“En Wallonie, les entreprises de la construction sont trop petites”


En crise depuis quatre ans, le secteur de la construction voit le bout du tunnel, souligne Hugues Kempeneers, CEO d’Embuild Wallonie. Mais il met en garde sur deux dangers: les pénuries d’emplois et le nombre disproportionné de TPE. Il lance un appel au gouvernement wallon: “Ne touchez pas à l’accès à la profession, s’il vous plait!”
Quatre années de galère. Le secteur de la construction est en crise depuis quatre ans, mais espère voit bientôt le bout du tunnel. “Le terme de crise est bien choisi, mais il concerne surtout certains sous-secteurs boivent la tasse depuis plusieurs années”, acquiesce Hugues Kempeneers, CEO de Embuild Wallonie, qui était interrogé dans le cadre de notre Trends Talk sur Canal Z. L’éclaircie devrait venir de la rénovation et des objectifs climatiques.
Chute du pouvoir d’achat
“L’activité de la construction neuve a chuté de près de 18% entre 2021 et aujourd’hui, illustre-t-il. Par contre, la rénovation est poussée par les ambitions européennes et tire le secteur. Dans son ensemble, le secteur reste en récession en 2025, avec –0,4%. On sortira la tête de l’eau en 2026 et 2027, une reprise qui sera principalement tirée par la rénovation, encore, et la construction neuve de non-résidentiel.”
Le Belge, dit Hugues Kempeneers, a toujours une brique dans le ventre. “Sur la Wallonie, nous sommes à 70% de propriétaires occupants et 30% de locataires seulement. Mais si nous sommes en crise, c’est aussi parce que la crise du Covid et la guerre en Ukraine ont généré une explosion des coûts, tant des matériaux que de la main-d’oeuvre, avec un impact sur le pouvoir d’achat.”
L’exemple est parlant: en 2019, sept ménages wallons sur dix pouvaient acheter une maison de 240 000 euros. Cette même habitation, avec l’augmentation des coûts, ne peut plus être achetée aujourd’hui que par trois ménages sur dix.
Obligation de rénovation
“Nous avons donc perdu une accessibilité au logement de près de 50%. Il est encore possible d’acheter, mais cela devient de plus en plus difficile, constate le CEO. Heureusement, en Région wallonne, nous avons eu une baisse des droits d’enregistrement de 12,5% à 3% pour les habitations propres et uniques. Cela va donner un bol d’oxygène aux ménages. Attention: mon message consiste à dire qu’avec ces moyens, il ne faut pas acheter plus grand, mais investir dans la rénovation, parce que l’on va être obligé de rénover…”
Le problème est sérieux: il y a, en Wallonie, 1,6 million de logements, mais 50% d’entre eux ont été construits avant la seconde guerre mondiale, 80% en tout avant les années 1980 et les premières normes énergétiques. “Le défi est énorme, cela signifie que l’on doit rénover vingt logements toutes les heures pour atteindre les ambitions européennes. “ Impossible? “Ce n’est pas impossible, nous travaillons sur différentes solutions pour y arriver. Mais il faut un cadre législatif pour que les ménages achetant un logement sachent qu’ils devront rénover.”
La Wallonie est la seule Région où il n’y a pas d’obligation de rénovation. “En Flandre, il faut le faire dans les cinq ans, lié à une diminution des droits d’enregistrement. A Bruxelles, les passoires énergétiques seront interdites en 2033. Nous appelons à introduire cette obligation en Wallonie également, non pas pour faire plaisir au secteur, mais pour avoir un impact sur les prix de l’immobilier. Si vous savez en achetant un bien que vous devrez investir 30 000 euros pour refaire votre toiture dans cinq ans, vous ne mettrez plus le même montant pour l’achat.”
30 000 personnes à trouver
Pour faire face à l’explosion attendue de la rénovation, le secteur cherche de la main-d’oeuvre. En Wallonie, ils sont 62 000 travailleurs, 50 000 ouvriers et 12 000 employés. Un des problèmes majeurs reste le nombre de postes vacants, a fortiori si cette reprise se confirme. “Aujourd’hui, nous sommes à la recherche de 6000 paires de bras, précise Hugues Kempeneers. Une étude du Forem souligne qu’avec les ambitions de rénovation, d’ici 2030, on cherchera 30 000 personnes supplémentaires. Vous voyez l’effort que l’on a à fournir: il faut augmenter de près de 50% les effectifs!”
En raison de quoi y’a-t-il de telles pénuries? “Ce n’est pas la formation, prolonge-t-il. Ce n’est pas le salaire non plus parce que la construction paye très bien: dans les dix ouvriers les mieux payés en Belgique, huit dont partie de notre secteur. Nous sommes juste derrière la pharma, par exemple. Mais nous souffrons d’une image qui est un peu vieillotte. Quand des jeunes disent à leurs parents qu’ils aimeraient devenir maçon ou plombiers, souvent, le premier réflexe consiste à dire qu’il ferait mieux de terminer ses études.”
Il est essentiel de faire passer le message que le secteur de la construction n’est plus celui que l’on a connue à l’époque. “Ce n’est plus le même métier. Il est moins pénible. On parle de plus en plus de nouvelles technologies. Les drones sont utilisés au quotidien. Quand on est peintre et que l’on doit passer la journée les bras en l’air, un exosquelette est là pour soulager. C’est un métier qui est humain, aussi: on connaît les gens avec qui on travaille, c’est un maillage de la Région.”
De trop petites entreprises
En Wallonie, le secteur est porté par 35 000 entreprises. “C’est important de souligner qu’en Région wallonne, 96% d’entre elles font moins de dix personnes, insiste le CEO d’Embuild. Ce sont des TPE et des PME qui font vivre le secteur.”
Ce n’est pas idéal? “Ce n’est pas viable, clame Hugues Kempeneers. Nous avons des entreprises trop petites. Nous devons les faire évoluer vers une taille plus grande de 20 à 30 personnes. L’objectif est d’avoir des sociétés plus structurées, qui peuvent répondre à des marchés publics, engager du personnel avec une vraie politique de ressources humaines… Nous travaillons en ce sens avec Wallonie Entreprendre.”
L’évolution est importante pour éviter l’effondrement de petites structures et le risque de chantiers à l’arrêt, sans recours possible, en raison d’entrepreneurs peu scrupuleux. “Un élément fondamental dans notre secteur, c’est l’accès à la profession, souligne-t-il. Cela permet d’offrir des entreprises de qualité aux ménages qui souhaitent construire ou rénover. Or, il y a sur la table du gouvernement wallon, puisque c’est inscrit dans la déclaration de politique régionale, la volonté de supprimer les compétences de base pour l’ensemble des secteurs. Nous, notre demande est claire: ne touchez pas à cet accès à la profession, s’il vous plait!”
On ne change pas d’entreprise comme in changerait de sandwicherie, illustre le CEO. “Si votre entreprise fait faillite au moment de votre chantier, les impacts sont très importants. On a vu une augmentation des faillites, après la crise du Covid. Cela va un peu mieux, désormais, mais les compétences de gestion sont cruciales. En Flandre, ils ont supprimé l’accès à la profession: on a constaté une augmentation du nombre de créations d’entreprises, mais aussi une hausse du nombre de faillites. Nous devons être très vigilants à ce sujet, comme au type d’entreprises que nous souhaitons sur notre territoire.”
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