à partir de 2001, j’ai pris du recul et j’ai décidé de rendre à la Wallonie ce qu’elle m’avait donné.

Ma première vie, c’est d’être Business Angel, depuis lors… Je prends pas mal de temps pour encadrer les entrepreneurs que j’encadre, mais en leur disant toujours: “Vous devez me faire sortir le plus vite possible!”. Ma deuxième vie, c’est de faire partie de nombreux conseil d’administration. Ma troisième vie, c’est être au service du gouvernement wallon de façon bénévole: avec le Conseil du Numérique, nous avons rédigé le Plan numérique, je suis vice-président de la SRIW et de l’Agence du commerce extérieur… Ma quatrième vie, ce sont mes passions: le vin, j’ai aussi créé une compagnie d’aviation, vendue depuis, je passe tous les permis bateau… et autobus. Pour le reste, je vais m’occuper de mes petits-enfants

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