L’impressionnante résilience des exportateurs
Les entreprises ont agi pour repenser leur approvisionnement ou rendre leur production moins énergivore. Cela leur permet de retrouver un relatif optimisme, malgré les nombreuses incertitudes qui planent sur l’économie mondiale. Analyse en compagnie des CEO des entreprises lauréates des derniers awards wallon et bruxellois à l’export.
Les crises se succèdent mais elles ne semblent pas altérer la relative confiance des exportateurs. Cette année, pour la huitième édition du baromètre Credendo-Roularta, l’indice de confiance remonte en effet pour atteindre les 6/10, un niveau qui n’avait été dépassé qu’en 2017. Mieux: la proportion d’entrepreneurs qui pensent que les exportations vont stagner durant les trois prochaines années recule subitement de 7 points (et même de 12 par rapport à 2020).
“Je ne m’attendais pas à un indice aussi bon après ces années de crises sans interruption et ce sentiment de danger climatique devenu quasi permanent, commente Nabil Jijakli, deputy CEO de l’assureur-crédit belge Credendo. La résilience de nos entreprises m’impressionne.”
“De grands changements géopolitiques s’opèrent devant nos yeux, explique Gauthier Philippart, CEO et cofondateur de Trasis, lauréate du dernier prix à l’export décerné par l’Agence wallonne à l’exportation et aux investissements étrangers. En tant qu’entrepreneurs, nous devons regarder cela positivement car tout changement peut se traduire en opportunités. Il y a certes du travail, nous ne sommes pas encore sur des bases stables. Mais les chaînes d’approvisionnement se remettent en place, les demandes croissent, le climat économique mondial est relativement bon.”
L’amélioration: les chaînes d’approvisionnement
Les chaînes d’approvisionnement constituent une belle illustration de la résilience des entreprises. Elles sont aussi nombreuses à avoir connu des problèmes que les années précédentes, singulièrement parmi les exportatrices (63% et même 75% chez les plus gros exportateurs, contre seulement 38% pour celles qui n’exportent pas). Des biens n’ont pas été livrés, ou alors tardivement et souvent avec une hausse de prix conséquente.
“Il y a également un impact plus sournois sur la qualité, souligne Gauthier Philippart. Des fournisseurs connaissaient aussi des problèmes d’approvisionnement, ils ont cherché des pièces de remplacement ailleurs et il s’est avéré qu’elles n’avaient pas exactement la même qualité. Ce problème de qualité a ensuite été répercuté sur nos clients, ce qui fut un peu pénible à gérer.”
On parle de résilience car les entreprises ont appris à vivre avec ces aléas d’approvisionnement. Chez Fyteko (award bruxellois à l’export en 2022, voir encadré ci-dessous), on a ainsi élargi les stocks et, surtout, programmé les achats de matières premières un an à l’avance, au lieu de commander d’un mois à l’autre sur base des besoins. “Nous avons prévu le coup où la Chine ne pourrait plus livrer, où l’Allemagne couperait certaines livraisons à cause de l’augmentation des prix, etc., explique Guillaume Wegria, CEO et cofondateur de Fyteko. Nos clients sont de grands comptes, nous ne pouvons pas nous permettre de les décevoir. Les circonstances nous ont poussés à anticiper nos besoins, ce qui est une très bonne chose pour Fyteko.” Il concède cependant que l’envoi de conteneurs à l’autre bout du monde demeure compliqué, et très onéreux, pour une PME qui expédie de petites quantités et doit donc se grouper avec d’autres pour la grande exportation.
Fyteko est une PME bruxelloise qui a développé un biostimulant capable d’améliorer la résistance des plantes aux périodes de sécheresse. Elle dispose d’une ligne de production pilote à Mons et envisage de lever des fonds, afin de passer à l’étape suivante en construisant une véritable usine. Fyteko emploie 18 personnes. L’un de ses premiers clients fut l’Ukraine où, de manière étonnante vu d’ici, les commandes reprennent cette année. Le chiffre d’affaires de Fyteko devrait atteindre les 2 millions d’euros cette année, grâce à des accords commerciaux avec les Etats-Unis, le Brésil et l’Argentine. “Nous sommes freinés par le retour d’un certain protectionnisme, concède Guillaume Wegria. Les Etats-Unis ont connu de graves problèmes d’approvisionnement pendant le covid et sont désormais très sensibles aux risques de non-livraison. Ils poussent à ce que nous ouvrions une filiale là-bas, c’est aussi le cas pour l’Amérique latine.”
