Fabrice Brion, cofondateur et CEO d’I-care: “Nous serons en Bourse l’an prochain !”

Fabrice Brion, cofondateur et CEO d’I-care. © Frédéric Sierakowski

À la mi-septembre, I-care, la société montoise de maintenance industrielle prédictive, a fête son 20e anniversaire. L’occasion d’annoncer que, pour poursuivre son expansion technologique et géographique, le leader mondial vise une cotation sur Euronext Bruxelles l’an prochain.

I-care est assurément une belle histoire wallonne. Fondée à Mons en 2004 par Fabrice Brion et Arnaud Stiévenart, l’entreprise est le leader mondial du marché de la maintenance prédictive des machines industrielles. Elle emploie désormais 850 personnes, dispose de bureaux dans 16 pays et des clients dans 55 pays. Elle a réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 65 millions d’euros. Elle arrive au bout d’un plan de développement appelé Eau Rouge par référence au célèbre virage du circuit de Spa-Francorchamps.

C’est d’ailleurs sur le circuit qu’I-care a fêté son 20e anniversaire à la mi-septembre. La fin d’Eau Rouge, c’est une entrée en Bourse. Elle est désormais fixée à l’an prochain. L’occasion d’évoquer avec Fabrice Brion, son CEO, l’avenir de l’entreprise et ses objectifs de développement.

TRENDS-TENDANCES. Que de chemin parcouru depuis votre mémoire de fin d’études d’ingénieur industriel à la Haute Ecole Roi Baudouin à Mons…

FABRICE BRION. C’est amusant que vous rappeliez cela car peu de gens savent ou se souviennent que tout est parti de ce mémoire qui traitait des réseaux de neurones, soit l’IA d’aujourd’hui, appliqués à la maintenance prédictive par analyse des vibrations. À l’origine, j’avais été engagé par une start-up d’Heverlee pour le mettre en pratique. En quelques mois, elle a été rachetée deux fois pour finir dans l’escarcelle du groupe Emerson et de ses 123.000 employés. Je n’avais pas signé pour cela. Quand le patron européen d’Emerson, qui m’a reçu dans son bureau au Royaume-Uni, m’a signifié que mon projet ne les intéressait pas, je suis parti. Avec Arnaud Stiévenart avec lequel j’avais fait toutes mes études secondaires, on a créé I-care le 14 septembre 2004. Arnaud a continué à travailler chez PwC avant de me rejoindre en 2007.

Je suis persuadé, pour en revenir à mon mémoire, qu’il y a des pourcentages du PIB qui dorment dans nos universités et hautes écoles. Aujourd’hui, l’économie a besoin de sociétés à forte croissance. Pour cela, il faut de l’innovation dont une partie vient de nos écoles et de nos étudiants, et de l’entrepreneuriat. L’un ne va pas sans l’autre. On ne met pas cela assez en évidence en Europe. Il n’y a rien de dégradant dans le fait de vendre commercialement son innovation. C’est même essentiel. Les Américains et les Asiatiques l’ont parfaitement assimilé.

Vous venez de fêter les 20 ans d’I-care. Pourtant, il y a cinq ans, vous étiez à deux doigts d’être racheté…

Absolument et à un bon prix. Nous nous sommes déplacés, Arnaud et moi, à Palo Alto en décembre 2019. Nous n’avions plus qu’à signer. Une Lamborghini attendait devant le siège de l’acheteur comme bonus à la signature. Nous avons refusé de signer. Autant dire qu’ils étaient très fâchés. Nous avons dit non mais en se jurant d’avoir l’ambition de faire mieux que ce qu’ils proposaient.

C’est l’origine du plan de développement appelé Eau Rouge ?

Absolument. Pensé en 2021, il devait nous permettre de multiplier le chiffre d’affaires par cinq en cinq ans et de développer une nouvelle version de nos technologies. Il contenait trois phases de levées de fonds. La première avec les employés réalisée en 2021. Nous escomptions un million d’euros, nous en avons reçu 10 ! La phase 2, complétée en septembre 2022, a permis de lever 40 millions d’euros de fonds privés, entre autres, auprès de Finasucre.

La phase 3, c’est l’entrée en Bourse ?

Oui, elle aurait dû intervenir en 2023 mais les marchés n’étaient pas favorables. Mais aujourd’hui, je peux vous dire qu’I-care sera en Bourse l’an prochain.

Avec Arnaud Stiévenart, vous détenez 72 % d’I-care, les employés et Wallonie Entreprendre suivent avec quasiment 10 % chacun. Que va devenir cet actionnariat avec l’IPO ?

Je voudrais d’abord préciser ceci : le report de l’IPO nous a forcé à conclure un gentlemen’s agreement avec nos employés. S’ils quittent l’entreprise, ils nous revendent leurs parts. L’idée est de maintenir ce pourcentage de l’actionnariat au sein de nos forces vives. Avec l’IPO, ce ne sera plus le cas et les employés feront ce qu’ils veulent de leurs actions. Nous allons procéder à une augmentation de capital. Nous espérons lever 100 millions dans le cadre d’une valorisation d’I-care aux alentours du milliard d’euros. Soit 10 % du futur capital. Le ratio entre les actionnaires actuels ne devrait pas trop changer même s’il pourrait y avoir une petite revente chez les uns ou les autres. Je m’attends à du flottant aux alentours de 15 à 20 %. Ce qui est bien.

Entrer en Bourse, ce n’est pas le choix le plus facile aujourd’hui.

