“Liege Airport est le leader de ­
l’e-commerce aérien en Europe”

L’aéroport bénéficie de sa spécialisation dans le fret.
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

L’aéroport de Liège est devenu, depuis le début de l’année, le premier aéroport européen pour les avions full cargo, devant le géant Francfort. De quoi faire oublier les péripéties du permis d’exploitation, que la Région wallonne a été obligée de réécrire.

Depuis le début de l’année, l’aéroport de Liège progresse. “Contrairement à ce que l’on pensait fin 2023, le fret aérien se porte bien chez nous et dans le monde”, indique Laurent Jossart, CEO de l’opérateur Liege Airport. Il espère arriver à 1,1 million de tonnes cette année, environ 10% de plus qu’en 2023.

La plateforme de Bierset a aussi dépassé d’une courte tête Francfort pour les avions full cargo. “Nous sommes devenus numéro un des hubs européens”, poursuit le CEO. Le marché du fret aérien est partagé à moitié entre les vols tout cargo et le fret voyageant en soute d’avions passagers. Liege Airport s’est spécialisé dans la première catégorie. “C’est une grande reconnaissance dans notre monde à nous”, s’enorgueillit Laurent ­Jossart.

La péripétie du permis d’environnement

Voilà de quoi regonfler le moral d’un aéroport qui a traversé des turbulences : son nouveau permis d’environnement, attribué début 2023, valable jusqu’en 2040, avait été mis en péril. En réponse à divers recours, l’auditeur du Conseil d’Etat avait recommandé son annulation. L’exécutif wallon l’avait mal rédigé : il n’avait pas suffisamment justifié le plafond de 55.000 vols, plus du double de la situation actuelle (25.000 vols). L’exécutif a revu sa copie et sorti au printemps un nouveau permis. Il fera sans doute l’objet de recours, mais le risque de suspendre l’exploitation a été écarté.

Liege Airport se serait bien passé de cette péripétie. Surtout que les aéroports attirent la vindicte de riverains et la critique des mouvements environnementaux, qui y voient une source d’émissions de CO2 à limiter davantage.

Laurent ­Jossart, CEO 
de l’opérateur Liege Airport

La majorité sortante a confirmé les conditions de la première version du permis, principalement un plafonnement à 55.000 mouvements (vols) par an d’avions de plus de 34 tonnes, contre 25.000 actuellement (35.000 en comptant les avions sous les 34 tonnes), et la fin des décollages nocturnes des bruyants Boeing 747-400 en 2030.

Un nouveau plan pour doubler la capacité

“C’est une tendance nouvelle, en Europe, de plafonner les activités des aéroports dans les nouveaux permis, chez nous, à Zaventem ou à Amsterdam, observe Laurent Jossart. Nous devons vivre avec.” Le dirigeant considère que l’aéroport de Liège reste encore un aéroport de petite taille, très spécialisé, loin du trafic des aéroports passagers. L’activité “doit être comparée à l’activité d’autres aéroports comme Charleroi, avec 87.000 mouvements, 230.000 pour Bruxelles, ou Amsterdam, avec 500.000 vols”. Le récent permis attribué à Brussels Airport fixe un plafond de 240.000 mouvements d’ici 2032. Charleroi est en phase de renouvellement de son permis.

Liege Airport a donc la possibilité de doubler sa capacité. “Nous avons revu le master plan qui avait été réalisé en 2020, avant l’attribution du permis”, précise le CEO. Il détaille, plan multicolore à la main, les développements d’ici 2040. La zone nord de l’aéroport sera agrandie, “avec 15 nouvelles places de parking pour avions (ce qui doublera la capacité), trois bâtiments de handling de 12.000 m2 chacun et un emplacement pour un important hangar de maintenance pour de gros avions”. La deuxième piste de l’aéroport, parallèle à la piste principale, sera allongée pour remplacer cette dernière lorsque des travaux de rénovation seront lancés. Une zone de recharge électrique et de plein d’hydrogène pour camions sera construite.

Développer 
la multimodalité, 
au-delà de l’aérien

L’un des axes du développement est la multimodalité, qui revient à transformer la zone de Liege Airport en plateforme logistique au-delà de l’aérien. Avec le projet d’un terminal de ferroutage (lire l’encadré), facilitant le transbordement entre camions et trains. La construction, en cours, du site Cargo City West par le groupe Weerts, avec 252.000 m2 de hangars, s’inscrit dans cet objectif. Une marchandise pourra très bien arriver en camion, être triée, stockée, réexpédiée par camion ou train, sans voir le tarmac.

Les partis de la majorité sortante ont globalement adhéré à ces plans, au nom de l’emploi, Ecolo avec réticence. Pour suivre la tendance européenne où les emplois industriels perdus sont peu ou prou compensés par le développement de la logistique. “Le plan nous permettra de passer de 11.000 à 26.000 emplois, directs et indirects”, assure Laurent Jossart.

“Le fret aérien 
se porte bien 
chez nous et 
dans le monde.”

Laurent ­Jossart, CEO 
de l’opérateur Liege Airport

Le doublement des activités d’ici 2040 semble validé par la croissance observée. “Il faut analyser les choses sur une longue période, continue le CEO. De 2018 à 2023, nous avons enregistré la plus forte croissance en Europe, à savoir une hausse de 16%. Pour Amsterdam, Francfort ou Paris, l’évolution était négative.” Le résultat est d’autant plus méritoire que Fedex, très gros client historique de Liege Airport, avec le rachat de TNT Express, a restructuré ses activités et s’est concentré sur son hub de Paris Charles De Gaulle, ce qui a réduit les vols nocturnes, et que la filiale logistique d’Alibaba, ­Cainao, n’a pas eu le développement espéré.

