Nos supermarchés, terrains de jeu pour les start-up
Si aucun de nos trois grands distributeurs ne possède de département spécifique dédié à l’accompagnement des start-up, tous assurent collaborer avec ces petites structures agiles qui leur permettent d’avancer rapidement sur certains domaines très pointus. Couvées par des grands groupes, ces jeunes pousses peuvent voir leur business décoller très rapidement. Coup de projecteur sur quelques start-up qui collaborent avec la grande distribution.
C’est l’un des avantages d’un secteur comme la grande distribution : il offre, de par la grande variété de ses métiers, une multitude de possibilités d’innovations. Tout bénéfice pour les start-up ! Des moyens de paiement à l’e-commerce en passant par l’agencement des rayons, la livraison à domicile et bien d’autres domaines encore, les jeunes pousses tentent de séduire les distributeurs avec leurs solutions dernier cri. Pour une start-up, se voir ” couvée ” par un grand groupe de distribution est l’assurance d’avancer beaucoup plus vite dans son business. ” Même si elle n’est pas gratuite, cette forme de parrainage lui permet d’éviter de partir dans des directions qui n’en valent pas la peine et donc de gagner du temps “, assure Vincent De Coster, observateur du monde de la distribution.
Pour les distributeurs aussi, travailler avec des start-up représente un atout non négligeable, alors que le commerce est en train d’être secoué par la révolution digitale. ” C’est un vrai challenge pour des organisations qui n’ont pas l’habitude de fonctionner dans cet univers digital, explique notre interlocuteur. En collaborant avec des start-up, les distributeurs disposent d’un vivier de compétences qu’il leur serait impossible de financer. De plus, ces dernières ont ce côté agile très intéressant. Elles ne sont pas polluées par la culture d’entreprise, elles n’ont pas d’a priori et peuvent amener de vraies réflexions de rupture. ”
“Pas spécialistes en tout”
Chez nous, les groupes de distribution restent à l’affût des possibilités de collaboration avec telle ou telle start-up, mais aucun ne possède de département dédié exclusivement à l’accompagnement de ces jeunes entreprises. C’est dans la plupart des cas le département innovation qui se charge de repérer les jeunes pousses prometteuses. ” Pour pouvoir être au fait des différentes tendances du marché et rester à niveau, il nous arrive parfois de travailler avec des partenaires extérieurs, explique-t-on chez Colruyt. Les start-up en font partie : ces petites entreprises nous tiennent en alerte et nous accueillons toujours volontiers ces échanges. ”
Du côté de Carrefour, on assure que chaque département mène une politique active de collaboration avec ces petites structures. ” Nos spécialistes investissent vraiment beaucoup de temps à repérer les start-up, assure Baptiste van Outryve, porte-parole. Chaque domaine peut s’y prêter : logistique, vente, e-commerce, digital, etc. Nous sommes conscients de ne pas être spécialistes en tout. Or les start-up sont fondées par des gens ultra-spécialisés dans leur domaine, ce qui nous permet d’aller bien plus vite dans la réalisation de nos objectifs. ” Pour l’instant, le distributeur français explique être en phase de test chez nous avec une start-up spécialisée dans les prévisions météorologiques. ” Avant de lancer une éventuelle collaboration, nous avons décidé de mener un test sur un produit, dans un magasin “, explique le porte-parole, qui ne souhaite pas en dire davantage.
“Innover pour innover ne sert à rien”
Alors, la collaboration avec des start-up est-elle devenue un impératif pour rester à la pointe de l’innovation ?
