Lorin Parys, CEO de la Pro League: ‘‘Notre football n’est pas en crise’’

Lorin Parys, CEO de la Pro League © BELGA PHOTO DIRK WAEM
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Les clubs de football belges vivent des moments particulièrement difficiles avec des droits télé en baisse et la réduction drastique de la publicité pour les sociétés de paris sportifs. L’occasion de faire le point sur leur santé financière et les défis de la Pro League avec son CEO Lorin Parys.

La baisse des droits télé et la réduction de la pub pour les paris sportifs mettent-elles, plus que jamais, la Pro League et surtout les clubs, dont les finances ne sont déjà pas très saines, dans une situation de ‘‘crise’’?

Lorin Parys: Notre football n’est pas en crise. Aujourd’hui, nous comptons quatre millions de fans qui suivent notre football chaque semaine, cinq clubs toujours en lice pour une qualification en phase européenne et des équipes qui restent compétitives à l’échelle internationale. Nos clubs forment des jeunes talents qui bénéficient d’opportunités dans la compétition nationale et continuent de progresser. Cependant, nos clubs doivent également ajuster leurs dépenses à leurs revenus et adopter une gestion financière responsable. L’année dernière, ils ont enregistré une perte de 193 millions d’euros, en partie due à une augmentation de 100 millions d’euros de charges fiscales sur à peu près deux ans et due aussi aux conséquences persistantes des crises énergétique et sanitaire.

Malgré cela, des signes de changement commencent à émerger grâce à des règles d’autodiscipline installées par la Pro League. D’ici 2027, tous les clubs devront présenter des fonds propres positifs. L’année dernière, la moitié des clubs respectait déjà les critères prévus à cinq ans et l’autre moitié remplissait les exigences actuelles. Les salaires des joueurs ne peuvent plus dépasser 70 % des revenus. Des progrès ont également été observés sur ce plan. Et puis, les clubs sont devenus plus prudents en matière de transferts entrants et adoptent une gestion plus équilibrée. Ils ont conscience de l’importance d’une situation financière saine. La gestion d’un club de foot est compliquée, raison pour laquelle on a installé la Pro League Business School à l’Université d’Anvers. Nous sommes sur la bonne voie, même si beaucoup reste à faire.

Revenons aux droits télé qui sont passés de 103 millions à 84 millions par an. Comment expliquer cette situation? Le foot belge ne vaut plus 100 millions par an? Oserait-on dire que ‘‘trop de foot a tué le foot en Belgique’’?

Je le répète : plus de quatre millions de Belges sont fans de notre football et une grande partie suit chaque semaine les matchs de la Pro League, que ce soit via les médias ou dans les stades. A l’heure actuelle, on n’a vendu que les droits nationaux. On lance la procédure pour la vente des droits internationaux et les droits du streaming pendant ce mois de janvier. Ensemble, avec nos clubs et les détenteurs des droits, nous travaillons à offrir plus d’innovation, une meilleure accessibilité à notre football pour les supporters et à développer nos compétitions en tant que marques fortes alliant sport et divertissement.

Aujourd’hui, nous constatons en Europe une tendance où la valeur des droits médias est moins élevée qu’au début des cycles précédents. En France, les droits ont diminué de près de 50 % par rapport aux attentes. En Italie, on observe une baisse de 14 % et en Allemagne, les droits stagnent. Nous devons donc être réalistes. Nous pensons arriver à plus que 90 % des revenus de la dernière période qui atteignait une moyenne de 100 millions d’euros par saison, en tenant compte du fait que nous sommes partis d’un montant initial de 60 millions d’euros dans un contexte avec peu de concurrence.

Cette diminution s’explique par plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a, spécifiquement pour la Belgique, une moindre concurrence qu’auparavant, ce qui a un impact certain sur les offres. Cette diminution de la concurrence est largement due à la situation des opérateurs télécoms qui sont sous pression et qui investissent beaucoup dans la fibre, sans parler de la menace concrète du piratage. Mais nous devons être aussi  vigilants quant à l’attractivité globale de notre football. D’une part, on n’a jamais eu autant de matchs et, d’autre part, les possibilités de divertissement n’ont jamais été aussi nombreuses, tout comme les plateformes qui captent les jeunes. Aujourd’hui, notre football n’est pas seulement concurrencé par les championnats étrangers, il l’est aussi par YouTube, TikTok et Instagram.

Venons-en aux nouvelles contraintes liées à publicité pour les sociétés de paris sportifs dans les stades et sur les maillots. Comment se fait-il que les clubs ne s’y sont pas préparé plus tôt? Est-ce si compliqué de trouver des sponsors classiques qui ne sont pas liés à l’univers des jeux d’argent?

Tout d’abord, il est important de souligner que la modification législative de 2022 a été adoptée sans concertation avec le monde du football, ni avec le secteur des opérateurs de paris. Pourtant, nous avions instauré un dialogue durable et constructif avec la Commission des jeux de hasard et les autorités, qui avait même abouti à un protocole commun sur la publicité responsable pour les jeux d’argent. Dans ce cadre, nous avions pris des mesures proactives pour limiter considérablement les risques. Nos clubs s’étaient vu interdire d’inciter directement les supporters à jouer et toute forme de publicité ciblant les mineurs était strictement taboue. Le fait que la législation ait été modifiée subitement, sans aucune concertation, a donc provoqué une rupture de confiance avec le ministre de la Justice de l’époque.

