Moteur au ralenti: les concessionnaires demandent un assouplissement et songent à l’après-coronavirus
Concessions à l’arrêt, ateliers en service minimum : la distribution et les garagistes sont quasiment à l’arrêt, mais pas complètement. La Febiac et Traxio négocient la possibilité de livrer les véhicules commandés et de faire les entretiens. En toute sécurité sanitaire.
“Nous disposons chacun de 1.400 m2 “, ironise, dans ces temps difficiles, Stéphane Sertang, le patron du Ginion Group, qui importe des Rolls Royce et des McLaren et possède des concessions BMW, Mini, Ferrari et Volvo, à Wavre, Overijse et Waterloo. Comme tous les concessionnaires du pays, Stéphane Sertang a fermé ses concessions et mis la majeure partie des 300 salariés au chômage technique, ” sauf une vingtaine de personnes, pour le service minimum à l’atelier, le courrier, répondre au téléphone… Et préparer le redémarrage “, continue-t-il. Lui-même est tous les jours présent au siège de son groupe, à Wavre.
En vertu des mesures prises pour le confinement, tous les concessionnaires ont dû fermer leurs showrooms. Quelques ateliers restent entrouverts pour les véhicules des services d’urgence, des médecins, de la police ou pour réparer les pannes immobilisant les voitures des clients qui doivent se déplacer. Tout le reste – entretiens, permutation des pneus hiver/été, etc. – est reporté.
” Toute la chaîne fonctionne, depuis l’envoi de pièces détachées en Allemagne jusqu’à nos ateliers mais les interventions urgentes représentent une très petite part de notre business habituel “, confirme Jean-Marc Ponteville, porte-parole de d’Ieteren Auto qui importe les marques du groupes VW. Des réparations qui se font avec appréhension. ” Lorsque vous réparez un véhicule du Smur ( des ambulances, Ndlr), vous vous lavez deux fois les mains “, précise Stéphane Sertang.
Demande d’assouplissement
” L’activité commerciale est à l’arrêt. La capacité des ateliers est exploitée à 20% “, résume Philippe Dehennin, président de la Febiac, l’association des importateurs de voitures. Face au risque d’un confinement pouvant être prolongé jusqu’au 3 mai, je plaide, en concertation avec les présidents de Traxio et de Renta en faveur d’un assouplissement des conditions de recours à l’activité partielle.”
L’objectif est de donner un peu d’oxygène au secteur, où les acteurs sont ” majoritairement de PME “, pour ” ne pas sortir de la crise exsangue “. Traxio (ex-Federauto) est une confédération réunissant les points de ventes, garages, fournisseurs de pièces détachées du secteur auto, moto et cycles. Renta, de son côté, regroupe les loueurs de voitures.
La demande d’assouplissement vise la vente, l’entretien et la livraison de véhicules neufs, y compris pour le leasing. Les parkings des concessions sont remplis de voitures, pour beaucoup commandées lors de la période du Brussels Motor Show en janvier. Faute de pouvoir les livrer, l’argent ne rentre pas alors qu’en principe, ces véhicules ont été payés aux importateurs. ” Seuls les cas impérieux, comme la livraison à des médecins, sont autorisés “, indique Thierry Dumont, de Sud Motor, qui vend des véhicules Suzuki, Hyundai, Isuzu et MG à Namur, Huy et Marche-en-Famenne. Les concessionnaires sont aussi embarrassés car certaines voitures en stock, invendues et sorties d’usine, il y a un temps, aux normes d’émission NEDC 2.0, ne pourront plus être commercialisées après le 31 août prochain. ” Après, elles deviendront invendables dans l’Union européenne “, indique Thierry Dumont. A moins d’un report de l’échéance…
Des voitures neuves en rade
” J’ai environ 150 automobiles neuves à livrer “, indique Jean-Marie Descampe, qui possède une concession Jaguar Land Rover à Wavre, vendant 450 véhicules par an. Il gère son entreprise avec deux fils, Thibault et Arnaud.
