On a testé les courses vocales… Et ce n’est pas si simple!
Le numéro un de la distribution belge propose à un panel de clients de dicter leur liste de courses via leur smartphone ou leur enceinte connectée. Nous avons tenté l’expérience. Et ce n’est pas si simple…
“OK Google. Parler avec Colruyt. ” Nous voici mis en contact avec le distributeur de Hal, qui nous demande – vocalement – quel article nous souhaitons ajouter à notre liste de courses… Depuis mi-février, le numéro un du secteur en Belgique teste la commande vocale avec un panel de clients qui ont accepté de se prêter au jeu. Ces derniers peuvent, pendant une durée d’un mois, dicter leur liste de courses à l’Assistant Google de leur smartphone ou à leur enceinte connectée Google Home. ” Nous allons ainsi vérifier si la technologie vocale leur permet d’élaborer plus efficacement leur liste, explique Jessie Maras, responsable marketing stratégique de l’enseigne. Concrètement, ce test nous permettra de voir comment nos clients dictent leurs courses, quels sont les termes choisis pour commander de l’eau, par exemple. Par ailleurs, nous allons vérifier si nos recommandations correspondent à ce que nos clients souhaitent acheter. ” Car l’algorithme qui se cache derrière ce nouveau service fonctionne sur base de l’historique des achats déjà effectués auprès de Colruyt. Pour pouvoir passer une commande vocale, il est donc nécessaire de disposer d’un login Xtra, la carte de fidélité du groupe.
Grâce au shopping vocal, on peut deviner pourquoi un consommateur achète tel ou tel produit, ce qui n’est pas le cas lors d’une commande classique en ligne. ” Pierre-Alexandre Billiet (Gondola)
Autant le dire tout de suite : l’outil mis en place par l’enseigne est encore basique. Ceci étant, même s’il s’agit d’une première ébauche destinée évidemment à être améliorée (ou abandonnée ? ) suite au feed-back des clients- testeurs, cette version bêta permet de comprendre le potentiel et – peut-être – les limites du shopping vocal.
Retour à notre commande. Une fois en relation avec Colruyt via l’Assistant Google, nous pouvons demander un premier article. ” Des chips. ” ” OK, des chips. Voulez-vous ajouter autre chose ? ” ” Des capellini Barilla “, ” de la mozzarella “, ” de la confiture aux fraises Materne “, ” du jus d’orange “, ” trois pommes “, ” une pizza Dr.Oetker Spinaci “, etc. Pour terminer notre commande, il suffit de répondre ” non merci “. ” Votre liste contient X articles. Merci et à bientôt. ”
Des courses à l’aveuglette
Première étape passée, voici la deu-xième : vérifier si les produits enregistrés sont bien ceux que nous souhaitions. Hélas, pour effectuer cette opération, nous devons quitter l’Assistant Google pour nous rendre dans l’application de Colruyt. Impossible, donc, de dicter ses articles et de les voir apparaître directement sur sa liste : il faut à chaque fois switcher, avec cette désagréable impression d’énoncer ses courses ” à l’aveuglette “. Qu’importe, une fois dans l’application, bonne nouvelle : les différents articles énoncés ont bien été enregistrés.
Reste maintenant à constater si ce que Colruyt nous a proposé correspond à nos souhaits. Précisons que nous n’avons pas d’historique d’achats au sein de la chaîne. Pour les chips, nous aurons droit à un paquet de 200 grammes de chips au sel Everyday, la marque premier prix de Colruyt. Un sans faute pour les capellini Barilla, qui ont été correctement inscrits sur notre liste. Pour la mozzarella, l’algorithme de Colruyt a décidé de nous proposer un paquet de 250 grammes de Galbani. Le distributeur ne nous a pas recommandé sa marque propre, alors que nous n’avions pas précisé ce que nous souhaitions. Côté confiture, c’est plutôt raté ! Nous avions pourtant été précis dans notre demande, mais le système nous propose de la confiture Materne fraises/groseilles rouges… Le jus d’orange qui nous a été recommandé est une bouteille de 500 ml de marque Boni (la marque propre du groupe), en réduction. Et pour la pizza, l’outil n’a pas enregistré la marque souhaitée. Il nous propose du coup une pizza margherita sans marque. Enfin, alors que nous n’avions commandé que trois malheureuses pommes, Colruyt tente de nous refourguer 3 x 2 kg de pommes de table Everyday !
Un gain de temps, vraiment ?
Que conclure de ce premier contact avec le service vocal de Colruyt ? Première remarque, dans ce test, on ne peut qu’énoncer des articles ainsi que leur quantité. Il est impossible d’en supprimer ou de se voir proposer d’autres suggestions.Tout au plus peut-on, après avoir énoncé un produit, le remplacer par un autre article. En fait, il n’y a aucune réelle conversation. Une fois la liste dictée, la suite du processus se déroule plus classiquement dans l’application. Le consommateur peut y modifier les quantités désirées d’un article ou remplacer celui-ci par un autre. Une liste de tous les produits similaires s’ouvre alors et il suffit de sélectionner l’article qui vous convient mieux. Reste que parcourir sa liste pour modifier des produits ou des quantités prend énormément de temps. La voix n’apporte dans ce cas-là aucune plus-value. Que du contraire, ici, son usage n’a, en fait, que considérablement allongé la procédure.
