Mort et résurrection du port d’Ostende
Des chiffres en berne, peu d’emplois et aucune vision d’avenir. Il y a encore 5 ans, le port d’Ostende agonisait. Une nouvelle administration et un plan d’action en 100 points l’ont remis sur la carte internationale. “Nous assistons à une fuite des cerveaux à l’envers : les habitants de la Flandre-Occidentale quittent Gand pour venir vivre sur la côte et y travailler à nouveau.” Histoire d’une reconstruction.
Fin décembre 2023, le port d’Ostende est en fête. Pour la première fois depuis plus de dix ans, un navire roulier accostait pour effectuer la traversée vers le Royaume-Uni. Plusieurs centaines de voitures attendaient déjà sur les quais. Deux semaines plus tard, un navire encore plus grand que le premier entrait au port. A son bord, il y a de la place pour toujours plus de voitures. Ceci venait confirmer la reprise du trafic “ro-ro” (Roll on / Roll off), et a permis d’engager 65 dockers.
De plus, le rapport annuel du port contient une série de bonnes nouvelles sans précédent. Pour la deuxième année consécutive, les résultats financiers sont les meilleurs depuis 1998. L’entreprise affiche un bénéfice avant impôts de plus de 2,1 millions d’euros, un cash flow de près de 4,3 millions d’euros et 1,232 milliard d’euros de valeur ajoutée dans la zone portuaire. Le résultat financier, combiné des cinq dernières années, est le double du total des 15 années précédentes. Le bénéfice avant impôts pour la période 2019-2023 s’élève à 6.325 013 euros, alors que la période 2013-2018, avec quatre exercices déficitaires, avait enregistré une perte de 2.657.994 d’euros.
Le port peut enfin se considérer comme une entreprise financièrement saine. “Ce redressement n’est pas le résultat de projets ponctuels”, explique Dirk Declerck, directeur général et administrateur délégué. “Nous avons élaboré une stratégie claire qui porte aujourd’hui ses fruits. Nous avons obtenu le meilleur résultat financier depuis plus de 25 ans. Cela a nécessité un changement complet de mentalité et une rupture totale avec le passé.”
2013, une année catastrophique
Le port d’Ostende n’a jamais été l’étoile la plus brillante du firmament des ports de notre pays. En tant que petit acteur belge, il n’a jamais pu rivaliser avec les ports d’Anvers, de Gand ou de Zeebrugge. Et l’autorité portuaire, d’avant 2018, n’en avait pas non plus ni la prétention, ni les capacités de le faire.
Ostende connaissait un taux de chômage et même de pauvreté historiquement élevé. Pourtant, pendant des années, il n’y a eu aucun incitant afin d’attirer des entreprises dans le port et de créer des emplois supplémentaires…
La pire période a été avril 2013 lorsque Transeuropa Ferries (TEF), qui exploitait un service de ferry pour le transport de passagers et de marchandises entre Ostende et la ville de Ramsgate, a fait faillite. TEF était la dernière compagnie maritime encore présente dans le port d’Ostende. C’est aussi la huitième compagnie maritime en 15 ans à déposer le bilan. Pendant cent soixante-dix ans, des traversées quotidiennes avaient été assurées entre Ostende et le Royaume-Uni. Cette année catastrophique de 2013 a vu mettre un terme brutal à cette activité et le port a perdu l’un de ses derniers grands clients.
Le rapport annuel montre que les résultats financiers du port d’Ostende ont plongé dans le rouge cette année-là, avec une perte de plus de 3 millions d’euros. Aucun nouveau client n’a été débauché, pas plus qu’il y eu de recherche afin d’inciter de nouvelles entreprises à s’installer sur les sites. De la “mauvaise volonté” à la “résignation” en passant par la “paresse”, diverses interprétations circulent sur l’attitude et les actions du PDG de l’époque, Paul Gerard.
A la croisée des chemins
À l’époque, le port d’Ostende était encore une entreprise municipale autonome, son conseil d’administration était donc le reflet de la politique locale. “Nous avons tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises pour dire que les choses ne pouvaient pas continuer ainsi et qu’il fallait élaborer une stratégie claire”, raconte Charlotte Verkeyn (N-VA), actuelle présidente et conseillère municipale du port d’Ostende. Elle siégeait à l’époque au conseil d’administration du groupe : « Pour une raison ou une autre, les choses n’ont jamais bougé”.
A l’époque, des voix se sont élevées au sein du conseil municipal pour réduire la zone portuaire au lieu de l’étendre. Il se murmurait même dans les couloirs que l’ancien bourgmestre d’Ostende, Johan Vandelanotte (s.pa), voulait sacrifier la zone portuaire pour y construire une mégaprison ou la vendre à des promoteurs immobiliers pour “en faire quelque chose “.
