Oxygène belge à New York : le rêve américain de CO2logic
Désireux de diminuer les émissions de CO2 à plus grande échelle, l’environnementaliste Arnaud Brohé a exporté outre-Atlantique le savoir-faire de la PME belge de conseil et bilans carbone. Parmi ses premiers clients : quelques grands noms de Wall Street.
Au coeur de Manhattan, Arnaud Brohé file d’une réunion à l’autre. En vélo. L’entrepreneur belge est évidemment cohérent avec les idées qu’il défend et les services qu’il propose. Depuis 2016, il porte les couleurs vertes de CO2logic à New York et tente de convaincre des entreprises américaines de calculer, réduire et compenser leurs émissions de CO2. Sous l’ère Trump, ce pari semble complètement fou. Pourtant, le bureau de conseil trace sa voie.
En trois ans, l’antenne américaine de CO2logic est passée d’une à trois personnes et compte une vingtaine de clients dont quelques gros ou prestigieux poissons, comme l’agence de presse Thomson Reuters, le spécialiste de l’emballage verrier Owens-Illinois ou le magazine National Geographic. Mais, surtout, son intervention a permis d’économiser sur une année 300.000 tonnes de CO2, soit l’équivalent des émissions annuelles de 30.000 Belges.
La création du bureau new-yorkais de CO2logic ne coulait pourtant pas de source. En Belgique, cette entreprise spécialisée en bilan carbone, en réduction d’émissions de CO2 et en compensation carbone, tourne comme une horloge. Lancée en 2007, elle compte près de 200 clients dont environ la moitié des sociétés du Bel20. Une jolie réussite pour la PME qui veut ” créer le changement “. Pour y arriver, elle a également lancé son propre label et des dizaines de projets de compensation carbone dans des pays d’Afrique et d’Asie, permettant également de contribuer à des objectifs de développement durable. Au fil des ans, l’entreprise a accompagné sa croissance en augmentant ses effectifs. Elle comptait jusqu’il y a peu une dizaine de collaborateurs, dont Arnaud Brohé.
Avant, aux Etats-Unis, le sujet du climat était tabou. Aujourd’hui, on peut en parler sans être considéré comme un extraterrestre de gauche.
Expert en comptabilité carbone et développement de projets pour le climat, celui-ci fut de l’aventure de CO2logic dès ses débuts, aux côtés des deux fondateurs : Antoine Geerinckx et Tanguy du Monceau. Il y mène alors des projets pendant plus de cinq ans tout en donnant un cours de management environnemental à l’ULB. Après un passage au Boston Consulting Group, il revient chez CO2logic. Parmi les clients de ce consultant, tout ce que le secteur public fait de mieux en Belgique : l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement, l’Agence wallonne de l’air et du climat, plusieurs SPF, la Commission européenne, etc. Mais l’homme désire travailler à l’international. Et c’est le projet d’un client qui l’y aidera.
L’occasion fait le larron
Le Pain quotidien, déjà client de CO2logic, sollicite en effet le bureau de conseil pour auditer la quarantaine de points de vente localisés à New York. Sur les suggestions de ce dernier, elle remplace notamment tous ses éclairages par des Led, réduisant sa consommation énergétique de manière structurelle et économisant des centaines de milliers de dollars. Sous les encouragements de l’ex-patron du Pain Quotidien, Vincent Herbert, CO2logic décide alors d’ouvrir un bureau sur place. Une opportunité pour Arnaud Brohé qui souhaite ” évangéliser ” les Etats-Unis à la cause du climat. D’autant que son épouse y poursuit justement un post-doctorat, à l’université de Columbia. ” Arnaud était la personne parfaite pour développer l’entreprise outre-Atlantique “, assure aujourd’hui Antoine Geerinckx, le CEO belge.
Arnaud Brohé prend donc 50 % des parts de CO2logic Inc. Et repart de zéro… ” Quand je suis arrivé, nous avions juste un client, Le Pain Quotidien, et à peine quelques prospects dans le secteur horeca. J’ai pris mon téléphone, j’ai envoyé des e-mails, je suis allé à des événements pour essayer de solliciter d’autres clients. ” Belle leçon d’humilité pour ce surdiplômé titulaire de masters en sciences politiques, en management (Solvay), en management environnemental et d’un doctorat en environnement.
