Philippe Ledent
Mutations sur le marché du travail
Les entreprises peinent à trouver des travailleurs. Seul un changement structurel par rapport à la formation permettra de compenser le changement structurel induit par l’évolution démographique.
Le comportement du marché du travail est paradoxal à plus d’un titre au cours de ce cycle économique. Alors que les chocs négatifs se succèdent, le marché du travail semble à peine se détériorer. Il faut rester prudent car les effets néfastes peuvent se manifester bien après le choc initial. Par ailleurs, des éléments (on pense, par exemple, à l’indexation automatique) qui, dans un premier temps, peuvent soutenir l’activité et l’emploi au travers d’une demande intérieure solide, risquent à terme de détériorer ces mêmes variables au travers du commerce extérieur.
Année record
Mais on ne peut nier que 2022 fut une année record en matière d’emplois créés, sur un marché du travail très tendu où les entreprises ont peiné à trouver un nombre suffisant de candidats. Chacun de ces deux éléments (créations d’emplois et tensions) pourrait s’expliquer par des éléments conjoncturels: ce serait les caractéristiques d’un boom économique. Mais on a quand même un peu de mal à qualifier de boom économique la situation actuelle, marquée par un choc inédit des prix de l’énergie, donc par un appauvrissement collectif. La conjoncture n’explique dès lors pas tout, et il faut probablement aller chercher une bonne partie de l’explication de la résilience du marché du travail dans des facteurs structurels.
La variante démographique
Intéressons-nous ici à un de ces facteurs. Pour illustrer les tensions sur le marché du travail, on peut utiliser la courbe de Beveridge, qui met en relation le taux de chômage et le taux de vacance d’emploi. Entre 2014 et 2022, on observe que ce marché n’a cessé de se “tendre”: le taux de chômage a baissé, alors que le taux de vacance d’emploi a augmenté, traduisant le fait que les entreprises peinent à trouver des travailleurs. C’était assez logique entre 2014 et 2020, mais c’est plus exceptionnel depuis la crise du covid et la crise de l’énergie.
S’agissant de facteurs structurels pouvant expliquer cette évolution, il est clair que le vieillissement de la population joue un rôle important. Pour l’illustrer en caricaturant, considérons le nombre moyen de personnes compris entre 18 et 22 ans comme le flux de jeunes actifs entrant sur le marché du travail, et le nombre moyen de personnes de 61 à 65 ans comme le flux de personnes sortant du marché du travail pour prendre leur pension. Jusqu’en 2016 environ, il y avait plus d’entrants sur le marché du travail que de personnes arrivant à l’âge de la pension, assurant une croissance de la population en âge de travailler. Mais la situation s’est nettement inversée depuis. On peut estimer qu’en 2022, il y a eu entre 10.000 et 15.000 nouveaux retraités de plus que de jeunes actifs entrant sur le marché du travail.
Adéquation entre formation et emploi
Un écart démographique qui ne va faire qu’empirer, au moins jusqu’au début des années 2030. On risque donc encore de voir les entreprises exprimant leurs difficultés à trouver du personnel et un taux d’emplois vacants toujours élevé. Le taux de chômage va-t-il, lui, continuer de baisser? Malheureusement, on sait qu’un des problèmes du marché du travail en Belgique est que les personnes sans emploi n’ont trop souvent pas les qualifications requises pour les postes vacants…
Voilà pourquoi on peut être à la fois loin du plein emploi et en présence de nombreux emplois vacants. La formation et les qualifications sont l’affaire de tous: des autorités, des entreprises et des personnes. Seul un changement structurel par rapport à la formation et l’employabilité des personnes présentes sur le marché du travail permettra de compenser le changement structurel induit par l’évolution démographique. A défaut, le marché du travail restera tendu mais surtout, la croissance en souffrira, contrainte par l’offre de travail.
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