“Les hommes font des déclarations tandis que les femmes posent des questions”: dix leçons pour les petits et grands entrepreneurs
Si les femmes entrepreneurs sont de plus en plus nombreuses en Belgique, elles restent néanmoins minoritaires. Véronique Bockstal et Vera Smets, deux femmes entrepreneurs, partagent leur expérience et leurs leçons de vie afin de susciter des vocations. « Les femmes n’ont pas moins d’ambition que les hommes, mais pour toutes sortes de raisons, elles développent leurs idées plus lentement. »
Depuis que Véronique Bockstal a vendu , en 2017, ses entreprises Wheatless & More et More than Soup, spécialisées dans les aliments sans allergènes, elle se concentre sur l’accompagnement d’entrepreneurs. C’est à contrecœur qu’elle se qualifie de « coach d’affaires », un terme qu’elle qualifie d’« usurpé ». N’importe qui peut se dire coach, mais tout le monde ne peut pas présenter les mêmes références. Véronique Bockstal a lancé un programme pour les femmes entrepreneurs au Collège universitaire de l’UCLL en 2019 et a publié son livre « La femme de 1 million » en 2021. « Saviez-vous que seule une femme entrepreneur sur 10 dans l’Union européenne réalise un chiffre d’affaires d’un million d’euros ? », explique-t-elle. Elle a tiré ce chiffre d’un sondage, réalisé par WeGate : en 2022, un peu plus d’un quart des femmes entrepreneurs interrogées ont réalisé un chiffre d’affaires compris entre 100 000 et 500 000 euros. 42 % d’entre elles avaient un chiffre d’affaires inférieur à 100 000 euros. « La règle de base est qu’il faut un minimum de 100 000 euros de chiffre d’affaires pour être et rester un entrepreneur solo à temps plein », dit-elle.
Vera Smets, quant à elle, ne se considère pas comme une coach pour entrepreneurs. Elle a fait de « Finance is fun » son slogan, sa marque et sa plaque d’immatriculation et gagne sa vie depuis près de 30 ans en donnant des formations financières à des personnes qui disent ne rien connaître à la finance. Pendant son temps libre, Vera Smets aime « examiner les idées des start-up avec du bon sens ».
Vous voulez enclencher la vitesse supérieure pour votre start-up ou votre entreprise ? Véronique Bockstal et Vera Smets vous expliquent comment procéder.
1. Tout entrepreneur est avant tout un vendeur
J’entends parfois des entrepreneurs dire : « La vente, ce n’est pas pour moi ». Alors, ne vous lancez même pas », pense Vera Smets. « Pour moi, vendre, c’est comme se connecter. Au début de ma carrière, je travaillais pour une banque et je devais vendre des assurances-vie. Le produit d’assurance proposé ne convenait pas à un client, et je le lui ai tout simplement dit. Je n’ai peut-être rien vendu ce jour-là, mais la fois suivante lorsque j’ai dit à ce même client : « J’ai un produit qui cette fois-ci vous conviendra », il m’a cru presque aveuglément. Ce n’est qu’en vendant honnêtement que l’on peut construire une relation à long terme avec ses clients ».
Véronique Bockstal pense que les femmes sont souvent trop modestes. « Il faut que tout soit au top avant qu’elles n’osent. Récemment encore, une femme d’affaires est venue me voir avec l’intention de servir gratuitement ses premiers clients. Je le lui ai déconseillé. Si vous faites des erreurs, corrigez-les. Vous pouvez toujours accorder une remise par la suite si le travail n’était pas satisfaisant. Mais vous devez vendre vos produits ou services ET vous faire payer pour cela ».
2. Mieux vaut plusieurs petits clients qu’un seul gros
Un entrepreneur dont le chiffre d’affaires dépend d’un seul gros client court plus de risques que si ce chiffre d’affaires provient de plusieurs clients. Vera Smets en a fait la triste expérience : « Au début, je n’avais que Belgacom comme gros client. Jusqu’à ce que Belgacom voie le chiffre d’affaires que je réalisais. J’ai alors été invitée au service des achats, qui m’a dit : « Nous pensons que vous pouvez réduire votre prix ». Ils m’ont pris en étau. Après cela, j’ai recommencé à prospecter et je me suis dit : cela ne m’arrivera plus jamais. »
Les petits indépendants boxent au-dessus de leur catégorie face aux grandes entreprises. Pour gagner, ils doivent se déployer et ne pas dépendre d’un seul gros client. En outre, si des produits ou des services ont été vendus, cela ne signifie pas pour autant qu’ils ont été payés. Vera Smets : « Si quelqu’un dit qu’il a réalisé un million d’euros de chiffre d’affaires, il faut lui demander quelle somme est réellement sur son compte. Lorsque je donnais encore mes formations dans les entreprises, j’envoyais ma facture avant même d’avoir repris ma voiture pour rentrer chez moi. L’entreprise dispose alors légalement de 60 jours pour payer. Avec les petites entreprises, vous pouvez essayer de raccourcir ce délai, mais avec les grandes entreprises, cela ne marchera pas ».