“À ma connaissance, cette question n’a jamais été officiellement inscrite à l’ordre du jour”, précise Mme Verkeyn. “Mais certains terrains et bâtiments appartenant à la municipalité ont fait l’objet d’une étude pour déterminer s’ils devaient être réaffectés à d’autres usages. Ainsi, les sites de la zone portuaire ne seraient plus utilisés pour des activités maritimes”.
Paul Gerard a réfuté l’idée qu’il n’avait pas réagi à la situation. Selon l’ancien PDG, il n’y a eu qu’une seule mauvaise année : celle où TEF a fait faillite. “Cela n’a pas été une surprise et nous avons maintenu le service de ferry aussi longtemps que possible. Entre-temps, je me suis engagé à faire venir à Ostende le Blauw Cluster et le secteur offshore. En 2008, C-Power a installé ses six premières éoliennes au large de notre côte. La réussite de cette opération m’a incité à opter pleinement pour ce secteur. Entre 2010 et 2020, le secteur offshore s’est largement développé dans le port grâce aux contacts que j’avais noués au départ. Ce que nous y avons réalisé était exceptionnel et a été une très belle période de ma vie”.
Paul Gerard ajoute que durant son mandat au conseil d’administration, quelques entreprises se sont installées dans le parc d’activités de Plassendale et dans les zones portuaires. De plus, il y a eu la construction du terminal de transport REBO (Renewable Energy Base Oostende, un terminal unique avec un accès à la mer), avec des fonds privés, car on ne croyait pas beaucoup au secteur offshore à l’époque.
Cent points de travail
En 2017, Paul Gerard a été contraint de se retirer. Ce dernier venait alors d’être recondamné en appel pour la mort accidentelle de Kenny Maenhoudt, 17 ans, négligence grave et mauvaise politique de sécurité. L’étudiant était décédé, cinq ans plus tôt, lors de son dernier jour de stage, à cause de l’explosion d’une bouée de balisage
Gerard a d’abord été remplacé par Luc Van Damme, avant que Dirk Declerck soit définitivement nommé directeur général de l’autorité portuaire en 2018. Ce dernier a toujours délivré le même message: “L’objectif principal est de faire du Port d’Ostende une entreprise rentable.”
Une question reste ouverte : comment l’autorité portuaire a pu être aussi mal gérée pendant des années. Si une telle accumulation d’événements se produisait dans une société cotée en bourse, le PDG de celle-ci aurait été prié depuis longtemps de vider son bureau. “La distance entre le conseil municipal, actionnaire majoritaire du port, et le PDG était trop faible”, souligne le politologue Carl Devos, qui depuis cette législature siège au conseil d’administration en tant que membre indépendant. “La politique a cogéré le port, l’a utilisé comme un instrument majoritaire”.
C’est pourquoi le changement de statut, d’entreprise municipale en SA de droit public, a été la première étape de cette opération de rénovation complète. Le conseil d’administration a été considérablement réduit, moins politisé et complété par des membres indépendants. Outre Carl Devos, Lisa Devriese (Institut flamand de la mer) et Kathy Van Damme (Société flamande de l’énergie) ont également été recrutées. “Le conseil d’administration et la direction ont ainsi été professionnalisés”, explique Carl Devos. “Il en résulte une attitude plus proactive à l’égard du marché, une plus grande convivialité et une orientation claire dans l’enchevêtrement des lois belges. »
La deuxième étape a consisté en un audit de l’autorité portuaire, de ses opérations et de son patrimoine. Celui-ci a notamment révélé que l’entretien et les réparations nécessaires avaient été reportés pendant des années – parfois au détriment de la sécurité – pour masquer de mauvais résultats. Par exemple, seul un tiers des 270 coffrets électriques de la zone portuaire étaient conformes. Le pont de ro-ro (roll on/roll off), sur lequel les voitures devaient circuler pour entrer et sortir des navires, était inutilisable en raison d’un manque d’entretien. L’audit a servi de base à un plan d’action comprenant pas moins de 100 points de travail et quatre priorités absolues afin de redresser le navire (sans mauvais jeu de mots). “Je me souviens des premiers conseils d’administration qui portaient presque exclusivement sur la sécurité”, déclare Carl Devos. “Le public voyait l’argent affluer dans la rénovation des hangars et des locaux, mais en coulisses, une part encore plus importante était consacrée à la sécurité et au soutien des fonctions essentielles.”
La troisième étape a été de développer une vision et une identité. Plus précisément, le port s’engage à assurer une continuité, une croissance durable et un emploi stable dans le cadre de cinq piliers. Pour ce faire, il se spécialise dans l’ « économie bleue » (toutes les activités économiques liées à l’eau, de l’énergie offshore à l’aquaculture), l’hélitreuillage et le vrac, l’industrie circulaire, le transroulage, les croisières et la pêche. Ces secteurs s’appuient à leur tour sur deux piliers fondamentaux : la priorité va à la sécurité, la santé et l’environnement, d’une part, et le soutien à l’innovation et au développement, d’autre part.