Alexandre Mulliez ne le pense pas. Dans une contribution publiée tout récemment sur le site du journal français Les Echos et intitulée ” Innover n’est pas gesticuler “, le directeur marketing et innovation d’Auchan Direct (le service de courses en ligne du distributeur français) explique que cette tactique qui consiste pour les entreprises de la grande distribution à se lancer dans le rachat de start-up a rapidement montré ses limites. Certes, elle permet aux distributeurs de sous-traiter l’innovation à ceux dont c’est l’expertise. Mais ” gare à ne pas perdre de vue le consommateur, écrit le responsable. Innover pour innover ne sert à rien. Un grand travers est de considérer l’innovation plus comme une question de technologie que comme une question d’usage. Or, beaucoup de techniques sont surdimensionnées par rapport aux attentes du client. ”
Et l’homme de plaider pour l’intrapreneuriat. ” L’innovation est, avant tout, un état d’esprit et un corpus de valeurs : agilité, créativité, collaborativité et transparence. L’organisation d’une entreprise, sa culture, tout ce qui constitue sa façon de travailler est en soi un avantage comparatif, le seul qui vaille à ce jour. Comment les distributeurs peuvent-ils s’approprier ces valeurs qui apparaissent comme la chasse gardée des start-up ? En développant leurs propres start-up… en interne. Une démarche qui permet à l’entreprise traditionnelle de faire grandir l’innovation en son sein en créant des structures internes lean confiées à des managers-coachs dédiés et chargés de développer des chantiers stratégiques. ”
C’est ce qu’a fait Carrefour en créant dernièrement sa Simply You box en réponse à HelloFresh.
” Ce concept a été créé comme une start-up, explique Baptiste van Outryve. Une équipe dédiée de spécialistes a créé une petite start-up en interne, ce qui nous a permis d’aller très vite. ”
Quant à la politique du groupe en matière de start-up, le porte-parole explique que Carrefour privilégie toujours une collaboration plutôt qu’un rachat. ” Si vous intégrez une start-up, vous lui faites perdre sa vitesse et son agilité “, assure-t-il.
Spin-off de l’université de Liège, Quality Partner a fait ses débuts dans l’analyse microbiologique des denrées alimentaires. Elle ne cessera de se spécialiser. Du diagnostic de produit fini, elle passera au diagnostic de process. “Nous travaillons sur l’ADN des microbes afin de détecter tous les microbes présents”, explique Damien Le Grand, le CEO. Affinant toujours plus ses techniques d’analyse, l’entreprise a créé en 2015 une filiale spécialisée dans les techniques de séquençage haut-débit. Genalyse Partner – c’est son nom – permet de déterminer le panel complet de toutes les flores présentes dans les aliments. “On identifie tout ce qui est susceptible d’altérer la denrée, détaille le patron. Le fait d’anticiper, d’identifier tous les mécanismes en amont, permet d’ajuster la qualité.”
La grande distribution se montre directement inté-ressée. “Nous avons eu dès le départ l’opportunité d’avoir un grand distributeur, Carrefour, qui nous mandate pour effectuer l’inspection qualité de ses magasins franchisés. Cela nous a permis de prendre directement de l’ampleur et de nous professionnaliser.” L’entreprise, qui travaille également pour Delhaize, Cora, Intermarché et Sodexo, valide les DLC (dates limites de consommation) des marques de distributeur et permet aux chaînes de limiter les invendus.
“Au départ, signale Damien Le Grand, un grand distributeur peut vite représenter une proportion ‘à risque’ de votre chiffre d’affaires. Il a fallu augmenter le chiffre d’affaires des autres prospects. Et puis, un autre risque quand on noue un partenariat avec un gros acteur, c’est peut-être de sous-estimer l’ampleur de certaines activités. Devant faire directement 480 inspections quatre fois par an, il faut pouvoir suivre.” Quel intérêt pour la grande distribution de travailler avec un plus petit acteur comme Quality Partner ? “La flexibilité, assure le CEO. Si Carrefour nous appelle pour un besoin précis, ils savent qu’ils auront une réponse. Par ailleurs, nous apportons un autre point de vue et tout notre business est construit sur l’expertise de pointe. En passant par des PME et start-up, la grande distribution s’assure le relais d’innovation dont elle a besoin, sans devoir souscrire à tous les autres services que proposent les grands acteurs.”
