Les déjeuners de la Villa Lorraine: quand Jean-Yves Mignolet rencontre Henri Leconte
Ils ont un point commun : le sport de haut niveau. Jean-Yves Mignolet dirige la société Myocène qui mesure, de manière objective, la fatigue musculaire chez les grands athlètes. L’ex-star du tennis Henri Leconte a fondé une société de coaching pour distiller ses conseils stratégiques en entreprise. Rencontre à La Villa Lorraine, sans raquettes, mais avec “Balles neuves”.
C’est le titre de son dernier livre paru aux éditions Marabout. Balles neuves raconte le destin vibrant du tennisman Henri Leconte, cinquième joueur mondial en 1986, qui s’est reconverti depuis dans la consultance et le coaching en entreprise. Première surprise : on avait gardé le souvenir d’un Français hargneux et cabot sur les courts ; on découvre aujourd’hui un homme sage et réfléchi, dans un récit sincère, inspirant et parfois même touchant. A 60 ans (il en fait 10 de moins), Henri Leconte affiche une zénitude qui surprend et qu’il partage aujourd’hui dans des séminaires, à travers la société de coaching HL&Co qu’il a fondée avec sa compagne Maya. Au menu de ses conférences en entreprise : la performance sportive au service des managers, entre gestion du stress, leadership et dépassement de soi.
De l’autre côté du filet imaginaire, ces Balles neuves ont été agréablement réceptionnées par Jean-Yves Mignolet, CEO de la start-up Myocène, spécialisée dans la mesure de la fatigue musculaire chez les sportifs de haut niveau. Cette société liégeoise a déjà conquis des athlètes célèbres comme les médaillés d’or olympique John-John Dohmen et son équipe de hockey, mais aussi des clubs de football étrangers aussi illustres que l’OGC Nice, le club portugais de Braga et même le prestigieux Paris Saint-Germain. Après avoir déjà levé 2 millions l’année dernière, Myocène s’apprête à conclure un nouveau tour de table financier “de 6 à 10 millions d’euros”, selon son CEO qui s’est prêté au jeu de l’interview croisée.
TRENDS-TENDANCES. Votre livre se vend bien, Henri Leconte ?
HENRI LECONTE. Il est très bien accueilli. On en est déjà à 12.000 exemplaires, ce qui n’est pas mal du tout pour ce genre de livre. Et moi, j’en suis fier. Parce qu’on a mis deux ans, voire deux ans et demi, à le faire avec ma compagne Maya. Il a fallu trouver le juste milieu et les mots qui me représentent. Quand vous le lisez, c’est comme si vous étiez à côté de moi. Et ça, c’est important. C’est un parcours de vie. Moi, j’aime bien découvrir les gens, les rencontrer et parler avec eux… (se tournant vers Jean-Yves Mignolet) Que faites-vous exactement ?
JEAN-YVES MIGNOLET. Myocène est une société récente qui a développé un dispositif de mesure de la fatigue musculaire à destination des sportifs.
H.L. Ah bon?
J.-Y.M. C’est un dispositif qui mesure aujourd’hui le quadriceps, qui est le muscle le plus important du corps et qui est vraiment représentatif de tous les sports d’équipe et des sports individuels. En fait, ça permet de mesurer la fatigue de manière objective et donc de renseigner tous les préparateurs sur les conditions dans lesquelles les sportifs évoluent. On apporte une solution qui permet de planifier les entraînements et de suivre un sportif dans une saison complète, pour voir s’il n’accumule pas cette fatigue et s’il ne risque pas de se retrouver en surentraînement. Et donc avec un risque de blessure, évidemment…
H.L. Donc, si je comprends bien, ça permet aussi de pouvoir programmer son pic maximum quand on a une date cruciale ou un événement important ?
J.-Y.M. Tout à fait.
Henri Leconte, si vous aviez eu ce dispositif à l’époque où vous étiez numéro 5 mondial, vous auriez pu aller plus loin ?
H.L. Ben voilà ! (En s’adressant à Jean-Yves Mignolet) Putain… Où étiez-vous ? (rires partagés) C’est vrai que ça m’est arrivé, dans plusieurs tournois du Grand Chelem, de jouer trop bien, trop tôt. Je l’ai par exemple ressenti avec Ivan Lendl. On était à Monaco, on préparait Roland-Garros et il me faisait des compliments : “C’est bien, super ! Mais tu joues trop bien, trop tôt.” Et moi, je n’ai pas compris. Quand je suis arrivé à Roland-Garros, j’étais cuit ! Lui, il a seulement poussé la machine à ce moment-là…
J.-Y.M. Evidemment, ce n’est pas parce qu’on a récupéré sa force maximale, qu’on a récupéré sa résistance à la fatigue sur la longue durée. Et donc ça, c’est vraiment quelque chose qui peut être mesuré aujourd’hui…
H.L. Et puis, surtout, je n’aurais pas eu mes trois opérations du dos. Trois hernies discales opérées ! On est capable aujourd’hui de faire des choses extraordinaires. On peut même faire des scanners debout, ce qui n’existait pas à mon époque. C’est quand même assez exceptionnel parce qu’on voit, dans ce cas, votre vraie position et la compression des vertèbres. C’est vrai ! En médecine, je suis devenu assez bon. Avec tout ce qui m’est arrivé… Je pourrais être chirurgien ! (rires) Donc, oui, si je pouvais jouer aujourd’hui avec mon corps de 25 ans et avec tous ces progrès scientifiques, je peux vous dire que je m’éclaterais ! Physiquement, ce ne serait plus la même chose. Mais pour qui travaillez-vous exactement ?