Terrain propice
Au début, le consultant vise les PME. Rapidement, il réalise qu’il ne prend pas le marché par le bon bout. ” Les petites entreprises sont prêtes à investir 10.000 dollars si elles sont sûres qu’elles vont en récupérer rapidement 15.000, constate-t-il. Mais le retour n’est pas aussi immédiat. Suite à notre bilan carbone, les pistes d’amélioration demandent généralement des investissements. ” Arnaud Brohé décide alors de s’attaquer aux entreprises du S&P 500, l’indice boursier qui regroupe 500 des plus grandes entreprises du pays. Il rédige un ouvrage sur la comptabilité carbone qu’il envoie à tous leurs responsables de développement durable. Parce qu’il y en a ! En effet, contrairement à ce que l’on pourrait croire vu d’Europe, les entreprises américaines s’organisent aussi pour lutter contre le réchauffement climatique. ” Cette thématique est désormais davantage présente dans les médias et moins mise en doute, y compris dans le camp républicain, se réjouit notre expert. Dans les villes, dans les entreprises, elle est prise au sérieux. ” Par exemple, via We are still in. Cette ONG rassemble près de 3.500 organisations représentatives de l’économie et de la société civile qui s’engagent à respecter les objectifs de l’accord de Paris, malgré le retrait des Etats-Unis. Le consultant belge observe clairement un vrai changement de mentalité. ” Avant, il fallait parler d’efficacité énergétique, pas de climat. Le sujet était tabou. Et le mot considéré comme politisé. Aujourd’hui, on peut en parler sans être considéré comme un extraterrestre de gauche. ”
Réduction en cascade
Résultat, les efforts de l’entrepreneur belge finissent par payer. Il décroche son premier ” gros ” client : LG Electronics. ” Ils nous ont d’abord recrutés pour réaliser les bilans carbone d’une cinquantaine de sites en Amérique du Nord “, explique Arnaud Brohé. Mais le groupe engage ensuite également CO2logic Inc. comme conseil pour sa stratégie énergétique et l’achat de certificats verts. D’autres gros clients suivent, comme Thomson Reuters. Des entreprises qui ont compris tous les avantages de se positionner sur cette thématique. ” Elles veulent faire de la gouvernance sociale et environnementale un facteur différenciant et une opportunité business “, témoigne le consultant. Le fait d’être neutre en carbone permet en effet d’attirer et de retenir des talents sensibles à cette problématique. Et que ce soit à New York ou en Belgique, ce message rehausse l’image de la société, tant auprès des clients que de ses collaborateurs.
Les grandes entreprises veulent faire de la gouvernance sociale et environnementale un facteur différenciant et une opportunité business.” Arnaud Brohé
Voilà pourquoi, parmi les recommandations que formule CO2logic, celle de communiquer en interne à propos du bilan carbone et des engagements pris par l’entreprise reste une des plus fondamentales. ” Cela ne coûte rien mais cela permet de conscientiser chaque salarié, de les encourager à participer à la dynamique “, assure Antoine Geerinckx. D’autant que ces efforts payent également en B to B. ” Puisque toutes les grandes entreprises ont maintenant des objectifs de réduction de CO2, elles ont intérêt à passer par des fournisseurs qui sont dans cette même logique “, affirme Arnaud Brohé.
Une vision d’avance
Aux Etats-Unis, le spécialiste en environnement avance toutefois sur un terrain à peine défriché. Sur les questions climatiques, le Vieux Continent a en effet une longueur d’avance ” Ici, nos concurrents locaux dans ce type de conseil aux entreprises sont quasiment tous européens “, note-t-il. Seule résistance : l’achat de crédits carbone pour des projets de compensation mis sur pied dans des pays en développement. ” En l’absence de cadre réglementaire, les Américains préfèrent compenser leurs émissions localement et sur base volontaire, par exemple en se construisant un parc éolien. ” L’entrepreneur propose alors, en alternative, des crédits carbone en provenance d’intermédiaires. Mais à terme, il souhaiterait que CO2logic développe ses propres projets de compensation sur place, aux Etats-Unis. Ce qui demanderait plusieurs années et une équipe.
Justement, en 2019, il a engagé deux personnes et espère en recruter une troisième avant la fin de l’année. Après deux années en perte, l’exercice 2018 s’est terminé en bénéfice et la croissance se confirme cette année. Pour 2020, il ne vise rien de moins qu’un chiffre d’affaires d’un million de dollars.
Impact décuplé
On comprend parfaitement que le consultant apprécie la taille du marché américain, qui décuple l’impact de ses recommandations. Arnaud Brohé prend l’exemple de Thomson Reuters, qui emploie 40.000 personnes dans 150 bureaux. ” Son impact est en conséquence. Dix gros clients ici équivaudraient à une centaine de clients en Belgique. D’autant qu’ils sont souvent très influents et présents à Davos. ” On l’a compris, au-delà des affaires, l’objectif de ce visionnaire reste bien la réduction de CO2. et la fixation par les gouvernements d’un prix sur le carbone. Et de préférence élevé !
D’ici là, l’expert serait ravi de conseiller le constructeur de voitures électriques Tesla, dont Arnaud Brohé dit qu’il est paradoxalement peu transparent en matière d’émissions de gaz carbonique. Ou travailler pour une compagnie aérienne en agissant sur la transition vers le bio-fuel, le renouvellement de la flotte et la compensation carbone via un système de points. Aux Etats-Unis, l’homme a déjà réussi à positionner une petite société de consultance belge ; ses autres rêves américains pour le climat pourraient tout aussi bien se concrétiser.
Par Caroline-Legast.
300.000 tonnes
La quantité de CO2 que l’antenne américaine de CO2logic a réussi à faire économiser par ses clients en un an. Soit l’équivalent des émisssions annuelles de 30.000 Belges.
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