Non, c’est vrai. Mais c’est une question de marché. Les gens qui investissent aujourd’hui en Bourse ne sont pas les mêmes qu’hier. Beaucoup de jeunes s’y mettent dès qu’ils ont 1.000 euros de côté et le font en direct sur les plateformes ad hoc. Et la tech les branche.

En Europe, nous sommes trop frileux avec la Bourse. En fait, nous souffrons d’une triple peine. Nous avons peu de boîtes techs. Elles viennent d’ailleurs, les emplois et la valeur ajoutée se trouvent ailleurs aussi. Du coup, nous n’avons pas les talents de ces boîtes qui gagnent de hauts salaires et permettent de développer une région avec leur pouvoir d’achat. Enfin, nous ne bénéficions pas des plus-values sur les investissements. Apple, Google et Tesla, c’est une bulle ? Si j’avais investi 10 euros il y a 10 ans, j’en aurais 10.000 aujourd’hui. Avec Proximus, j’aurais 3 euros en poche. Le comportement de bon père de famille n’est plus de miser sur la valeur refuge mais sur les fortes croissances.

“Le comportement de bon père de famille n’est plus de miser sur la valeur refuge mais sur les fortes croissances.”

Pourquoi une IPO était-elle indispensable pour I-care ?

Tous nos clients sont cotés en Bourse. Nous leur offrons de la tranquillité d’esprit. Le client n’a pas envie d’entendre parler de nous. Nous leur vendons des non-événements. Comme une assurance. Elle doit être solide, transparente et digne de confiance. Dans ce sens, nous pensons que l’IPO est indispensable.

I-care est 100 % belge. La production et la R&D se déroulent à Mons. Vous démontrez donc qu’il est toujours possible d’avoir en Belgique un projet industriel de portée internationale.

Nous avons toujours voulu sortir du paradigme de la sous-traitance. Regardez où elle a mené Boeing ou certains constructeurs automobiles. Nous contrôlons tout de A à Z. Comme Odoo ou Aerospacelab. Pourquoi croyez-vous que l’entreprise carolo soit capable de produire des satellites de façon aussi rapide et agile ? Dans notre usine de Mons, l’objectif était de produire 200.000 capteurs par an, nous en sommes déjà à 250.000 en une seule pause. Nous sommes donc tout à fait capables d’absorber la croissance souhaitée de nos activités. Au prix d’une grande automation. Ce n’est pas une question de salaires mais de technologie. Il est impossible d’assembler nos capteurs à la main. Il faut des robots.

Le marché actuel, très fragmenté, vaut 5,5 milliards d’euros. Il est estimé qu’il devrait être multiplié par 10 en 10 ans. Multiplier votre chiffre d’affaires de la même manière en une décennie, c’est l’objectif à atteindre grâce à l’IPO ?

Pour rester relevant, c’est le minimum ! Vu la fragmentation du marché, nous n’avons que 2 à 3 %. Il va se consolider, ce marché, et il faut en être un acteur actif. Est-ce possible ? Le retour de mes hommes sur le terrain fait état actuellement d’un capteur sur 10 machines chez un client sur 10. Soit 1 % des machines potentielles. Multiplier par 10, cela ne ferait que 10 %. C’est donc plus qu’envisageable.

Pour multiplier notre chiffre d’affaires au moins par 10 en 10 ans, il importe de pénétrer de nouveaux secteurs. Nous sommes aujourd’hui présents dans les process (chimie, pétrochimie, pharma, etc.), la génération d’énergie (gaz, nucléaire, éolien, etc.) et l’industrie lourde comme l’acier. On pénètre à peine le secteur auto depuis le rachat cet été de Sensirion Connected Solutions, un concurrent allemand.

Il nous faut aussi faire progresser notre technologie qui repose sur quatre piliers : l’IA, la récupération de datas via les capteurs, la connectivité et la plateforme de gestion. Nous maîtrisons les quatre en interne. C’est la meilleure technologie du marché mais il faut penser à l’évolution suivante pour ne pas être dépassé ou copié.

Depuis le début, vous avez opté, vous le petit acteur belge, pour un développement international. L’Asie est-elle la cible suivante ?

C’est amusant que vous disiez cela. Beaucoup de gens pensent que nous voyons trop grand. C’est la mentalité d’ici. En réalité, tous les jours, nous nous rendons compte que nous voyons trop petit. Nous n’avons sans doute pas encore assez d’ambition. Mais oui, vous avez raison, avec l’IPO, il faut consolider l’Europe et les Amériques et partir à la conquête de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient.

“Beaucoup de gens pensent que nous voyons trop grand. En réalité, tous les jours, nous constatons que nous voyons trop petit.”

Pour conclure, vous avez une idée plus précise du timing de l’IPO ?

J’aimerais qu’elle intervienne au premier trimestre, mais c’est sans doute trop rapide. Ce sera sans doute le troisième. Pour autant que des éléments extérieurs, comme les élections américaines, ne viennent pas perturber les marchés. Ce sera à 99 % sur Euronext Bruxelles. I-care, ce sont des racines et des ailes. Des ailes pour aller dans le monde entier mais nos racines sont ici en Belgique. Le choix de Bruxelles est donc évident.

Et le Nasdaq ?

Nous sommes encore trop petits pour cela.

Fabrice Brion, cofondateur et CEO d’I-care. © Frédéric Sierakowski

Profil
2000 : Reliability Engineer chez Emerson Process Management
2001 : Master of Engineering à la Haute Ecole Roi Baudouin
2003 : Master in Innovative Management à l’Ecole Polytechnique de Mons
2004 : Création d’I-care
De 2016 à 2023 : six acquisitions d’entreprises à travers le monde

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