Paul Gérard, le nouveau pilote de “L’Echo”
A 48 ans, le journaliste Paul Gérard prend les commandes du quotidien économique. Portrait d’un randonneur discret qui cultive l’esprit d’équipe.
Enfant, il rêvait d’être chauffeur de bus. Il se voyait déjà au volant d’un car beaucoup plus grand que son jouet Playmobil, avec l’envie de s’aventurer sur les vrais itinéraires de la vie. Il l’avait décidé: il serait ce guide respecté qui veille au confort de ses passagers pour les emmener prudemment vers de nouveaux horizons.
Quatre décennies plus tard, Paul Gérard n’a pas vraiment failli à ses rêves d’enfant. Certes, son petit bus Playmobil s’est transformé en un titre de presse, mais il porte bien aujourd’hui cette casquette invisible de conducteur avisé. Depuis le 21 janvier, l’homme a en effet pris les commandes du journal L’Echo pour emmener ses compagnons de route vers de nouveaux voyages rédactionnels avec, au bout du chemin, de probables virages numériques.
Le sens de la tribu
La dynamique de groupe, Paul Gérard connaît. A l’époque lointaine où il voulait devenir chauffeur de bus, il avait déjà le sens de la tribu. Il faut dire que ses six frères et soeur l’ont aidé à se forger un certain esprit d’équipe et que le concept de solidarité ne l’a plus vraiment quitté.
Originaire de Libramont, le nouveau rédac’chef de L’Echo a grandi entre un père médecin et une mère dont le métier à temps plein consistait à élever sept enfants. “Nous n’avons jamais manqué de rien, mais nous avons été éduqués à l’école de la simplicité, se souvient Paul Gérard. L’important, pour mes parents, c’est être, pas avoir.”
Bon élève, l’adolescent poursuit ses humanités en latin-grec, avant d’opter pour les romanes à l’université. Des candidatures à Namur portées par un Erasmus à Rennes ; des licences plus festives à Louvain-la-Neuve avec quelques cours de journalisme en option: l’étudiant boucle son parcours en 1994 avec une grande distinction. L’idée initiale de Paul Gérard est de poursuivre ses études avec un DEA en linguistique, mais en attendant, il décroche un stage estival à La Libre Belgique. Il fait chaud. Très chaud. Un de ses premiers articles s’intéresse à la pénurie de ventilateurs dans le pays. Il fait du terrain. L’expérience l’amuse. Le virus du journalisme le contamine doucement. Il ne fera pas son DEA en linguistique.
La dynamique de groupe, Paul Gérard connaît. A l’époque lointaine où il voulait devenir chauffeur de bus, il avait déjà le sens de la tribu.
Pigiste régional
Remarqué durant son stage, l’apprenti reporter de 22 ans se voit proposer un statut de pigiste pour couvrir sa province natale du Luxembourg belge. Le jeune correspondant retourne chez ses parents et aiguise sa plume, durant un an, dans les pages régionales de La Libre. A Bruxelles, un bureau finit par se libérer et Paul Gérard est alors invité à rejoin-dre la rédaction centrale. Cette présence physique au coeur du journal l’installe davantage dans l’équipe du quotidien. Certes, il n’est toujours pas salarié, mais on lui confie davantage de responsabilités. Il marque son territoire, prend de l’assurance et supervise même l’édition du soir.
En 1997, il découvre un nouvel univers. Le journaliste rejoint la cellule La Libre Entreprise et embrasse l’économie. Il n’a jamais étudié cette matière mais son collègue Yves Cavalier – “un puits de science”, dit-il – le guide dans ces dossiers a priori complexes. Ce sont de belles années, marquées par un nouveau défi et “une super équipe”. Mais l’engagement définitif se fait attendre et le jeune indépendant ne résiste pas à l’appel de L’Echo qui, en 2000, lui propose un contrat de salarié. Là-bas, il se fond dans l’équipe des marchés financiers, peaufine ses connaissances boursières, mais n’est pas véritablement heureux. “A l’époque, ça ne pulsait pas trop, sourit Paul Gérard. L’ambiance de La Libre me manquait et finalement, après un an, j’ai décidé de faire une pause.”