3. Les réseaux sociaux sont un atout
Lorsque Vera Smets a créé son entreprise en 1994, les réseaux sociaux n’existaient pas et l’internet n’était pas ce qu’il est aujourd’hui. Il fallait prendre le téléphone et appeler les entreprises dont le numéro se trouvait dans l’annuaire. « Je savais que je devais contacter des entreprises pour avoir une masse critique suffisante, mais j’ai dû entendre beaucoup de « non » avant d’obtenir un « oui ». Aujourd’hui, les entrepreneurs ont tellement d’autres possibilités que de passer des coups de fil. Il y a les réseaux sociaux et toutes sortes de canaux de vente ». Vera Smets utilise principalement LinkedIn et Instagram. TikTok ne lui convient pas.
« Je crois fermement au marketing de contenu », poursuit-elle. « Donner un peu de votre contenu gratuitement. J’organise régulièrement des séminaires en ligne gratuits, mes blogs sont accessibles gratuitement et mes podcasts peuvent être écoutés aussi gratuitement. 90 % des personnes que je touche ainsi n’achèteront sans doute jamais rien chez moi, mais elles auront peut-être appris quelque chose. Il faut voir cela comme du bénévolat. Je donne et je prends. Parce qu’en fin de compte, je le fais pour les 10 % restants, qui sont prêts à payer pour mon cours. Je ne trouve pas normal de pousser les gens à s’inscrire tout de suite à mon séminaire. Ainsi après un de ces webinaires gratuits, je commence mon argumentaire de vente et les gens ont deux jours de réflexion pour s’inscrire à prix réduit. En tant qu’entrepreneur, vous avez la liberté d’utiliser les canaux avec lesquels vous vous sentez à l’aise et qui vous conviennent.
Selon Véronique Bockstal, les médias sociaux aident les femmes entrepreneurs parce qu’elles peuvent y apprendre les unes des autres et constater qu’il n’y a pas de mal à se vendre. Elle note que dans le cadre du réseautage traditionnel lors de réceptions et d’événements, les femmes sont plus souvent inhibées que les hommes. « Les hommes considèrent le réseautage comme un travail, ce qui n’est pas le cas des femmes. Les hommes partent du principe que tout le monde est là pour nouer des contacts intéressants. Les femmes n’osent pas se présenter et présenter leur entreprise tout de suite parce qu’elles trouvent cela trop intrusif. Les hommes osent faire des affaires au bar, alors que les femmes se dévoilent plus avant d’établir une connexion. »
4. Plus de concentration et moins de dispersion
« Parfois, l’ambition pour un entrepreneur de développer son entreprise est incompatible avec son mode de vie », estime Véronique Bockstal. « Je demande parfois aux femmes si elles ne feraient pas mieux de poursuivre leur activité en tant que hobby ou de reporter leur rêve à une autre étape de leur vie. Je fais du coaching individuel avec des hommes et des femmes entrepreneurs. Lorsque je leur demande de faire un travail pour la séance suivante, les hommes l’ont souvent terminé, mais pas les femmes. Elles sont occupées par trop de choses à la fois. Cela freine la croissance. Il est possible de modifier à peu près n’importe quelle entreprise et de la faire grandir, mais il faut en faire sa priorité absolue et y consacrer du temps. Lorsque les entrepreneurs divisent leur attention, cela freine la croissance ».