Aujourd’hui, l’impact de l’interdiction de la publicité représente une perte d’au moins 20 millions d’euros par saison. Cela constitue une ponction financière importante pour nos clubs, déjà durement touchés par les pertes engendrées durant la crise du Covid, sans aide de l’État comme à l’étranger, et aussi par la crise énergétique et, je le répète, par l’augmentation d’environ 100 millions d’euros par an des charges fiscales lors de la législature précédente. Nos clubs ont évidemment entrepris des recherches pour trouver de nouveaux partenaires commerciaux, mais ces opportunités ne se présentent pas facilement.

Nous espérons que le prochain gouvernement, dans les discussions actuellement en cours, tiendra compte de cette réalité et collaborera avec nous pour établir un cadre publicitaire où une communication responsable pour les opérateurs agréés resterait possible. Ce modèle permettrait d’orienter les joueurs vers des plateformes légales tout en garantissant aux clubs des ressources qu’ils pourraient réinvestir dans le développement sportif.

Les clubs n’ont visiblement pas dit leur dernier mot. Ils ont trouvé des astuces pour contourner la loi. Par exemple, au Standard, le logo de la société de jeux Circus est devenu celui du site d’informations sportives Circus Daily… Vous cautionnez ces pratiques? Ne risque-t-on pas de voir se multiplier les procédures judiciaires?

Le cadre législatif continue de soulever des questions auprès de toutes les parties concernées. Les clubs, la Pro League et les autres acteurs ont tous sollicité des avis juridiques et évoluent sur cette base-là. Et il y a déjà un grand nombre de procédures devant les cours qui essaient d’éclaircir certains différends…

Si l’on en croit la FIFA, les équipes de la Pro League ont empoché, l’été dernier, plus de 370 millions d’euros pour la vente de leurs joueurs et dépensé un peu moins de 100 millions pour les nouvelles recrues, soit une balance positive d’environ 270 millions pour ces transferts. Vu l’évolution des droits télé et la réduction de la pub, ce sont les transferts qui font plus que jamais tourner la machine du foot belge ?

Les transferts représentent effectivement l’une des principales sources de revenus pour nos clubs. Cependant, il est important de souligner que cela découle d’une politique d’entreprise consciente et que cela illustre la force de nos centres de formation, ainsi que le rôle de notre compétition comme tremplin pour les jeunes talents. Les centres de formation ont été transformés grâce à des critères stricts de licence, ce qui en a fait des centres de formation et post-formation de haute qualité, reconnus à l’échelle européenne et même mondiale.

Lors de la saison 2022-2023, pas moins de 60 millions d’euros ont été investis dans la formation des jeunes, soit bien au-delà de l’exigence légale de 30,5 millions d’euros, ce qui témoigne de l’engagement des clubs envers le développement des jeunes talents. Cette stratégie axée sur une formation de qualité constitue la pierre angulaire du modèle économique du football professionnel belge. Les jeunes joueurs formés dans nos clubs deviennent des professionnels accomplis qui poursuivent leur carrière dans les grandes ligues européennes. En outre, les talents issus de la compétition belge figurent, avec ceux des Pays-Bas et du Portugal, parmi les plus recherchés par les clubs des cinq grands championnats européens.

Êtes-vous optimiste pour l’avenir du foot belge et, surtout, pour l’avenir des clubs de Pro League sur la scène européenne ?

Absolument. Sur le plan sportif, nous avons réalisé ces dernières années un bond significatif dans le classement du coefficient UEFA. Aujourd’hui, nous sommes solidement ancrés à la 8e place et on nourrit l’ambition, à terme, de rivaliser avec les Pays-Bas et le Portugal. Les bases que nous avons posées pour notre football sont solides. Nous sommes convaincus que les nouvelles règles instaurées en 2022 renforceront structurellement notre football et nous sommes ravis de constater qu’elles ne freinent en rien le développement sportif de nos clubs, bien au contraire.

On est et on reste le sport favori de tous les Belges et on constate d’ailleurs une nette croissance : on a atteint un chiffre record des fans dans nos stades, on a 6% de spectateurs en plus pour les diffusions, l’appli Pro League est utilisée par plus de 250.000 Belges, on vient de lancer la Pro League Hall of Fame avec beaucoup de succès, on va innover avec une ligne hors-jeu automatique, on investit dans le foot féminin et dans nos actions sociales, et on va organiser le plus grand quiz de foot du monde à la fin de la saison.  

Cependant, le football à l’échelle européenne traverse des temps particulièrement complexes. L’affaire Diarra remet en question le système des transferts, tandis que les calendriers de plus en plus chargés de l’UEFA et de la FIFA exercent une pression croissante sur les compétitions nationales. Par ailleurs, les mouvements tectoniques entre fédérations, clubs et ligues pourraient redessiner la gouvernance du football européen. À la Pro League, nous nous efforçons d’être acteurs de ces évolutions, en nous plaçant dans le cockpit des discussions internationales afin de contribuer activement à façonner le football de demain. Plus que jamais, il est crucial de faire entendre notre voix à l’échelle internationale pour garantir la pérennité et la compétitivité de notre championnat national.

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