J.-Y.M. Maintenant que c’est paru dans la presse, on peut le dire (sourire) : nous travaillons avec le Paris Saint-Germain. Ils ont nos dispositifs et c’est vrai que ça leur permet de mesurer vraiment la fatigue des joueurs au lendemain des matchs. On travaille aussi avec l’OGC Nice…
H.L. C’est surtout important pour les sports collectifs, non ? Parce qu’on est capable de pouvoir gérer, à un certain moment, tout un effectif. On sait que tel joueur peut jouer très bien pendant 30 minutes à fond, puis après, hop, on le retire ! C’est hyper important, non seulement pour le joueur, mais aussi pour toute l’équipe et, bien sûr, l’entraîneur.
J.-Y.M. Effectivement. Mais notre dispositif s’adresse à tous les sportifs pour lesquels le quadriceps est un muscle important. C’est-à-dire aussi bien des sports individuels comme le ski ou le cyclisme, que tous les sports collectifs, que ce soit le basket ou le volleyball.
H.L. Et ça marche comment ?
J.-Y.M. Grâce à l’électrostimulation, on peut générer une contraction musculaire, toujours la même, qui est très bien quantifiée. On a aussi un capteur de force qui mesure la force résultante de la contraction et donc fatalement, si la force change, on a une information sur l’état du muscle. Donc en faisant un rapport entre ces deux forces-là, on déduit un index, qui est l’index de fatigue, et c’est cet index-là qui est mesuré régulièrement sur le sportif et qui permet…
H.L. De progresser ou alors de limiter la casse à un moment !
J.-Y.M. Exactement.
H.L. Mais ça pourrait intéresser les tennismen de haut niveau, ce genre de machine ! Il faut que vous contactiez des mecs comme Rafael Nadal ou Novak Djokovic… Tout de suite ! Parce qu’ils sont obligés d’avoir ce dispositif ! Un autre joueur qui serait vraiment intéressant à suivre, c’est Carlos Alcaraz. Parce que je le remarque : il monte, il monte, il monte, il craque ! Il monte, il monte, il craque !
“Le monde du sport de très haut niveau et le monde de l’entreprise, c’est exactement la même chose.” – Henri Leconte
Jean-Yves Mignolet, vous ne travaillez pas encore avec des stars du tennis ?
J.-Y.M. Non, pas encore, mais avec Henri, on va peut-être… (rires)
H.L. Mais oui ! Mais oui ! (rires) Et puis, on a une Fédération française du tennis qui a quand même du pouvoir et beaucoup d’argent… (rires partagés)
J.-Y.M. C’est vrai que c’est tout un nouveau monde à pénétrer. Myocène a déjà quelques beaux résultats puisque nous sommes présents dans quelques grands clubs de football qui ont rapidement pris la mesure de notre valeur ajoutée. Donc, c’est vrai qu’on a cette chance. On a beaucoup de visibilité dans ce sport-là avec un effet boule de neige. Mais c’est comme dans tout : il y a des gens qui vont très vite s’embarquer dans les nouvelles technologies et puis d’autres qui préfèrent patienter. Et donc, ça prend du temps. Il faut dire aussi que nous sommes une toute petite structure.
H.L. Combien êtes-vous ?
J.-Y.M. Pour l’instant, nous ne sommes que six, plus une personne en France qui développe vraiment le marché français. Mais nous allons grandir.
H.L. Vos machines, vous les vendez ou vous les louez ?
J.-Y.M. On travaille préférentiellement sur des formules de location à l’année. C’est ce qui se fait le plus maintenant. Vous louez l’appareil, les logiciels, le hardware, etc. Et s’il y a un problème, on change tout. Généralement, c’est une location à la saison.
Henri Leconte, en tant qu’ancienne star du tennis, vous faites surtout, aujourd’hui, du coaching en entreprise. Ça marche vraiment ou c’est un effet de mode ?
H.L. Ça marche vraiment. Ce n’est pas un effet de mode. J’aide les gens à pouvoir mieux se connaître et à aller encore plus loin en transmettant ce que j’ai pu vivre en tant que sportif de haut niveau. Vous savez, le monde du sport de très haut niveau et le monde de l’entreprise, c’est exactement la même chose. Il s’agit de gérer au mieux les personnes que l’on a autour de soi, de gérer aussi le leadership et bien sûr son ego. Car il y a le bon ego et le mauvais ego. Je l’explique dans mon livre. Donc non, ce n’est pas une mode. Je pense que c’est plutôt une ouverture d’esprit. Moi, j’ai écrit ce livre parce que j’avais besoin de le faire également pour moi. Pour un développement personnel qui était aussi important pour moi. Pour pouvoir accepter tout ce qui m’est arrivé et pour pouvoir aussi être plus honnête et plus performant par rapport à ce que j’ai pu vivre jusqu’ici.
