L’IA au secours des “asset managers” ?
Malgré des chiffres en croissance, l’industrie de l’”asset management” est sous pression, selon le cabinet de conseil BCG qui voit dans l’intelligence artificielle une belle opportunité pour le secteur de surmonter les défis.
La gestion d’actifs est-elle en train d’entrer dans une nouvelle ère ? C’est ce que suggère le Boston Consulting Group (BCG) dans son dernier rapport mondial sur la gestion d’actifs intitulé cette année Global Asset Management Report : AI and the Next Wave of Transformation qui analyse les tendances de fond du secteur. Il révèle que 72 % des gestionnaires d’actifs pensent que l’intelligence artificielle (IA) aura un impact significatif sur leur industrie. Les asset managers ayant participé à l’enquête de BCG voient même dans l’IA un moyen de surmonter les défis structurels auxquels ils sont confrontés : 66 % ont d’ailleurs déjà fait de l’IA générative une priorité stratégique pour leur entreprise, mais seulement 16 % ont une stratégie d’IA générative pleinement définie.
En vérité, l’industrie de la gestion d’actifs est confrontée à un paysage en pleine évolution, ce qui nécessite des stratégies innovantes pour répondre aux pressions économiques. Car malgré une croissance notable des actifs, les sociétés de gestion sont à la peine, selon BCG qui a interrogé une soixantaine d’asset managers représentant 15.000 milliards de dollars sous gestion.
Après une chute de 9 % en 2022, le volume des capitaux gérés a certes fortement rebondi de 12 % pour atteindre près de 120.000 milliards de dollars l’an dernier. Le marché belge de la gestion d’actifs ayant d’ailleurs suivi la tendance globale avec une croissance des fonds gérés de l’ordre de 10 %, ce qui est plus rapide que la moyenne européenne globale (+ 8 %). Mais derrière ces bonnes nouvelles se cache une réalité moins positive. D’après les chiffres compilés par BCG, les revenus n’ont augmenté que de 0,2 % en 2023, alors que les coûts se sont envolés de 4,3 %, ce qui a entraîné une baisse globale des bénéfices de plus de 8 % en moyenne.
Plusieurs défis structurels
Plusieurs maux structurels sont à l’origine de cette pression sur les revenus qui reste un problème, selon les experts de BCG. Depuis 2006, près de 90 % de la hausse des revenus provenait de la hausse des marchés d’actions, soutenue par des taux d’intérêt très faibles. Mais depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine et la remontée des taux d’intérêt enclenchée par les banques centrales pour vaincre l’inflation, ce contexte porteur n’est plus de mise.
Par ailleurs, l’an dernier, l’aversion au risque combinée à la hausse des taux a conduit les investisseurs à placer une partie de leurs avoirs dans des endroits sûrs : 1.300 milliards de dollars se sont ainsi dirigés vers des fonds monétaires et 700 milliards ont pris la direction du marché obligataire. D’un autre côté, 200 milliards ont été retirés des fonds en actions. Or ce sont ces derniers qui offrent les frais de gestion les plus importants.
A cela s’ajoute la popularité croissante des fonds passifs ou ETF (Exchange Traded Funds ou trackers) dont les frais de gestion sont très faibles. L’an passé, ils ont attiré pas moins de 70 % du volume total à l’échelle mondiale des nouveaux capitaux captés par les fonds de placement (environ 920 milliards de dollars) contre 57 % pour la période de 2019 à 2022. Aux Etats-Unis, plus de 50 % des actifs sous gestion sont désormais gérés passivement.
Conséquence logique de ces deux grandes tendances, les frais facturés au client continuent de s’éroder : ils ont même chuté de plus de 15 % depuis 2010. A l’inverse, les coûts poursuivent quant à eux leur inexorable ascension, tirés par l’inflation des salaires et les contraintes réglementaires de plus en plus lourdes. Une augmentation qui se monte à 80 % depuis 2010, selon BCG.
Bref, “il faut s’attendre à ce que les conditions de marché continuent d’être moins favorables par rapport aux dernières décennies jusqu’en 2022, avec notamment des taux d’intérêt qui devraient rester élevés”, résume Dean Frankle, managing director et partner basé à Londres chez BCG.
L’IA peut augmenter la productivité et réduire potentiellement les coûts de 15 %, selon BCG.
