Lutte contre l’écart salarial: les entreprises belges “réticentes” à donner des informations
Le Parlement européen a approuvé des règles contraignantes pour lutter contre les écarts salariaux persistants entre les hommes et les femmes. Les mesures européennes vont même plus loin que la loi belge sur ces écarts de salaire. Nous avons demandé à trois spécialistes ce qui allait changer.
Le secret salarial sera interdit, peut-on lire dans le communiqué de presse sur ces règles contraignantes approuvées par le Parlement européen le 30 mars dernier. Même si c’est nouveau pour la Belgique, l’Europe entend lutter et renverser certaines habitudes :
=> Les entreprises n’ont plus le droit de demander aux candidats quel est leur salaire actuel ou précédent.
=> Les entreprises doivent répondre à la question de savoir combien les hommes et les femmes gagnent pour un emploi donné. “Les employeurs ne sont pas très enthousiastes à l’idée de donner une fourchette de salaire, car cela limite la marge de négociation”, explique Hanne De Roo de la FEB.
=> La charge de la preuve est désormais inversée devant les tribunaux. Les employés qui gagnent moins que leurs collègues ne doivent pas le prouver pour obtenir une compensation. C’est à l’employeur de prouver qu’il n’y a pas de discrimination et que le principe de l’égalité de rémunération a bien été appliqué.
Les États membres ont jusqu’en 2026 pour transposer les règles européennes dans leur législation nationale. “J’espère sincèrement que les États membres iront plus vite et ne perdront pas plus d’années”, déclare Sara Matthieu, eurodéputée Ecolo. Pour la Belgique, les changements sont moins importants que pour certains autres États membres. La loi belge sur les écarts de salaires a même partiellement servi d’inspiration à la loi européenne, mais il y a néanmoins quelques nouveautés importantes.
Hanne De Roo, de la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), s’attend à ce que la déclaration des écarts de salaire au sein d’une entreprise ne pose pas trop de problèmes. “L’Europe fixe la barre à 100 employés. En Belgique, les entreprises doivent déjà procéder à une analyse concise de la structure des rémunérations à partir de cinquante employés. Les entreprises qui emploient cent personnes doivent rédiger un rapport complet. Sur la base de ce rapport, le conseil d’entreprise décide si un plan d’action est nécessaire ou non.
Plus de transparence
Les entreprises belges doivent préparer un tel rapport tous les deux ans, après la clôture des exercices pairs et avant le 31 mars de l’exercice suivant. En d’autres termes, les écarts salariaux pour 2022 sont déjà connus. Les représentants syndicaux reçoivent ce rapport, mais les travailleurs ne reçoivent souvent pas la même quantité d’informations à ce sujet. Les employés ne savent donc pas s’ils gagnent beaucoup plus ou un peu moins par rapport à leurs collègues qui occupent la même fonction.
L’Europe veut changer cela. “Lorsque les candidats postuleront, l’employeur ne sera plus autorisé à leur demander combien ils ont gagné dans un emploi précédent”, explique Sara Matthieu. “L’employeur devra donner une indication du salaire normal pour un emploi donné. Tant les employés actuels que les candidats devront avoir accès à cette information.”
Selon Maud Nautet, économiste à la Banque nationale de Belgique, les femmes ne sont pas toujours conscientes qu’elles gagnent moins. L’économiste s’attend donc à ce que ces règles de transparence salariale aient un impact. “Les hommes négocient mieux. Si les femmes savent qu’elles gagnent moins que leurs collègues masculins, elles peuvent exiger un salaire plus élevé”. Maud Nautet note que les femmes sont plus susceptibles de commencer leur carrière armées d’un diplôme de l’enseignement supérieur que les hommes. Elles trouvent également plus rapidement du travail que les hommes. Ainsi, les femmes partent en pole position, mais elles sont rapidement rattrapées par les hommes.
Avec cette exigence d’information, les entreprises belges ont un peu de mal à s’y retrouver. “Une fourchette salariale limite la marge de négociation”, estime Hanne De Roo. “Nous ne voulons pas de barèmes dans le secteur privé comme dans le secteur public. Parfois, les employeurs sont prêts à payer davantage un employé s’ils ont besoin d’engager quelqu’un de manière urgente ou si un poste est difficile à pourvoir. Si les autres employés découvrent que le nouvel arrivant gagne plus, cela crée un mécontentement.”