Véronique Bockstal insiste sur le fait que son accompagnement est utile, quel que soit le produit, le service ou le secteur dans lequel les entrepreneurs opèrent. « Il s’agit avant tout de mieux connaître ses propres capacités et son entreprise. Certaines personnes sont naturellement de bons vendeurs, d’autres non. Il faut savoir où se situent les plus grands obstacles. La base est toujours la suivante : si vous voulez vous développer, vous devez vous décharger de certaines tâches, tant sur le plan privé que professionnel. Qu’est-ce qui doit être enlevé en premier ? Vous n’avez pas encore les moyens de vous offrir cette aide supplémentaire ? Dans ce cas, nous devons déterminer ce que vous devez faire en premier pour être en mesure de vous offrir cette aide. À la fin du programme de l’UCLL, chaque entrepreneur doit disposer d’une feuille de route contenant les étapes concrètes qu’il doit franchir. Sur cette feuille de route, chaque entrepreneur formule un maximum de trois priorités sur lesquelles il travaillera pour générer des revenus supplémentaires. Le reste sera mis de côté pendant un certain temps ».
5. Faire preuve d’adaptabilité
Pour Vera Smets, la clé réside dans l’adaptabilité. « Lorsque je travaille pour une entreprise, j’utilise des exemples tirés du bilan financier et des données de l’entreprise dans les formations destinées à ses employés, mais les principes de base sont toujours les mêmes. J’envoie à chaque stagiaire une boîte personnalisée contenant le support de cours et mon livre « La finance, c’est sympa ! »
6. Savoir ce que l’on veut pour son entreprise et se tenir à cette destination
Véronique Bockstal suit aujourd’hui 65 femmes qui ont suivi son programme au campus de Diepenbeek. « Chaque année, il y en a qui passent le cap du million d’euros de chiffre d’affaires. Certaines ont même déjà dépassé les 5 millions d’euros, d’autres en sont encore loin. Chaque entrepreneur doit savoir ce qu’il veut. Voulez-vous être une licorne (avec un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros, ndlr), ou voulez-vous simplement vous donner un petit coup de pouce ? C’est très bien, tant qu’il s’agit de choix conscients ». Pour elle, les entrepreneurs peuvent planifier leur croissance, même si elle ajoute immédiatement qu’un plan n’est qu’un plan et que chaque entrepreneur doit faire des ajustements en cours de route.
« Chaque entrepreneur a besoin d’objectifs à atteindre. Cet objectif ne doit pas nécessairement être un chiffre d’affaires d’un million d’euros, mais il faut être orienté vers les résultats », affirme Véronique Bockstal. « Où voulez-vous être dans un an ? Comment voulez-vous y arriver ? Que devez-vous faire pour y parvenir ? Il faut ensuite diviser les objectifs annuels en plusieurs parties et les traduire en objectifs par mois, voire par jour. Combien de clients potentiels devez-vous contacter par jour ? »
7. Tout entrepreneur est un employeur
Un entrepreneur est une personne qui se fournit ses propres revenus et est donc, par définition, un employeur. Or, les femmes entrepreneurs sont moins susceptibles d’embaucher du personnel, comme l’indiquent les statistiques, et cela aussi peut entraver la croissance de leur entreprise. Véronique Bockstal : « Les femmes ne veulent engager quelqu’un que lorsqu’elles sont sûres de ne pas avoir à le licencier. Il existe aujourd’hui de nombreuses autres formules : vous pouvez impliquer des personnes dans votre entreprise sans devoir les engager en tant que salariés. Si vous confiez suffisamment de missions à des free-lances, ils noueront également une relation avec votre entreprise ».
Vera Smets : « Je n’ai pas de salariés, mais six personnes travaillent pour moi en tant qu’indépendants. Une fois par trimestre, nous nous réunissons pour une journée, notre journée d’inspiration. Je fournis un lieu, de la nourriture et des boissons. Nous réfléchissons aux actions que nous pouvons entreprendre dans les mois à venir. Si je ne suis plus satisfait d’un free-lance ou si je n’ai plus de travail, je ne dois pas lui payer d’indemnités de licenciement. Lorsque les entrepreneurs engagent des personnes, ils risquent de se préoccuper davantage de les diriger et de les gérer que de leur passion. Ce n’est pas ce que je veux.”
8. Un leadership féminin et masculin est nécessaire
Pour Vera Smets, un leadership fort est lié à la connaissance des chiffres. Avec Naziha El Handoussi, elle crée le podcast Sense & Cents sur le leadership et la finance. « Un dirigeant fort ne prend pas de décision à l’instinct et comprend les rapports financiers de son entreprise. Les femmes ont parfois tendance à délaisser l’aspect financier et c’est dommage ».