Basée près de La Louvière, cette start-up spécialisée dans le développement d’applications mobiles travaille notamment pour Carrefour et Decathlon. “Cela fait deux ans que nous animons le catalogue de fin d’année de Carrefour, explique Christophe Degraeve, le CEO. Nous avons développé pour l’enseigne l’application Carrefour Experience, qui permet au catalogue de prendre vie grâce à la réalité augmentée. Les articles peuvent être visualisés en 3D, et le client peut visionner des mini-films sur les jouets.” Autres applis développées par la start-up pour Carrefour : Summerdrive et AirDrive. La première a été commandée par la chaîne dans le cadre de l’ouverture d’un pop-up store à Knokke pendant les mois d’été. “L’appli permettait aux clients de se faire livrer l’apéro dans la demi-heure.” AirDrive, pour sa part, a été achetée par Carrefour France et est testée pour le moment à Paris. “Le client commande au drive et une fois sur place, il peut directement se signaler via l’appli. Il est tenu informé du parcours de sa commande et peut noter le service.” Underside a, par ailleurs, développé une autre appli destinée cette fois aux employés de Carrefour : DriveConnect. “Elle permet aux drives non liés à un magasin physique de communiquer très rapidement avec la centrale de préparation via un chat, explique Christophe Degraeve. En cas de problème concernant l’un des articles, les employés du drive peuvent envoyer une photo à la centrale.”
“Voir ses applis utilisées par des dizaines de milliers d’utilisateurs, c’est top, lance le CEO. Maintenant, le chemin est assez long avant que les grands groupes ne commencent à vous connaître.” Après être parvenu à nouer un partenariat avec Carrefour, Underside a dû faire face à d’autres difficultés. “Le processus de connexion avec leur back office fut particulièrement long, se rappelle le responsable. Leur système informatique est plutôt ancien.” Notre interlocuteur rêve-t-il d’un rachat par un grand groupe de distribution ? “Cela doit rester un partenariat, assure-t-il. Que la chaîne dispose d’un monopole sur tel ou tel produit, pourquoi pas, mais les start-up doivent pouvoir rester indépendantes.”
Spin-off de l’ULB, Amoobi propose aux acteurs de la grande distribution des services d’optimisation des points de vente physiques. “Nous fournissons des outils d’analyse de parcours client, explique Olivier Delangre, le CEO. Où placer les promos ? Comment organiser telle ou telle catégorie ? En fait, nous récoltons en magasin des données sur les clients afin d’optimiser les points de vente. Au fond, c’est l’équivalent de ce qui se fait en ligne, mais pour les magasins physiques.” Amoobi place, par exemple, des capteurs optiques derrière le comptoir de boucherie afin de calculer le nombre de clients, leur temps d’attente moyen, le moment où un client décide de quitter la file si l’attente est trop longue, etc. “Nous pouvons aider les distributeurs dans la gestion des catégories en plaçant des capteurs optiques dans les rayons pour analyser le parcours client. En évaluant la manière dont les clients cherchent dans les rayons, nous pouvons conseiller aux distributeurs de réorganiser une catégorie de manière à rendre la recherche du client plus rapide. Faut-il organiser les bières par type, par marque ? Doit-on placer les boissons à côté des plats préparés ?”
Ayant commencé avec un premier projet pour Makro, Amoobi a aussi travaillé pour Carrefour, Delhaize ou encore MediaMarkt. “Nous avons présenté nos services aux différentes chaînes, explique le responsable. Le plus compliqué était de trouver le bon interlocuteur au sein des différents groupes. Et puis venir avec une solution technologique n’est pas vraiment évident car, dans la grande distribution, tout le monde n’est pas dans cette optique.” L’intérêt pour un distributeur de travailler avec un acteur comme Amoobi, d’après Olivier Delangre, c’est sa rapidité. “Les groupes nous demandent d’utiliser notre agilité pour avancer rapidement et générer du changement à l’intérieur, explique-t-il. Sinon, notre force est d’avoir une vraie connaissance du business de la grande distribution. Le fait de savoir qu’elle fonctionne avec des petites marges et des gros volumes notamment. C’est important de bien comprendre la dynamique pour proposer des solutions adéquates.”
