L’Europe totalement dépendante des clouds américains: un risque stratégique et économique

L’Europe est aujourd’hui fortement dépendante des services cloud fournis par les géants technologiques américains. La Belgique aussi. Une situation qui inquiète tant sur le plan économique que stratégique.
Ces dernières années, des entreprises et des administrations publiques ont massivement transféré leurs données et infrastructures vers des solutions opérées par Amazon Web Services (AWS), Microsoft Azure et Google Cloud. La dépendance envers les services cloud américains est ainsi devenue problématique. En effet, selon Synergy Research, à eux seuls, ces trois acteurs détiennent pas moins de 70 % du marché du cloud en Europe, alors qu’aucune entreprise européenne ne dépasse 2 % de part de marché.
Un enjeu de souveraineté économique et technologique
Pour rappel, un service cloud repose sur des serveurs informatiques et des systèmes de stockage accessibles en permanence, mais externalisés. Ce service permet de stocker, traiter et gérer des données à distance, via Internet, plutôt que sur un ordinateur ou un serveur local. Si cette technologie permet d’accéder à tout, ou presque, depuis n’importe quel appareil connecté, elle soulève aussi des défis en termes de sécurité, de confidentialité et de souveraineté des données.
Cette dépendance quasi totale au cloud américain est d’autant plus problématique que la domination des hyperscalers américains ne se limite pas à la simple fourniture de capacités de stockage et de calcul. Ces fournisseurs de services cloud aux millions de serveurs sont capables de gérer et d’exploiter d’immenses infrastructures informatiques à travers le monde, garantissant une disponibilité quasi illimitée. Ils offrent également une gamme de services intégrés, couvrant la bureautique, la gestion financière, l’intelligence artificielle et la communication. Ces nombreux avantages rendent leurs solutions quasi incontournables pour les entreprises, les institutions et même les utilisateurs individuels. La plupart des applications utilisées en Europe fonctionnent en effet sur l’infrastructure des hyperscalers américains (voir encadré).
Cette mainmise est aussi préoccupante en raison des réglementations américaines telles que le Patriot Act (2001) et le Cloud Act (2018). Ces lois donnent au gouvernement des États-Unis le droit d’accéder aux données stockées par des entreprises américaines, même si ces données sont physiquement hébergées en Europe. Cela impacte directement la souveraineté numérique des entreprises européennes.
Par ailleurs, rien ne garantit que l’accès au cloud américain ne devienne pas un levier de pression politique. Trump pourrait, par exemple, imposer des conditions aux pays européens en menaçant de leur couper l’accès aux services cloud américains.
Une réaction tardive des gouvernements européens
Face à ces risques, plusieurs États membres de l’Union européenne commencent à prendre des mesures pour réduire leur dépendance au cloud américain. En Belgique, notamment, la question devient préoccupante. Pratiquement tout a été transféré vers le cloud. Sous prétexte que c’était plus simple et moins cher. Aujourd’hui, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer des investissements dans des solutions locales afin de garantir l’indépendance technologique du pays.
L’UE elle-même a pris conscience de cet enjeu et a nommé, en novembre 2024, Henna Virkkunen comme commissaire à la souveraineté technologique. De plus, une coalition d’entreprises européennes de la tech plaide pour la création d’EuroStack, un écosystème cloud européen capable de rivaliser avec les hyperscalers américains. Cependant, cette initiative est encore embryonnaire et nécessiterait un investissement estimé à 300 milliards d’euros sur dix ans.
Les limites des initiatives européennes
L’Europe a également tenté ces dernières années de réguler les grandes entreprises technologiques américaines à travers des procédures antitrust et des régulations visant à garantir une concurrence équitable. Toutefois, en dix ans, ces efforts se sont révélés insuffisants pour contrecarrer la domination des hyperscalers. L’équation est d’autant plus compliquée que l’Europe doit chercher à renforcer ses capacités tout en restant intégrée aux chaînes de valeur mondiales. Sous peine de perdre toute expertise et sa compétitivité.
Le coût élevé d’une migration vers un cloud européen
Le développement d’un écosystème cloud européen viable nécessitera donc non seulement des investissements conséquents, mais aussi une approche pragmatique.
Aux divers défis déjà cités s’ajoute encore un point très concret : le coût et la complexité d’une transition vers un cloud souverain. Faute d’alternatives intégrées, les entreprises ayant largement investi dans les services américains devraient réaliser une migration complexe et onéreuse si elles optaient pour une solution européenne en remplacement du cloud américain. Il faudra donc mettre en place de fortes incitations pour encourager les entreprises à opérer cette transition. En gros il s’agira d’utiliser bâton et carotte pour faire bouger les troupes et encourager la “préférence européenne”.
Quelques exemples concrets d’utilisation du cloud dans le quotidien :
Le cloud est intégré littéralement partout :
Stockage de photos et vidéos via Google Photos, Apple iCloud, OneDrive. Vous pouvez y accéder à tout moment et depuis n’importe quel appareil connecté à Internet.
Streaming de musique et vidéos via Spotify, Apple Music, Netflix, YouTube.
Stockage de documents et travail collaboratif via Google Drive, Microsoft OneDrive, Dropbox.
Sauvegardes automatiques via iCloud, Google Drive, Dropbox pour ne rien perdre quand GSM ou ordi plante.
WhatsApp, Telegram, Slack
Services bancaires et financiers en ligne.
Assistants vocaux et intelligents comme Amazon Alexa, Google Assistant, Apple Siri
Applications de fitness et de santé comme MyFitnessPal, Strava, Fitbit
Tout ce qui est automatisation de la maison comme les thermostats intelligents, les caméras de sécurité ou les ampoules LED qui peuvent être contrôlés à distance via une application mobile.
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