Jean-Marie Descampe estime possible l’organisation d’une livraison pour les clients qui le souhaitent, en respectant les prescriptions sanitaires. ” Le client qui serait d’accord pour immatriculer le véhicule pourrait prendre la voiture sur le parking de la concession. Nous pourrions nous organiser pour que les documents soient signés en gardant les distances. Pour les explications, comme il serait impossible de monter dans le véhicule avec le client, on pourrait réaliser des petites vidéos personnalisées. ”
” Nous allons demander de pouvoir obtenir un aménagement du lockdown pour le secteur à partir du 19 avril “, indique Didier Perwez, président de la confédération Traxio, qui compte 1.400 concessionnaires et 1.300 autres entreprises actives dans la vente de voitures d’occasion et dans la réparation. La demande porte sur une reprise prudente des activités, avec une formule adaptée et dans le respect des mesures de distanciation sociale.
L’argument est de limiter les dégâts. ” Notre service d’étude a évalué la baisse des revenus du secteur à 20% sur l’année si le lockdown dure jusqu’au 6 mai, à 27% s’il continue jusqu’à la fin mai. ” Ce pourcentage concerne la vente, la réparation et l’entretien des autos et des utilitaires. De quoi faire basculer les comptes des concessionnaires, ” dont la marge nette est inférieure, en moyenne, à 2% sur les ventes, selon une étude menée par Traxio sur les comptes 2018 “.
Dans un premier temps, il s’agit d’obtenir des importateurs des facilités pour le paiements des autos qui ne peuvent être livrées. Une des raisons d’être des concessionnaires est de prendre les stocks des constructeurs sur leur comptes et de les distribuer. La plupart des constructeurs ont donc favorablement répondu à leur demande de flexibilité quant au payement des voitures stockées.
Certains concessionnaires s’organisent pour garder un lien commercial. ” Nous essayons de booster la demande via le site web ( il est possible de demander une offre sur des véhicules neufs ou d’occasion via le site, Ndlr) mais cela reste limité, confie Thierry Dumont, de Sud Motor. S’il est possible d’acheter beaucoup de choses sur Amazon, personne ou presque n’achète sa voiture sur Internet. Et de toute manière, nous ne pouvons pas livrer. ”
” Une disponibilité extraordinaire ” des pouvoirs publics
Sur le soutien reçu des pouvoirs publics, les avis sont généralement positifs. ” Il y a un excellent suivi pour les mesures de report de paiements de TVA et de cotisations sociales, ainsi que pour le chômage temporaire. On vous rappelle. Les administrations montrent une disponibilité extraordinaire à tous les niveaux : fédéral, régional, communal. Les gens sont conscients du rôle qu’ils jouent et comprennent qu’on doit s’en sortir ensemble. ”
Toutefois, la prime de 5.000 euros de la Région wallonne attribuée aux entreprises temporairement arrêtées a engendré des remous. Tout le monde n’y a pas droit, cela dépend du code statistique de l’activité de l’entreprise (code Nace). Les garages ne sont pas repris. La Flandre et Bruxelles attribuent aussi des aides. En même temps, le montant reste faible pour les concessionnaires, dont les showrooms représentent des charges fixes de dizaines de milliers d’euros par mois.
Ces charges touchent moins le monde de l’occasion, où les showrooms sont sommaires. ” Notre approche est plutôt celle de Colruyt. Nos frais fixes sont modérés “, précise Jean-Claude Gathon, qui dirige Soco, un acteur important dans la voiture de seconde main et les véhicules ” 0 km “. Soco vend 5.600 véhicules par an et garde 1.200 voitures en stock. Il emploie 98 personnes, presque toutes actuellement en chômage temporaire. Le patron reste néanmoins optimiste. ” Le blocage ne va pas durer des mois. Puis, nous avions bien démarré l’année. Mais c’est vrai qu’aujourd’hui, personne ne peut faire le fanfaron. ” Soco accepte encore des réservations sur le Net. Pour 100 euros, les clients peuvent ” bloquer ” l’auto de leur choix dans le catalogue en ligne, l’achat ne devenant effectif qu’après le confinement.