Trasis (voir encadré ci-dessous), qui est une société dix fois plus grande que Fyteko, a, elle, carrément décidé de produire elle-même certains composants dont les livraisons devenaient incertaines. “Cela nous permet aujourd’hui d’offrir des services complémentaires à nos clients, se félicite Gauthier Philippart. Nous avons mis à profit cette période particulière pour réfléchir au futur, pour anticiper les évolutions et c’est toujours une très bonne chose pour une entreprise. Nous avons par exemple beaucoup travaillé sur la robustesse de tous nos processus. Et globalement, cette période a priori compliquée se révèle plutôt favorable pour nous. Elle nous a permis de nous démarquer de la concurrence et de saisir de nouvelles opportunités.”
Trasis n’a pas spécialement cherché à relocaliser son approvisionnement pour la bonne raison qu’elle privilégie les fournisseurs locaux depuis le début. “Nous avons travaillé avec eux pour les aider à rester bien concurrentiels, au niveau du prix comme de la qualité, précise le CEO de Trasis. Il y a quelques années, nous étions à contre-courant en agissant de la sorte. Aujourd’hui, tout le monde veut le faire… Cette proximité, le fait de connaître personnellement les personnes avec lesquelles nous travaillons, tout cela donne des bases solides à l’entreprise.”
Trasis est une société liégeoise, active dans la médecine nucléaire. Elle conçoit et fabrique des équipements de pointe pour le diagnostic et le traitement du cancer. Trasis emploie 220 personnes et prévoit quelque 120 embauches cette année. Son chiffre d’affaires a doublé en trois ans pour atteindre les 55 millions en 2022. Cette année, la croissance devrait toujours être de 30 à 40%. Trasis exporte la quasi-totalité de sa production. “Nous sommes bien positionnés en tant qu’Européens, pointe, en esquissant un sourire, Gauthier Philippart. Quand je rencontre un client chinois, c’est assez facile de le convaincre d’opter pour Trasis plutôt que pour notre concurrent américain. Et quand je suis aux Etats-Unis (Trasis y a implanté une filiale), je peux offrir une meilleure garantie de livraison que mes concurrents chinois.”
L’écueil: la main-d’œuvre
Les coûts de production sont plus que jamais le premier frein à la politique d’exportation des entreprises belges. Ce handicap résulte des prix énergétiques et du coût de la main-d’œuvre. “Une indexation des salaires de 11,08% en janvier, cela nous rend évidemment moins compétitifs, concède Guillaume Wegria. Je comprends l’intérêt de protection des petits salaires mais faut-il vraiment appliquer cela aussi aux salaires plus élevés? Cela participe à cette boucle inflationniste. Fyteko est encore en mode start-up, certains produits arrivent sur le marché et nous ne pouvons pas augmenter nos prix quand nous sommes encore en phase de démarrage. Nous devons donc prendre sur nos marges.” Notre baromètre confirme que plus on exporte de gros volumes, plus on peut répercuter les hausses de coûts, en tout cas en ce qui concerne l’énergie.
Au-delà du coût, il y a la difficulté à recruter le personnel nécessaire qui affecte les exportateurs. Les pénuries de main-d’œuvre arrivent cette fois sur le podium des facteurs qui impactent négativement nos exportations. “Il y a malheureusement des opportunités que nous ne pouvons pas saisir, en raison du manque de main-d’œuvre, confirme Gauthier Philippart, dont l’entreprise compte engager… 120 personnes cette année. Cela résulte d’un problème de formation mais aussi culturel, et j’avoue que cela commence à m’angoisser. Je ne ressens plus la même envie des gens, la valeur ‘travail’ n’a plus le même sens. On peut éventuellement tendre vers cela en tant que société mais il y a une dichotomie entre les prétentions des gens et les efforts qu’ils sont prêts à accomplir. Cette évolution me préoccupe beaucoup.”
Pour y remédier, Trasis mise sur des formations afin de “tirer les gens vers le haut” ainsi que sur les valeurs et même la taille de la société. “Nous sommes toujours une PME mais avec des moyens qui commencent à arriver”, résume-t-il. Trasis est par ailleurs impliquée dans les actions de formation que met en place B2H, la plateforme liégeoise qui regroupe les acteurs de la santé.
