PAC sacrifiée, fermes menacées : la colère gronde à Libramont

Caroline Lallemand

La 89e Foire agricole de Libramont est lancée mais l’ambiance est loin d’être à la fête. La proposition de la Commission européenne de réduire le budget de la PAC de près de 20 % fait l’effet d’une gifle pour un secteur déjà fortement fragilisé. Derrière les discours techniques, c’est tout le modèle de l’agriculture familiale wallonne qui vacille, menacé par une financiarisation rampante et un désengagement progressif de l’UE.

La Foire agricole de Libramont, inaugurée ce vendredi 25 juillet, est la plus grande foire agricole en plein air d’Europe. Elle est non seulement une vitrine, mais aussi un précieux baromètre d’un secteur tiraillé entre un passé qu’il peine à préserver, et un futur incertain. Quelque 700 exposants et 200.000 visiteurs sont attendus selon le organisateurs.

Cette année, l’atmosphère est quelque peu plombée. Plus que jamais, les agriculteurs se demandent s’ils ont encore prise sur leur avenir. L’annonce récente de la Commission européenne – une réduction de près de 20 % du budget de la PAC pour la période 2028-2034 – a agi comme une onde de choc dans un monde agricole déjà miné par les incertitudes climatiques, économiques et sociales.

BELGA PHOTO BRUNO FAHY

Les 300 milliards d’euros proposés pour l’aide au revenu des agriculteurs et la gestion de crise, qui représentent 80% du budget actuel de la PAC 2023-2027, font en effet craindre un recul des aides aux agriculteurs, même si les États membres auront sans doute la possibilité d’aller puiser dans d’autres fonds pour soutenir le secteur.

“Décus sur le fond et sur la forme”

Nous sommes déçus, tant sur le fond que sur la forme. Cette proposition de la Commission ne va pas dans la bonne direction. C’est une déception totale”, résume Daniel Coulonval, le président de la Fédération wallonne de l’agriculture (FWA). “Les annonces de la Commission européenne ne sont pas à la hauteur des enjeux et sont vécues comme une trahison par nos membres”, affirme pour sa part le président du syndicat agricole Fugea, Philippe Duvivier, qui se demande ce qu’il restera de “commun” dans la PAC en 2028. 

“C’est une trahison pour nos membres. La PAC n’aura bientôt plus rien de commun.”

Un changement de paradigme

Ce n’est pas simplement une coupe budgétaire qui est en jeu, c’est un véritable changement de paradigme. En transférant plus de responsabilités aux États membres, Bruxelles organise une renationalisation rampante de la politique agricole. Et avec elle, un risque majeur : la montée en puissance d’une agriculture à plusieurs vitesses.

Derrière ce changement technique se joue selon elle un basculement politique majeur. La ministre de l’agriculture wallonne estime qu’« invisibiliser une politique, c’est le premier pas vers sa marginalisation. Mais, est-ce qu’on se rend compte qu’on mange trois fois par jour, et que l’agriculture n’aurait même plus de nom dans les politiques européennes du futur ?! Ça, ça m’inquiète », lance-t-elle.

Vers une financiarisation rampante de l’agriculture wallonne ?

Loin des clichés du paysan de terroir, l’agriculture wallonne vit une mue discrète mais irréversible. Le nombre d’exploitations continue de reculer, pendant que les fermes s’agrandissent, ce qui exige des investissements massifs et une gestion toujours plus technocratique. Le président de la FWA, Daniel Coulonval, ne cache pas son inquiétude : “On assiste à une transformation profonde du métier. Des sociétés financières, de gestion, s’implantent. On s’éloigne du modèle familial, qui est pourtant l’ADN de notre agriculture.”

On s’éloigne du modèle familial, qui est pourtant l’ADN de notre agriculture.”

C’est peut-être là l’angle mort du débat actuel. Car si les projecteurs sont braqués sur le budget PAC et les aides à la transition écologique, un phénomène plus insidieux est à l’œuvre : une concentration des terres, une industrialisation progressive des exploitations, et l’arrivée d’acteurs extérieurs, non issus du monde agricole, dans la gestion des fermes.