Les Houtis, Temu et Shein poussent le trafic

La croissance actuelle tient la fois à des facteurs conjoncturels et structurels. Le harcèlement des Houtis, qui perturbent le trafic vers le canal de Suez, oblige les navires venant d’Asie à contourner l’Afrique pour joindre l’Europe. “Les tarifs des transports maritimes sont devenus élevés, ce qui encourage l’avion”, fait remarquer le CEO. Il y a aussi une tendance de fond, à savoir l’e-commerce, qui pèse plus que jamais à Liege Airport. Deux champions chinois, Temu et Shein, spécialisé dans le vêtement et les produits de grande consommation, bousculent Alibaba et Amazon. Tous utilisent largement Liege Airport pour entrer en Europe. “Nous sommes devenu le leader de l’e-commerce aérien en Europe”, se réjouit Laurent Jossart. Ces colis représentent environ 20% du trafic total de l’aéroport.

Enfin, Liege Airport bénéficie de sa spécialisation dans le fret. La plupart des concurrents sont surtout dédiés aux passagers. “Francfort ou Amsterdam ont des problèmes de congestion, ils donnent une priorité au trafic passager, plus rentable”, explique notre interlocuteur.

Le poids essentiel des “freight forwarders”

Pour construire la croissance de demain, Liege Airport cherche à attirer le plus possible de freight forwarders (transitaires), qui sont les décideurs du fret aérien. Le site en compte 53 (50 au début de l’année). “Ce sont eux qui choisissent, pour les entreprises, les moyens de transport utilisés pour les marchandises, selon la destination, le type de produit. Ils sont responsables auprès des clients finaux de l’acheminement des marchandises. Ce sont eux qui attirent les compagnies aériennes, les DB Schenker, les Kuehne+ Nagel, les DSV, DHL Logistics, etc.”, indique Laurent Jossart.

Liege Airport bénéficie actuellement de sa forte position sur le marché du fret aérien, mais il y a beaucoup de freight forwarders dans le monde. “Il y en a des centaines, des généralistes, des spécialistes du pharma, du fleurs, du matériel d’extraction pétrolière, des chevaux, des fruits exotiques, etc. Nos commerciaux vont tous les voir, nous allons par exemple en Colombie ou au Kenya pour rencontrer des spécialistes du périssable, à Dallas pour le matériel pétrolier.” Ils poussent leurs arguments : un aéroport ouvert 24h/24h, la rapidité pour en sortir les marchandises, les possibilités logistiques proches (canaux, port d’Anvers, trains, routes). Plus il y a de freight forwarders à l’aéroport, plus il y a de compagnies aériennes. Les plus actives sont Ethiopian, ASL, Fedex, Saudia, Challenge. Cette année, Liege ­Airport a attiré Turkish Cargo.

Régler les soucis en douane

Ces développements s’accompagnent de quelques perturbations. Le SPF Finance a ouvert des procédures en justice contre des déclarants en douane. Les accusations portent sur la sous-évaluation de la valeur des biens importés. Ceux en provenance de Chine arrivent dans de tels volumes qu’ils en rendent les contrôles compliqués. C’est un conflit délicat. Plusieurs procédures, notamment contre la société ECDC, ont du reste été perdues par les douanes. Cette crise inquiète Liege Airport. “Elle n’est pas bonne pour la réputation de l’aéroport, mais c’est un souci que l’on retrouve dans d’autres aéroports européens, dit Laurent Jossart. Le sujet est plus aigu car nous sommes les leaders de l’e-commerce en Europe. Nous sommes neutres dans ces dossiers. Nous cherchons à mettre tout le monde autour de la table pour parvenir à un modus operandi satisfaisant pour les opérateurs et la douane, en toute légalité, avec des règles claires.”

Un pari sur le fret ferroviaire classique

Liege Airport a longtemps rêvé de participer à un réseau de TGV fret nocturne, notamment avec l’aéroport de Paris-Roissy, mais le projet semble rester au frigo, faute de partenaires. Il mise plutôt sur le fret ferroviaire traditionnel déjà présent à l’est du site de l’aéroport. Un terminal rail accueille des trains provenant de Chine. Il est géré par la société LLI (Liege Logistics Intermodal), dans laquelle Liege Airport négocie une participation. Le terminal serait étendu sur le site de l’aéroport, sur la plaine de Cuber, pour pouvoir accueillir des trains plus longs. “Nous y avons des projets d’installations de ferroutage, où des remorques de camions pourraient prendre le train”, explique Laurent Jossart. L’idée serait d’étendre la vocation logistique de la plateforme hors de l’aérien. Les marchandises pourraient y transiter, y être stockées ou triées, sans passer par l’avion. “Cainao fait déjà venir une partie des marchandises de Chine par le train. Nous croyons au fret traditionnel, surtout que la route va devenir compliquée avec les péages qui augmentent et l’introduction des achats de quotas carbone.” Cela colle avec la volonté des pouvoirs publics belges et européens de relancer le rail pour décarboner le fret.



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