La trame: l’enjeu climatique
Les entreprises soutiennent dans de larges proportions (65 à 83%) l’intensification des actions et des mesures législatives pour lutter contre les dérèglements climatiques. Elles ne semblent donc pas en phase avec l’idée d’une “pause” dans les réglementations en la matière, comme l’ont évoquée le Premier ministre Alexander De Croo ou le président français Emmanuel Macron.
“Les entreprises ne sont globalement pas opposées à un durcissement mais elles sont plutôt dans une logique volontariste et proactive, insiste Nabil Jijakli. Elles veulent d’abord agir elles-mêmes et, bien entendu, un cadre belge ou européen avec des objectifs, des contraintes sans doute mais aussi des incitants devrait les y aider.” Les répondants à notre baromètre approuvent en effet plus massivement l’idée d’actions sans attendre les règles gouvernementales.
Guillaume Wegria relève néanmoins que si ces chiffres indiquent a priori une belle conscientisation envers les enjeux climatiques, ils sont tous en recul par rapport au baromètre de l’an dernier. “C’est un peu décevant parce que les effets des changements climatiques, nous les voyons avec des sécheresses à certains endroits, des inondations à d’autres, dit-il. Peut-être y a-t-il une forme de ras-le-bol après toutes les crises et les catastrophes de ces dernières années. Mais les entreprises doivent agir, ne serait-ce que parce que les gens, nos clients, veulent des produits plus verts et que les réglementations évolueront en ce sens. Ici aussi, il vaut mieux anticiper le mouvement.”
“Moi, clairement, je me range parmi les 65% qui estiment qu’il faut durcir les règles pour accélérer la décarbonation de l’économie, renchérit Gauthier Philippart. Comment? Je ne sais pas, ce n’est pas mon job. Mais si nous ne faisons pas de concessions, nous fonçons droit dans le mur.” Il invite à tout le moins à ce que les règles soient identiques pour tous, que les produits importés répondent aux mêmes contraintes que la production belge ou européenne. “La contrainte, je la vois comme quelque chose de positif à terme, précise-t-il. Toute rupture technologique crée de la valeur pour tout le monde.”
Il rebondit également sur l’idée, approuvée par 80% des exportateurs, selon laquelle les produits coûteront plus cher dans une économie décarbonée. “A long terme, qu’est-ce que cela signifie ‘plus cher’? , interroge Gauthier Philippart. Si nous réduisons le poids des marchandises, l’exportation coûtera moins cher.” “Il faut regarder tous les éléments de l’équation, abonde Guillaume Wegria. Les prix de l’énergie ont fortement augmenté, c’est un coût à court terme. Mais la plupart des entreprises ont revu leurs process pour réduire leur consommation d’énergie et, par là, leurs émissions de CO2. C’est finalement un impact positif de la hausse des prix.”
Le plus gros impact: les prix de l’énergie!
Parmi les six “événements” de l’actualité proposés, la hausse des prix énergétiques est celui qui impacte le plus négativement les exportations. En bonne logique, les entreprises ne se sont pas contentées de pleurer sur leurs factures et ont initié des actions pour réduire leur consommation. “La sensibilisation des employés arrive en premier lieu et c’est une excellente chose, estime Nabil Jijakli. Cela a un effet bénéfique dans l’entreprise mais aussi en dehors, dans la vie quotidienne des employés. C’est en outre un excellent levier de rétention du personnel car les gens, surtout les plus jeunes, sont très attentifs à la stratégie de durabilité des employeurs.” “Nous sommes parfaitement dans cette ligne, ajoute Gauthier Philippart. Nous sommes tous, à notre niveau, acteurs de la lutte contre le changement climatique, c’est pour cette raison que nous informons notre personnel, que nous lui donnons des pistes d’action. Mais bien sûr, nous suivons aussi les formules classiques d’investissement dans la production d’énergies naturelles ou de construction d’un bâtiment passif.”
Enquête en ligne réalisée par Roularta du 19 avril au 13 mai 2023. 998 personnes y ont répondu. 42% étaient des CEO et 24% des membres de comité de direction.
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Fyteko
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Siège social:
Brussel
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Secteur:
Tuinbouw, tuinaanleg, bloemen en planten
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