Véhicules désinfectés devant le client
Tout le monde songe au redémarrage. ” Nous essayons d’établir un planning, raconte Stéphane Sertang. Il y aura un afflux, notamment pour le changement des pneus hiver. Et les acheteurs voudront recevoir leur voiture. ” Les concessions continuent à enregistrer les demandes pour des entretiens afin de les programmer dès que les affaires reprendront. Il faut rassurer les clients. ” Pour les livraisons, nous avons prévu de désinfecter le véhicule devant le client “, précise Jean-Claude Gathon.
La confédération Traxio prépare ce coup de chaud. ” Nous demandons aux autorités une certaine flexibilité pour répondre à la demande, avec une défiscalisation des heures supplémentaires, par exemple, le travail le samedi, peut-être le dimanche et les jours fériés, nombreux en mai “, avance Didier Perwez. D’autant que la charge de travail sera augmentée par les précautions à prendre pour travailler sur les voitures, en utilisant du Dettol pour les désinfecter avant et après réparation, allongeant le temps d’intervention par véhicule.
Ensuite, viendra sans doute une pénurie temporaire de véhicules neufs, les usines étant presque toutes à l’arrêt. Ce qui produira un nouveau manque à gagner pour le secteur avant de revenir à la normale. Quelle ” normale ” ? ” Ceux dont le pouvoir d’achat aura été amputé pendant deux mois ne vont pas se précipiter pour acheter une voiture neuve “, craint Thierry Dumont qui se montre plus optimiste pour l’occasion.
” Je reste persuadé qu’il y aura des choses positives à retirer de l’expérience que nous vivons “, conclut, philosophe, Stéphane Sertang. Il égrène les crises depuis 2000 : le 11 Septembre, la crise financière de 2008, les attentats… ” Les hauts et bas sont plus importants que par le passé. Les temps de récupération sont, je pense, devenus plus courts. “
L’avis d’un expert international du secteur automobile, Ferdinand Dudenhöffer, professeur à l’ Institute for Customer Insight (ICI-HSG) à l’Université de St. Gallen, en Suisse, et fondateur du Center Automotive Research à l’université de Duisburg-Essen, en Allemagne.
TRENDS-TENDANCES. Comment les constructeurs automobiles peuvent-ils affronter cette crise ?
FERDINAND DUDENHÖFFER. Ils auront surtout besoin d’une demande. Les pouvoirs publics interviennent pour éviter des soucis de liquidités, obtenir du crédit. Cela aide. Mais le point important, déterminant, sera la demande. Vous avez besoin de gens qui achètent des voitures. Pour y arriver, les politiques devraient agir. Je propose, par exemple, que dans l’Union européenne, la TVA soit réduite ou supprimée temporairement pour des biens d’un certain montant. Par exemple, à partir de 15.000 euros. Si vous avez une voiture de 15.000 euros (HTVA) dont le prix consommateur est, en Allemagne, de 17.850 euros (car la TVA est de 19%), le gain sera de 2.850 euros pour le consommateur. Il ne sera pas nécessaire de subsidier les constructeurs pour qu’ils tiennent le coup. Le mécanisme est simple. De toute manière, si la demande n’est pas là, il n’y aura pas de recette de TVA. Ensuite, si le consommateur est dans l’incertitude et craint de perdre son emploi, les constructeurs devraient garantir la reprise du véhicule, acheté ou loué, sans frais, en cas de licenciement.
La crise aura-t-elle un impact sur la distribution automobile, qui est basée sur des concessions ?
Elle pourrait accélérer une transformation qui recourt davantage à la vente sur Internet. Regardez Elon Musk et les Tesla : quasiment tous les acheteurs achètent leur voiture Tesla sur un site web doté d’un configurateur intelligent. Cela viendra pas à pas en Europe. Les gens ont appris que c’était possible d’acheter des biens de prix plus important en ligne.
Le redémarrage des usines en Chine est-il un espoir pour l’Europe de l’automobile ?
C’est très positif. Cela prendra tout de même du temps. Regardez le groupe Volkswagen, plus de 40% de ses ventes et de ses profits proviennent de Chine, son redémarrage aura un impact positif. Nous avons une chance de nous distancier des Etats-Unis et des guerres commerciales initiées par Donald Trump. Nous devons augmenter notre coopération avec la Chine.
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