L’appel du large
Affranchi de toute contrainte, le journaliste écrit malgré tout. Il tente l’aventure du roman, couche quelques nouvelles sur papier, mais l’appel du large finit par le rattraper. Passionné de voile, Paul Gérard a en effet découvert les sports nautiques, adolescent, lors de quelques stages, et gardé un contact charnel avec la mer. Lorsque l’occasion d’une “transat” se présente, il n’hésite pas un instant et intègre un équipage dont la mission consiste à conduire un voilier en Guadeloupe. Cette expédition de 16 jours l’enchante et lui donne un autre regard sur le monde. “C’était un moment hors du temps, se souvient Paul Gérard. Ce genre d’expérience vous ramène à qui vous êtes vraiment car les éléments vous rappellent votre juste place dans le monde.”
Cette passion pour les grands espaces ne quittera plus Paul Gérard, même si aujourd’hui la terre a pris le pas sur la mer chez cet homme qui pratique volontiers la randonnée. Sa femme Sabine Verhest est aussi, il est vrai, grande voyageuse dans l’âme et reporter pour La Libre. “Elle a beaucoup roulé sa bosse dans la région de l’Himalaya, confie le journaliste. Elle a publié un livre sur le Tibet, un autre sur le Bhoutan, et il y a trois ans, nous avons emmené nos deux filles pendant cinq mois en voyage au Vietnam, au Laos et au Cambodge. C’était magique. Nous voulions leur montrer que le monde est grand et varié, et que la diversité est une richesse.”
Vision globale
Après son expérience transatlantique de 2001, Paul Gérard renoue avec la profession de journaliste. Cette année-là, il rejoint l’équipe de la chaîne de télévision Canal Z et se voit confier une émission hebdomadaire où il interviewe, pendant presque quatre ans, les grands patrons, les personnalités politiques et les acteurs du monde académique. Il passe ensuite au service Economie du journal Le Soir où il couvre la crise bancaire de 2008 – “un moment unique”, confesse-t-il l’oeil pétillant – et “apprend énormément sur le métier et les destins chahutés”. Avec ses collègues Joan Condijts et Pierre-Henri Thomas, il signera d’ailleurs le livre La Chute de la maison Fortis aux éditions JC Lattès.
Les excès des grosses banques lui ont toutefois donné le tournis et, en 2010, Paul Gérard décide de “passer de l’autre côté”. Il est nommé communication manager de la banque durable Triodos et s’attèle, durant quatre ans, à mieux faire connaître cette institution atypique. Il apprend à travailler différemment, à collaborer davantage avec les autres, mais le journalisme finit par le rattraper. En 2014, l’homme décide de revenir aux fondamentaux du reportage et, après un passage éclair de quelques mois au Vif, il rejoint à nouveau L’Echo en 2014 pour traiter de l’actualité des banques. “Un gars charmant”, “brillant”, “perfectionniste”, “opiniâtre”, “qui a une grande maîtrise de ses dossiers”, racontent ses compagnons de route.
Prêt pour le job
En 2019, le journaliste devient éditorialiste et, lorsque son rédacteur en chef François Bailly décide de quitter le navire en décembre 2020, Paul Gérard marque alors son intérêt pour reprendre les commandes du quotidien économique. Les responsables de Mediafin – l’éditeur des journaux L’Echo et De Tijd – lui accordent leur confiance et c’est désormais un nouveau métier qui attend le romaniste de formation. “Je me sens prêt pour ce job, conclut Paul Gérard, même si je suis aujourd’hui dans une phase d’absorption. Il est vrai que je dois encore grandir dans cette dimension de manager, mais je pense avoir pratiqué suffisamment de facettes dans le métier pour incarner la fonction de rassembleur. En fait, je suis plus dans l’objectif ‘chef d’orchestre’ pour pousser encore plus loin le journalisme de qualité qui caractérise L’Echo et cultiver plus que jamais l’esprit d’entreprendre en Belgique francophone.”
Un chef d’orchestre… Pour emmener ses troupes sur les routes du succès, la métaphore du chauffeur de bus aurait été tout aussi appropriée.
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