Nombre de possibilités
Mais au-delà des chiffres et du constat, le message de BCG est de dire aux professionnels de la gestion de portefeuille que l’IA ouvre de nouvelles possibilités. Elle est même, selon le cabinet de conseil, une opportunité majeure pour les aider à surmonter les vulnérabilités croissantes auxquelles ils sont confrontés, notamment en boostant considérablement l’efficacité. Selon Dean Frankle, les initiatives rendues possibles par l’IA peuvent augmenter la productivité à travers la chaîne de valeur et réduire potentiellement les coûts de 5 à 15 %. “L’IA, avance le consultant, peut être utilisée pour créer et gérer des portefeuilles personnalisés à grande échelle et pour mieux adapter l’expérience client.”
Les équipes de gestion consacrent en effet beaucoup de temps à l’analyse des données pour pouvoir se prononcer sur l’opportunité d’acheter ou pas telle ou telle action. A l’image de Kate, l’assistant personnel et virtuel qui aide les clients de KBC (CBC en Wallonie), le déploiement de l’IA peut faire gagner du temps, certainement aussi dans les placements liés au private equity auxquels ont de plus en plus accès les investisseurs issus de la classe moyenne.
“L’IA peut augmenter l’efficacité en automatisant les tâches répétitives et en synthétisant les données pour une prise de décision améliorée, reprend Dean Frankle. Au-delà, les acteurs du capital-investissement peuvent également créer de la valeur lorsqu’ils aident leurs entreprises en portefeuille à tirer parti de l’IA de manière proactive. Et puis, l’IA peut aussi aider les équipes d’investissement dans le développement d’hypothèses en rassemblant, synthétisant et analysant rapidement les données. Sans oublier les processus de gestion actif-passif (ALM) et d’allocation stratégique d’actifs (SAA) des gestionnaires d’actifs d’assurance qui peuvent aussi être améliorés.”
Traditionnellement, le processus de révision reposait sur des modèles mathématiques utilisés étape par étape. Désormais, les modèles d’IA peuvent comparer les portefeuilles et leurs niveaux de risque, optimiser les profils de désengagement et établir de nouveaux seuils de risque en une seule étape continue et à grande vitesse.
Dans un autre registre, les nouvelles technologies d’intelligence artificielle peuvent améliorer l’efficience et l’efficacité de la gestion de l’infrastructure informatique en détectant les anomalies, en prédisant les failles et en dépannant automatiquement les réseaux internes. Selon les spécialistes de BCG, les co-pilotes IA peuvent rationaliser le processus de code informatique et accélérer le développement, les tests et le déploiement d’algorithmes de trading. De plus, ajoute Dean Frankle, “les chatbots IA peuvent soutenir le service IT interne, permettant une résolution plus rapide des problèmes lorsque les utilisateurs rencontrent des difficultés techniques”.
L’“asset manager” de demain
Si des machines toujours plus performantes permettent des gains de temps en amont, l’expérience client et la personnalisation de l’offre constituent aussi un beau terrain de jeu pour l’IA et l’asset manager de demain. Parce qu’elle permet aux équipes de gestion de la clientèle de prendre en charge un nombre significativement plus élevé de clients avec un contenu plus personnalisé lors des moments qui comptent, selon Dean Frankle.
“L’IA peut aider l’équipe marketing à segmenter les clients potentiels en groupes très granulaires avec des besoins clairement définis, illustre l’associé de BCG. En utilisant le traitement du langage naturel, il est possible d’exploiter des outils d’IA pour développer un marketing adapté aux intérêts spécifiques des clients. Par exemple, les outils d’IA peuvent générer des mails personnalisés pour un groupe de clients potentiels, en mettant en avant les points clés adaptés à chaque destinataire. On peut aussi imaginer utiliser des outils d’IA pour analyser les informations concernant un client potentiel avant une réunion, en identifiant les besoins et préférences du client, par exemple un profil de risque basé sur des données démographiques, et en développant des points de discussion en conséquence.”
C’est dire, en somme, si l’IA peut aider pour beaucoup de choses dans le domaine de la gestion d’actifs, des fonctions administratives jusqu’à l’infrastructure IT en passant par la relation avec le client et la gestion de son portefeuille. En témoigne, par exemple, IndexGPT, le tout nouveau service développé par la banque américaine JP Morgan basé sur l’IA générative et destiné à fournir des conseils financiers à ses clients. Une petite révolution. Même si tous les gérants d’actifs et banquiers privés belges vous le diront : la technologie ne remplacera jamais complètement le contact humain avec le client, certainement quand il s’agit de parler de son argent.
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