Mais une question nous tarabuste : par ce procédé, Colruyt ne poursuit-il pas le but de pousser ses marques maison ? L’enseigne réfute. ” Le seul principe qui sous-tend les recommandations est l’historique d’achats des clients, insiste Jessie Maras. Si un client a pour habitude d’acheter telle confiture bien précise, lorsqu’il dira simplement ‘confiture’, nous lui proposerons celle qu’il achète le plus souvent. ” Pourtant, sur base du test que nous avons effectué ( voir notre infographie ” Une même commande, des résultats étonnants “), on remarque que l’enseigne ne s’est pas privée de recommander son dentifrice et son beurre Everyday à un client régulier qui, pourtant, n’achète jamais cette marque. Au nouveau client qui ne dispose d’aucun historique chez Colruyt, la chaîne a également proposé à plusieurs reprises ses marques maison, même si elle a aussi parfois recommandé certaines grandes marques alors que leur nom n’avait pas été mentionné (beurre Balade, pâtes Soubry, etc.).
L’importance de la juste recommandation
Au final, cette première expérience du shopping vocal nous laisse un sentiment mitigé. Si dicter ses courses peut-être séduisant à première vue (on peut énoncer sa liste à voix haute dans sa voiture, en effectuant une autre activité, quand une idée nous vient en tête, etc.), en pratique, l’exercice se heurte à plusieurs contraintes. Le shopping vocal semble ainsi interdire toute forme de complexité. Incapacité de comparer plusieurs articles, difficulté à commander un produit aux caractéristiques spécifiques (imaginez-vous commander vocalement du muesli chocolat/noisettes avec édulcorant à base de stévia), impossibilité de scruter les ingrédients de telle ou telle préparation, difficulté à commander les bonnes quantités, etc. L’usage de l’écran semble rester indispensable. Celui-ci joue d’ailleurs toujours un rôle prépondérant dans le cadre du test lancé par Colruyt. Même pour finaliser sa commande. A l’heure actuelle, il nous faut en effet aussi préciser via l’application où et comment nous souhaitons retirer notre notre panier. ” Le passage de commande pourrait très bien se faire vocalement, précise la responsable marketing. Mais nous attendons d’avoir le feed-back de nos clients pour décider si cela est vraiment plus efficace. ”
Pour l’instant, le shopping vocal semble interdire toute forme de complexité. Incapacité de comparer plusieurs articles, difficulté à commander un produit aux caractéristiques spécifiques, à commander les bonnes quantités, etc.
Autre question, alors qu’on sait qu’environ quatre cinquièmes de nos listes d’achats en supermarché ne varient pas d’une semaine à l’autre, le shopping conversationnel n’est-il pas voué à rester un simple gadget ? Il semble en effet bien plus rapide de reprendre sa dernière liste de courses et de sélectionner les articles que l’on souhaite racheter. Quant aux nouveaux articles, même si les rechercher prend certainement un peu plus de temps que les dicter, nous avons au moins la certitude, ce faisant, de ne pas devoir repasser toute notre liste en revue pour modifier les recommandations erronées.
Il paraît clair que la voix ne pourra s’imposer dans nos courses qu’à la condition que les recommandations visent juste. Le détaillant de Hal y travaille dans le cadre de ce test qui, rappelons-le, est un premier jet. Il aura au moins eu le mérite de nous inciter à créer un compte. Déjà une première victoire pour Colruyt!
Albert Heijn (Ahold Delhaize) et Jumbo aux Pays-Bas, Carrefour en France, Colruyt chez nous, etc. Les distributeurs sont décidément nombreux à vouloir donner de la voix. ” Nous voulons faciliter la vie de nos clients dans l’élaboration de leur liste de courses “, assènent-ils en choeur. Mais les véritables raisons de cet intérêt soudain pour le shopping vocal sont à chercher ailleurs. En entrant dans notre intimité via les enceintes connectées, les enseignes mettent en réalité la main sur une mine d’informations concernant – plus que nos achats stricto sensu – nos manières de consommer.
” Il n’y a rien de plus costaud que les habitudes de consommation, assure Pierre-Alexandre Billiet, CEO de la revue professionnelle Gondola. Et en accompagnant le consommateur en dehors de son acte d’achat proprement dit, la voix permet de capter ces habitudes, qui représentent chez nous un marché d’environ 2,5 milliards d’euros rien que dans le secteur du food retail. ” Le client demande des informations sur des batteries ? Peut-être faut-il lui en proposer des neuves. Le consommateur commande un pot de choco alors qu’il est en train de prendre son petit-déjeuner ? Peut-être sera-t-il réceptif à ce qu’on lui propose, au bon moment, de la confiture. ” Grâce au shopping vocal, on peut deviner pourquoi un consommateur achète tel ou tel produit, ce qui n’est pas le cas lors d’une commande classique en ligne, relève notre expert. Les enseignes vont en outre savoir comment les gens énoncent les produits. Cela peut également leur fournir de précieuses informations. ”
Parce qu’il permet de proposer plusieurs alternatives à un article, le shopping conversationnel offre par ailleurs aux retailers la possibilité d’exposer leurs clients à d’autres marques, et notamment à leurs marques propres sur lesquelles ils enregistrent des marges plus intéressantes. ” On sait que le consommateur est prêt à laisser tomber une marque pour une autre si sa commande reste qualitative à ses yeux “, précise Pierre-Alexandre Billiet. Qui met toutefois en garde face au risque de déception. ” Il est important de construire des modèles prédictifs qui permettent de proposer au client les marques qu’il souhaite. ” Des marques qui pourraient être amenées à payer pour faire partie du club désormais très sélect des produits recommandés…
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