En plus d’enseigner l’entrepreneuriat, Véronique Bockstal enseigne également le marketing et le leadership à l’UCLL. « Lorsque je demande à mes étudiants des exemples de leaders, ils ne mentionnent aucune femme. Puis quand je mentionne Taylor Swift, par exemple, ils la connaissent tous. Ils se détendent alors. En tant que pop star, Swift emploie en permanence une centaine de personnes. Dans chaque pays où elle se produit, elle fait tourner l’économie. Il est évident qu’elle est une leader.
En ce qui concerne les différences entre les hommes et les femmes, Véronique Bockstal a des opinions bien arrêtées, même si nous avons tous un mélange de traits féminins et masculins. « Il y a des différences hormonales. Les femmes ont un cerveau différent : les hémisphères cérébraux sont plus connectés. Et on nous dit des choses différentes dans notre jeunesse. Les garçons doivent être durs et les filles douces. Ces différences d’éducation nous amènent à communiquer différemment. Les hommes font des déclarations, les femmes posent des questions. Nous devons apprendre à mieux lire l’autre et un bon leader doit jouer de son côté féminin et de son côté masculin.
Véronique Bockstal renvoie à des recherches qui ont montré que les entreprises qui présentent une grande diversité sur le lieu de travail et au niveau de la direction sont celles qui innovent le plus et obtiennent les meilleurs résultats.
9. Fini la culpabilité
Les femmes développent souvent un sentiment de culpabilité de ne pas répondre aux attentes de la société. En tant qu’entrepreneuses, Véronique Bockstal et Vera Smets ont toutes deux choisi d’externaliser beaucoup de choses, mais pas l’éducation de leurs enfants.
Véronique Bockstal : « Les femmes ont peur que l’entrepreneuriat absorbe tout leur temps. On doit faire beaucoup avec son entreprise, mais on peut organiser soi-même son temps. J’ai divorcé quand ma fille avait 18 mois. À quelques exceptions près, je l’ai emmenée à l’école primaire et je suis allée la chercher tous les jours où elle était avec moi. Souvent nous voulons nous en occuper nous-mêmes de nos enfants. Ce n’est un problème que lorsque ce n’est plus un choix. Lorsque l’entourage attend des femmes qu’elles s’occupent toujours des enfants, les frustrations apparaissent et la garde des enfants a alors un impact sur la croissance de l’entreprise ».
10. Sans prévisions de bénéfices, la faillite menace
Pour Véronique Bockstal, une entreprise peut fonctionner à perte pendant un certain temps, mais : « Il faut aussi prévoir les pertes. Vous devez savoir qui supportera les pertes et vous devez savoir à partir de quand vous aurez une croissance suffisante pour devenir rentable. La durée pendant laquelle une perte peut être justifiée dépend du secteur. Les entreprises de biotechnologie peuvent facilement enregistrer des pertes pendant 10 ans. Les investisseurs sont conscients du risque qu’ils prennent ». Argenx, peut-être l’entreprise de biotechnologie la plus prospère de Belgique, n’entrevoit que progressivement la rentabilité, 15 ans après sa création.
Véronique Bockstal : « Les femmes préfèrent injecter leurs fonds propres plutôt que ceux de quelqu’un d’autre, alors que les investisseurs savent qu’ils prennent un risque. Cela freine également la croissance. Les femmes n’ont pas moins d’ambition que les hommes, mais pour toutes sortes de raisons, elles développent leurs idées plus lentement. »
« Il y a longtemps que j’ai décidé que le chiffre d’affaires n’était pas important », déclare Vera Smets. « Ce qui compte, c’est la marge et ce qu’il vous reste à la fin. Si vous réalisez un chiffre d’affaires d’un million d’euros, mais que vous avez engagé 995 000 euros de frais pour le réaliser, vous n’avez presque rien gagné : 5 000 euros avant impôts. Il vaut mieux alors faire 100 000 euros de chiffre d’affaires avec 25 000 euros de frais ».
Véronique Bockstal constate également que les entrepreneurs accordent encore trop peu de priorité aux activités les plus rentables. « Très souvent, je dois faire passer le message suivant : réduisez vos activités, faites-en moins, cueillez d’abord les fruits les plus faciles à cueillir et les marges les plus élevées, puis seulement le reste. S’il n’y a pas de profit en vue, la faillite guette. Véronique Bockstal : « On peut recommencer à travailler après une faillite. Il ne s’agit pas d’un échec. Je pense que l’échec est un vilain mot et je ne comprends pas pourquoi on l’utilise pour les entrepreneurs ».
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