Quadruple hélice
“Le succès de ces dernières années n’est pas tombé du ciel”, explique M. Declerck. “Nous avons collaboré avec la KU Leuven en 2019 pour établir une quadruple hélice, une communauté dans laquelle les institutions, les entreprises, le gouvernement et les citoyens unissent leurs forces. Les investissements dans la connaissance, la recherche et le développement sont importants. Par exemple, le port a une participation dans le parc scientifique d’Ostende, qui soutient l’économie bleue. “
Depuis la nomination du nouveau directeur général, le port a attiré 15 nouvelles entreprises, dont 10 sont opérationnelles. Toutes les entreprises s’inscrivent dans l’un des cinq secteurs de niche du plan d’action. “Un entrepôt n’employant que deux personnes n’a pas sa place ici”, explique M. Declerck. Les nouvelles entreprises représentent 407 emplois supplémentaires. D’ici 2026, ce nombre devrait atteindre 850, sans compter les dockers supplémentaires qu’il faudra recruter pour assurer le fonctionnement du port.
En outre, le port lui-même a étendu ses activités. Par exemple, la réorientation stratégique de la filiale REBO a été couronnée de succès. L’entreprise est passée d’un terminal éolien offshore à un terminal polyvalent pour le transport lourd. Ce site permet donc une manutention efficace et sûre de composants extrêmement lourds. La construction de parcs éoliens en mer du Nord étant interrompue jusqu’à la mi-2027, un nouveau modèle d’entreprise était imminent. Actuellement, 28 réservoirs de stockage sont en cours de construction au terminal REBO et seront transportés via un ponton vers LBC Tank Terminals à Anvers dans le courant de l’année. Grâce à ce repositionnement, les bénéfices de l’entreprise ont triplé.
Le port a également créé sa propre entreprise de manutention, Ossco, qui charge et décharge les navires à quai. Cet investissement devrait porter ses fruits en soutenant la croissance maritime. “Il s’agit d’un investissement interne qui nous permet de soutenir d’autres entreprises”, a déclaré M. Declerck. “En conséquence, nous assistons progressivement à une fuite des cerveaux à l’envers : les habitants de la Flandre-Occidentale quittent Gand pour venir vivre sur la côte et y travailler à nouveau. Les chiffres officiels (2022) de la Banque Nationale le confirment également. La zone portuaire emploie directement 5 278 personnes, dont 1 835 dans le secteur de l’eau. Indirectement, le port fournit 4 372 emplois supplémentaires. Il n’y en a jamais eu autant.
Île Princesse Elisabeth
“Le point culminant de la législature actuelle est sans aucun doute l’ouverture de la Stapelhuis Entrepot“, déclare la présidente Charlotte Verkeyn. “Ce bâtiment historique a été abandonné à son sort pendant des années, ce qui a entraîné une dégradation désastreuse. Le fait que des activités maritimes puissent à nouveau s’y dérouler montre que le port d’Ostende joue à nouveau son rôle sur la carte des ports belges.”
Le premier à occuper la Stapelhuis Entrepot a été TM Edison, une collaboration entre Jan De Nul et Deme. Ce consortium a été chargé par Elia de construire l’île Princess Elisabeth en mer du nord, où des interconnecteurs transporteront l’énergie produite entre le Royaume-Uni, le Danemark et la Belgique. Le terminal de chargement lourd REBO contribuera à la construction de ces interconnexions. Dans une phase ultérieure, de nouvelles éoliennes seront également construites dans la zone.
Le directeur général Dirk Declerck et la présidente du port Charlotte Verkeyn sont très optimistes quant à l’avenir du port. “Si nous atteignons nos limites quelque part, cela sera par manque d’espace”, déclare Dirk Declerck. “C’est pourquoi nous étudions la possibilité de développer la zone du brise-lames oriental”, ajoute Charlotte Verkeyn. “De nouveaux quais pourraient y être aménagés.”
Un parc éolien français traverse les voies maritimes d’Ostende
Le port d’Ostende s’opposera au parc éolien que les entreprises énergétiques françaises veulent construire à 10 kilomètres de la côte de Dunkerque. À cet endroit, le parc éolien traverserait deux routes maritimes historiques entre Ostende et le Royaume-Uni. La sécurité du trafic maritime et aérien, l’environnement marin et les sauvetages en mer seraient également compromis. C’est pourquoi notre pays s’oppose à ce projet depuis 2016. Plus précisément, il s’agit d’une zone de 50 kilomètres carrés dans laquelle 46 éoliennes s’élèveront à 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, ce qui permettra de produire environ 2,3 térawattheures d’électricité par an. La demande de permis environnemental comprend également une plate-forme offshore pour les câbles sous-marins.
Le gouvernement français organise jusqu’au 18 mai une enquête publique sur la demande de permis d’environnement du parc éolien, au cours de laquelle les Belges peuvent également exprimer leurs réserves ou leurs objections.
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- Institut flamand de la mer
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- Société flamande de l'énergie
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