« On doit défendre une agriculture familiale, de proximité, indépendante. Parce que sinon, d’autres prendront la place.

Pour Anne-Catherine Dalcq, ministre wallonne de l’agiculture (MR), rencontrée lors d’une récente table ronde sur le monde agricole organisée par CBC Banque, c’est tout le modèle agricole qui est en jeu. « On doit défendre une agriculture familiale, de proximité, indépendante. Parce que sinon, d’autres prendront la place. En Ukraine, certaines exploitations font la taille de la Belgique et sont détenues par des capitaux chinois. Est-ce qu’on veut de ça, en Belgique ? Non ! ». La ministre estime que « Tant qu’on a des jeunes agriculteurs indépendants, qui détiennent la terre wallonne, on garde notre souveraineté alimentaire. L’Union européenne doit prendre conscience de ce qu’elle est en train de faire. Moi, je me bats à tous les niveaux – dans toutes les instances – pour une PAC forte. »

L’agriculteur Michaël Coulouse, la ministre wallonne de l’Agriculture et de la Ruralité Anne-Catherine Dalcq, le modérateur et économiste Bernard Keppenne ainsi que Benoît Dardenne de la FJA, photographiés lors de la table ronde « Le monde agricole en 2025 », organisée par CBC Banque & Assurance à la veille de la Foire agricole de Libramont, le mardi 15 juillet 2025, à Hannut.

PAC en recul, modèle coopératif sous pression

Le paradoxe est cruel : alors même que 2025 a été proclamée “Année internationale des coopératives” et que Libramont célèbre le thème “Notre agriculture, tous concernés !”, les fondements du modèle coopératif et familial sont fragilisés par l’incertitude budgétaire.

Une PAC affaiblie, ce sont en effet moins de leviers pour garantir un revenu digne, soutenir la relève, et accompagner les petites exploitations dans la transition écologique. Ce sont aussi des barrières de plus en plus hautes à l’entrée dans la profession – dans un secteur où l’âge moyen atteint déjà 58 ans en Wallonie.

Car les impacts concrets seraient immédiats. « Aujourd’hui, 50 % des agriculteurs ont plus de 55 ans. Cela signifie que dans les 15 prochaines années, une majorité partira à la retraite, commente Anne-Catherine Dalcq. Si nous n’avons pas de jeunes pour reprendre les fermes, qui va nous nourrir demain ? Chaque installation coûte cher. Or, les aides à l’installation sont financées par le deuxième pilier de la PAC. Si on le coupe de 20 %, comment vont-ils s’en sortir ? ».

Et la PAC n’est pas le seul souci du monde agricole, soumis depuis toujours mais plus que jamais, aux aléas météorologiques et climatiques, aux maladies animales ainsi qu’aux soubresauts des marchés internationaux. Sans parler de la conclusion d’un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur qui continue de diviser en Europe et en Belgique.

« Nos fermes vont disparaître »

Pour Michaël Coulouse, aviculteur, producteur de pommes de terre et administrateur d’une société agricole à Hannut, témoigne: « Il faut aujourd’hui trouver des solutions pour aider à la reprise des exploitations familiales. Sans un soutien adapté, nous risquons de voir nos fermes disparaître progressivement au profit de grands groupes agroalimentaires. Il en va de la survie de notre modèle agricole, mais aussi de la diversité de nos paysages, de l’emploi rural et de la qualité de nos produits locaux ».

Selon l’Observatoire CBC mené auprès de 300 agriculteurs en 2024, 77% des sondés ont des craintes quant à l’avenir de l’agriculture en Wallonie. 50 % des agriculteurs wallons estiment que leur exploitation n’est pas (encore) rentable.

Un appel aux autorités

La ministre wallonne de l’Agriculture et de la Ruralité, Anne-Catherine Dalcq, prononce un discours lors de la 89e édition de la Foire agricole de Libramont (25 au 28 juillet), ce vendredi 25 juillet 2025 à Libramont.