Créée en 2011 par la start-up Agylis, l’application myShopi débute en proposant une liste de courses digitale et un système de cashbacks. La start-up négocie directement des réductions avec les grandes marques et le client n’a qu’à photographier son ticket de caisse pour être remboursé. Fin 2013, l’appli est rachetée par BD Group, spécialiste de la communication promotionnelle via les toutes-boîtes, pour en faire “la plus grande plateforme d’activation multicanale en Belgique”. “Nous voulons garder l’esprit start-up, assure Tim De Witte, directeur commercial de BD myShopi. L’équipe est encore localisée dans ses locaux d’origine, à Braine-l’Alleud.”
Depuis sa reprise, l’appli s’est enrichie de nouvelles fonctionnalités. Il y a d’abord eu les folders digitaux interactifs avec possibilité de cliquer sur un produit et d’être redirigé vers le webshop du distributeur. Ce qui n’est aujourd’hui disponible que pour les magasins non alimenaires comme Blokker, Bart Smit, MediaMarkt ou encore A.S.Adventure. Autre nouveauté : les cartes de fidélité digitales. “Il suffit de prendre une photo de sa carte de fidélité. A la caisse, le client doit juste ouvrir l’appli et montrer cette photo, explique le responsable commercial. myShopi est en quelque sorte un portefeuille mobile pour tout ce qui est cartes de fidélité.” Il est, par ailleurs, possible de comparer les promos sur un produit dans différentes enseignes, et le groupe est en train de mettre en place l’envoi automatique des réductions lorsque le client est à 50 mètres d’un magasin.
myShopi collabore donc à la fois avec les marques et les distributeurs. Mais ces derniers ne doivent-ils pas se méfier d’un acteur susceptible de leur faire concurrence ? Un frienemy, comme on pourrait le qualifier. Car dans la lutte pour s’approprier la liste de courses des clients, Delhaize, Carrefour ou Colruyt ont tout intérêt à ce que cette liste soit plutôt enregistrée sur leurs propres applications.
“L’avantage que nous avons par rapport aux applications des enseignes, c’est que nous sommes une application complète, assure Tim De Witte. Et le consommateur fait rarement ses courses dans une seule chaîne. Il est vrai que nous donnons la possibilité pour une marque d’activer directement le consommateur, mais celui-ci doit encore aller en magasin car myShopi ne vend pas directement. Par ailleurs, nous ne voulons pas devenir une appli comparative des différentes enseignes.”
Filiale de bpost créée l’année dernière, bringr est une plateforme collaborative qui fait appel à des particuliers en fonction de leur localisation et de leur disponibilité pour livrer une commande à une heure et à un endroit déterminés par le client. “Il s’agit simplement de mettre en contact des personnes qui souhaitent livrer quelque chose et des gens qui acceptent de livrer, résume Hans Robben, responsable de l’innovation chez bpost. Comme grande société, il était important de se lancer dans l’aventure pour ne pas être attaqué. Et puis, il y a clairement un marché pour la livraison à la demande.” Il s’agit à la fois pour bpost de permettre la livraison de certains biens que les opérateurs logistiques classiques ne peuvent livrer actuellement et de garantir une plus grande flexibilité au niveau des horaires. “Beaucoup de fleuristes utilisent notre application”, relève notre interlocuteur. La grande distribution n’a pas tardé à montrer son intérêt pour ce nouveau service alors que les grandes chaînes tentent aujourd’hui de se différencier dans le marché, en croissance, de la livraison des courses à domicile. C’est Carrefour qui s’est laissé tenter par cette manière hyper-flexible d’assurer la livraison. L’enseigne passait déjà par bpost et son service Combo pour livrer ses clients à domicile. Mais la commande doit être passée la veille pour une livraison le lendemain après 18 h. “Carrefour nous a contactés et nous avons lancé en janvier un test avec bringr dans quelques magasins”, explique Hans Robben. Concrètement, le client qui passe sa commande avant minuit est livré le lendemain à l’heure de son choix (à partir de 11h). Dans les Carrefour Express qui participent au test, le client peut passer commande par téléphone ou en passant sur place et être livré où il le souhaite deux heures plus tard. “La grande distribution est aujourd’hui l’un de nos clients clés, indique le responsable de bpost. Nous n’avons pas d’autres clients qui font autant de livraisons que Carrefour.”
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