Pour une journée ou un coaching en entreprise, combien facturez-vous ?
H.L. (Surpris) Je garde les tarifs pour moi, Monsieur ! Je savais que vous iriez dans cette direction-là, je vous connais maintenant ! (rires) Non, sérieusement, nous ne sommes pas dans des barèmes extravagants. Et puis, j’organise aussi des événements avec différentes sociétés. Par exemple, le 24 septembre, ce sera le Car Avenue International Golf Club by Henri Leconte & Friends. C’est un tournoi au Luxembourg qui rassemble une vingtaine de personnalités du monde du sport, de la radio ou du business. Cela fait déjà la quatrième année que je l’organise. On passe un bon moment.
Jean-Yves Mignolet, le livre d’Henri Leconte a-t-il résonné en vous ?
J.-Y.M. Il y a des choses quand même relativement désagréables qui vous sont arrivées. Je pense surtout aux blessures. Les humoristes de l’époque ne vous ont d’ailleurs pas épargné.
H.L. C’est vrai…
J.-Y.M. Ce qui est sûr, c’est qu’on vit aujourd’hui dans un monde où tout est noir ou blanc. Surtout avec les personnalités publiques. Soit on les aime, soit on les déteste. Il n’y a plus d’équilibre et ça vous l’expliquez bien dans votre livre. Et puis, cet autre constat : on ne peut pas sauver les gens s’ils ne veulent pas être sauvés. J’ai pu l’expérimenter dans mon travail. J’avais des personnes, dans mon équipe, que j’ai essayé de rendre meilleurs, mais s’ils ont eux-mêmes décidé de ne pas se rendre meilleurs, ça ne marche pas. Vous ne pouvez rien faire.
H.L. C’est exact. J’ai souvent voulu sauver les autres. Et j’ai compris qu’il fallait d’abord me sauver moi-même avant de sauver les autres.
“On ne peut pas sauver les gens s’ils ne veulent pas être sauvés. J’ai pu l’expérimenter dans mon travail.” – Jean-Yves Mignolet
Dans votre livre, on apprend aussi que vous avez été berné par “un professionnel de grande renommée” que vous ne nommez pas…
H.L. Oui, il m’a volé, c’est clair. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé sans rien. Vous arrêtez votre carrière, ce n’est déjà pas facile. Mais ensuite, on vous dit que vous êtes à zéro ! Et donc, ça joue sur tout. Ça joue sur votre vie personnelle, votre vie sentimentale. Ce sont des moments qui ont été durs, difficiles, mais ça ne sert à rien d’enfoncer le truc en nommant les gens. Je pense que cette personne est beaucoup plus malheureuse que moi aujourd’hui.
Et puis, il y a ce passage étonnant sur votre expérience de mort imminente à Dublin, en 2001, lors d’un tournoi du Champions Tour avec de vieilles gloires du tennis…
H.L. Oui, c’était incroyable. J’avais joué un match, je terminais mon repas et, tout d’un coup, j’ai eu l’impression qu’on me vidait une bouteille d’un litre et demi d’eau sur la tête. Je me suis mis à vomir et on m’a emmené aux urgences. On m’a décelé une méningite foudroyante et j’ai vécu cette expérience hors du temps, dans un tunnel avec une lumière très blanche. J’ai vu mon corps. Je me suis vu. Je partais, quoi ! Il y avait une main à chaque extrémité de ce tunnel avec une voix qui disait d’un côté : “Viens avec moi, c’est génial, tu vas voir, c’est beau, c’est pur !” Et de l’autre côté : “Non, reviens par ici, ne pars pas, on a encore besoin de toi !” Je me suis réveillé avec l’impression que cela avait duré des heures. Mais ce fut très furtif en fait.
Vous êtes revenu plus croyant qu’avant ?
H.L. J’étais déjà croyant. Quand on a gagné la Coupe Davis en 1991, juste avant, une fois par semaine, j’allais à l’église de Locronan. Je priais Dieu pour gagner. Et bien sûr, quand il vous arrive ce genre d’expérience, vous dites “Merci, mon Dieu !”. Enfin, vous dites merci en ce que vous croyez. C’est déjà très important.
Vous êtes croyant, Jean-Yves Mignolet ?
J.-Y.M. J’ai été élevé dans la foi chrétienne, comme on dit chez nous, mais je ne suis pas croyant. Je suis plutôt athée.
C’est le scientifique qui parle ?
J.-Y.M. Probablement, oui. J’hésite entre athée et agnostique parce qu’il y a une chose que le scientifique ne peut jamais totalement expliquer. Pourquoi y a-t-il eu le big bang ? Pourquoi l’univers est-il en expansion ? J’avais lu le livre La Formule de Dieu de José Rodrigues dos Santos, qui est un roman, mais qui évoque justement ce lien ou plutôt la façon dont Einstein concevait l’univers. Et qui rapproche finalement la conception des scientifiques avec celle de Dieu…
H.L. On va rester en contact, voilà ma carte !
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