Dans ce contexte, six syndicats agricoles wallons ont tenu à exprimer vendredi leur inquiétude et leur colère face à la menace d’une réduction du budget de la Politique agricole commune (PAC) après 2027. Une initiative inédite, prise à l’occasion de l’inauguration de la Foire agricole de Libramont, que le gouvernement wallon, son ministre-président en tête, dit avoir entendue.

Lors d’une prise de parole commune, face à un beau parterre de ministres wallons et fédéral, la FWA (Fédération wallonne de l’Agriculture), la Fugea, la FJA (Fédération des jeunes agriculteurs), l’UAW (Union des agricultrices wallonnes), l’Unab (Union des agriculteurs bio) et le Bauernbund (agriculteurs germanophones) ont redit, comme ils l’avaient fait dans les rues de Bruxelles mi-juillet, tout le mal qu’ils pensent des récentes propositions de la Commission européenne de réduire le budget de la PAC de 20%.

La crainte d’une “renationalisation” de la PAC

La latitude plus grande qui serait donnée aux États membres fait craindre “une renationalisation” de la PAC et une mise en place d’une concurrence entre agriculteurs européens. “Ces annonces sont désastreuses pour le monde agricole, tant au niveau européen que wallon”, a d’abord tonné Philippe Duvivier, pour la Fugea. “Nos revendications étaient limpides: une politique agricole commune dotée d’un budget solide, permettant de garantir des prix justes et d’accompagner les agriculteurs dans les transitions. Rien, je dis bien rien de ce que la Commission a proposé la semaine passée en matière budgétaire ne permet d’atteindre ces objectifs”, a-t-il ajouté.

Le président de la FWA, Daniel Coulonval, lors de la 89e édition de la Foire agricole de Libramont (du 25 au 28 juillet), ce vendredi 25 juillet 2025 à Libramont.

“Faire plus avec moins, on n’a jamais su le faire”, a estimé pour sa part Florian Poncelet, de la FJA, rappelant aussi l’enjeu du renouvellement générationnel alors que l’âge moyen des agriculteurs wallons est de 58 ans. Le cri des syndicats agricoles semble avoir reçu une oreille attentive. “Notre message est clair et rassurant: vous n’êtes pas seuls, le gouvernement wallon est à vos côtés”, a lancé, en réponse, le ministre-président Adrien Dolimont.

Notre message est clair et rassurant: vous n’êtes pas seuls, le gouvernement wallon est à vos côtés

Le ministre-président, venu avec ses deux enfants jusqu’à la Libramont, “là où s’exprime l’âme du monde agricole”, selon lui, a également défendu le modèle d’agriculture familiale, “un pilier de notre Wallonie”, “non un vestige du passé mais une promesse d’avenir qui fait vivre nos paysages, nos villages, nos familles et qui participe à notre souveraineté alimentaire.” De son côté, la ministre wallonne de l’Agriculture, Anne-Catherine Dalcq, a répété “comprendre et partager” la colère des agriculteurs et assuré qu’elle se battrait “à tous les niveaux” pour une politique agricole commune forte et à la hauteur des besoins. “Une Europe sans politique agricole forte est une Europe fragile face aux crises, aux pénuries et à la spéculation”, a-t-elle encore estimé.

Un secteur qui se concentre, mais ne décroît pas

En 2024, la Belgique comptait 33.973 exploitations agricoles, en baisse de 0,8 % par rapport à 2023. Une érosion progressive mais continue qui s’observe aussi bien au nord qu’au sud du pays. La Flandre enregistre la baisse la plus marquée (-1,13 %), contre -0,34 % en Wallonie. Seule la Région bruxelloise affiche une progression, modeste mais notable, avec 78 exploitations contre 67 l’année précédente. La superficie agricole totale, quant à elle, reste stable, illustrant une dynamique de concentration : les exploitations deviennent plus grandes, souvent plus capitalisées, dans un contexte de compétitivité accrue. Cette évolution est en ligne avec les tendances observées ailleurs en Europe, où la viabilité économique impose une professionnalisation croissante du métier.

Avec BELGA

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