Agir davantage
En Europe, la responsabilité d’agir incombe non seulement à l’individu, mais aussi à l’organisation. En plus d’exiger que les offres d’emploi et les descriptions de poste soient neutres du point de vue du genre, la législation européenne stipule également que des mesures doivent être prises si l’écart de rémunération au sein d’une entreprise est supérieur à 5%. “Nous pensons qu’il ne devrait y avoir aucune différence de rémunération entre les hommes et les femmes et que toute différence devrait donner lieu à une action”, affirme Sara Matthieu. Pour d’autres partis, comme la N-VA, l’Europe va trop loin et menace de surcharger les PME belges d’une administration onéreuse et contraignante.
Le principe “à travail égal, salaire égal” figurait déjà dans le traité de Rome de 1957, qui a jeté les bases de l’Union européenne. Pourtant, en 2021, les femmes gagnaient encore en moyenne 12,7 % de moins par heure que les hommes dans l’Union européenne, selon Eurostat, l’office européen des statistiques. Avec un écart salarial de 5 % en 2021, la Belgique fait partie des meilleurs élèves.
“Nous avons vu l’écart salarial diminuer année après année depuis que la loi belge sur l’écart de rémunération a été adoptée le 22 avril 2012”, déclare Hanne De Roo. “Les employeurs et les employés évaluent également cette loi régulièrement dans le cadre du Conseil national du travail (CNT) et procèdent à des ajustements si nécessaire. Cette évaluation a été mise en suspens pendant un certain temps, dans l’attente de la nouvelle législation européenne, mais Hanne De Roo s’attend à ce que le CNT la réexamine au cours du second semestre de l’année.
Maud Nautet estime que la Belgique ne doit pas se contenter de ce petit écart salarial de 5%. “Selon les calculs de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, l’écart salarial horaire était de l’ordre de 9,2 % en 2021. L’Institut tient davantage compte du contexte belge et apporte quelques corrections, ce qui rend ce chiffre plus pertinent que celui d’Eurostat.”
Le gouvernement à la rescousse
Lorsque les hommes ont des enfants, leur carrière s’en trouve boostée. Ils ont plus de chances d’être promus et de gagner plus. Tandis que chez les femmes, c’est l’inverse qui se produit. “Nous savons que les femmes font des choix différents, surtout lorsqu’elles ont des enfants”, explique Maud Nautet. “Les femmes choisissent plus souvent de travailler dans des secteurs moins bien rémunérés. Elles prennent plus souvent congé pour s’occuper de leur famille ou de leurs proches. Mais la discrimination persiste également en Belgique. Les employeurs, lorsqu’ils recrutent et promeuvent des jeunes femmes, tiennent déjà compte de la possibilité qu’elles voudront des enfants et qu’elles seront donc absentes pendant un certain temps.
Avant et après un accouchement, les femmes bénéficient d’un temps de récupération, avec un congé de maternité de 12 à 15 semaines. Le congé de leur partenaire est limité à deux ou trois semaines. Le congé parental est plus souvent pris par des femmes. Tandis que celles, qui ont des enfants mais qui veulent aussi poursuivre leur carrière à plein régime, ont l’impression de ne pas y avoir droit. “Si le gouvernement veut changer cela, il devrait obliger les deux parents à prendre une part égale du congé parental”, estime Maud Nautet.
Hanne De Roo pense également que l’augmentation des prestations est un moyen d’encourager les hommes à prendre davantage de congés familiaux et d’offrir aux femmes de meilleures opportunités. Elle ajoute toutefois que cela ne peut se faire que dans le cadre d’une révision générale des avantages liés aux congés, qui soit neutre sur le plan budgétaire. “En Belgique, les parents reçoivent une allocation forfaitaire assez faible lors d’un congé parental. En Suède, les parents reçoivent un pourcentage de leur salaire à titre d’allocation lorsqu’ils prennent un tel congé. Aujourd’hui, ce sont les parents qui perdent le moins de salaire qui prennent ce congé, et ce sont malheureusement souvent des femmes.”
L’une des priorités du gouvernement fédéral est de porter le taux d’emploi à 80 %. D’ici 2021, 67 % des femmes âgées de 20 à 64 ans travailleront, contre un peu moins de 75 % des hommes. Maud Nautet a examiné pour le Conseil supérieur de l’emploi comment réduire cet écart entre hommes et femmes en matière d’emploi. Mais dans un contexte de pénurie de crèches et de milieux d’accueil, cela devient très difficile.
Des problèmes de qualité ont déjà contraint plusieurs garderies à fermer définitivement leurs portes. Si les parents ne parviennent pas à trouver une place pour leur enfant, l’un des deux est contraint de travailler moins, voire d’arrêter. L’organisation de services de garde d’enfants est une tâche qui incombe aux pouvoirs publics. Il ne suffit pas d’imposer des règles aux entreprises pour réduire l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. Le gouvernement doit également faire sa part pour parvenir à cette égalité sur le lieu de travail. Tous les interlocuteurs sont d’accord sur ce point.
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