Les voitures d’occasion: des occases en or massif
Le marché de l’occasion affronte une hausse des tarifs de plus de 20% en un an. Le secteur, qui connaissait un phénomène de concentration et la montée en puissance de start-up ambitieuses, est secoué. Les clients aussi…
Le premier marché automobile en Belgique et dans un bon nombre d’autres pays est, faut-il le rappeler, celui des voitures d’occasion. L’an dernier, il pesait quasiment le double, en quantité, que celui du neuf. C’est là que la grande majorité des particuliers viennent se fournir. Et les prix y grimpent bien plus rapidement que l’inflation.
“Nous observons une augmentation très forte des prix avec des variations de plus de 20%, voire 25%“, confirme Vincent Hancart, CEO du site AutoScout24, numéro 1 pour les annonces de voitures d’occasion sur le net. En juillet dernier, le prix moyen des véhicules en vente sur son site atteignait 24.119 euros alors qu’il se situait un an auparavant à 19.722 euros, soit une hausse de 22,3%. “On peut dire que ces chiffres sont représentatifs du marché puisque 90% des exemplaires d’occasion disponibles sont en ligne sur notre plateforme.”
Une moyenne de 21.000 euros
Ces chiffres sont peu ou prou confirmés sur le terrain. “Ceux qui avaient des petits budgets ne viennent plus, avance Jean-Claude Gathon, CEO de Soco, premier acteur wallon de l’occasion, centré sur la seconde main de moins de cinq ans. Ils sont remplacés par une clientèle plus aisée qui voulait acheter une automobile neuve et qui se tourne vers l’occasion récente.” Les transactions moyennes, chez Soco, se situent autour des 21.000 euros. L’entreprise propose un petit millier de voitures. “Les prix ont augmenté de 20% à 30% sur deux ans mais se stabilisent actuellement“, assure Filip Rylant, porte-parole de Traxio, la fédération du secteur automobile.
La principale raison de cette poussée est la baisse de l’offre de véhicules de seconde main, conséquence des livraisons tardives des voitures neuves. “Depuis presque deux ans, nous vivons une disruption de la dynamique du marché: une voiture neuve libère un véhicule d’occasion”, explique Ivo Willems, CEO de Cardoen, qui se prévaut d’un stock de 1.600 véhicules. Si le cycle ralentit et que la demande reste solide, les prix montent. “Par rapport à début 2021, l’offre d’occasion s’est contractée de 25,4%”, estime Vincent Hancart, toujours sur base des offres du site AutoScout24, qui concerne toutes les catégories de véhicules.
Voilà qui secoue un marché en pleine transformation. Celui-ci était très fragmenté, entre les mains de marchands locaux ou de concessionnaires. Depuis quelques années, il s’organise et s’industrialise. Plusieurs start-up s’y sont lancées, dont l’allemande Auto1 Group (sous le nom Autohero en Belgique) qui mise sur l’achat en ligne. Des groupes internationaux se développent, comme le français Aramis Group, contrôlé par Stellantis, qui a absorbé chez nous Cardoen en 2018 et CarSupermarket.com en Grande-Bretagne en 2021.
Ceux qui souffrent sont les groupes les plus endettés et les petits acteurs. Parmi les premiers, la start-up britannique Cazoo, qui mise sur la vente en ligne et se développe en Allemagne, en France, en Espagne et au Portugal, a montré de premiers craquements. Elle a annoncé en juin un “business realignment plan” (plan de redressement) basé sur une réduction d’effectifs de 750 personnes. Sa croissance est formidable, elle a plus que doublé ses ventes au premier semestre 2022 mais elle est très agressive et les pertes se creusent à -243 millions de livres sterling pour un revenu de 628 millions. Le cours de l’entreprise est tombé à peu de chose: 0,63 dollar, bien loin de sa valeur lors de son introduction en Bourse en 2021 (10 dollars).
Réduire les frais
Auto1 (Autohero), un peu plus ancienne (elle est née voici 10 ans) et plus grande, a aussi vécu une croissance très rapide et connaît aujourd’hui un trou d’air boursier. Son cours de Bourse actuel tourne autour des 10 euros, très loin du niveau de son introduction (38 euros). Elle perd toujours de l’argent, mais dans des proportions plus faibles que Cazoo: -94,4 millions d’euros sur un chiffre d’affaires de 3,375 milliards d’euros sur les six premiers mois de 2022. Pour rassurer ses actionnaires, le groupe Auto1 promet un Ebitda positif au dernier trimestre de 2023 et met en avant ses liquidités (640 millions d’euros) et son absence de dette.
Auto1 serre les boulons afin de réduire les “coûts marketing” par voiture (afin de la rendre plus présentable) qui passent de 2.800 euros au dernier trimestre 2021 à 1.100 euros en juin dernier. La méthode consiste à ouvrir, dans chaque grand marché, des centres de reconditionnement qui industrialisent la remise en état des autos (entretien, petites réparations, nettoyage). “C’est la raison pour laquelle nous ouvrons un centre à Ath pour le marché belge”, précise Joost Kokke, managing director d’Auto1 en Belgique où la capacité est de plus de 10.000 automobiles par an. Il ne donne cependant aucun chiffre sur l’évolution du marché belge, assurant que la tendance est similaire à celle du groupe. Celui-ci a publié ses chiffres: 87% d’augmentation des ventes en volume (autos livrées) et un doublement en valeur. “En Belgique, nous proposons un millier de véhicules”, dit-il. Même le groupe Aramis, qui contrôle Cardoen, est en perte modérée: 15,5 millions d’euros en 2021 et une prévision d’Ebitda négatif entre 11 et 12 millions d’euros pour 2022. Son cours de Bourse est également en difficulté: sous les 5 euros, bien en dessous des 23 euros de l’IPO en juin 2021.
Comment trouver des véhicules?
A un niveau intermédiaire, de gros acteurs régionaux ou nationaux ont moins de soucis de rentabilité. C’est le cas de Soco, qui dispose de huit points de vente en Wallonie et à Bruxelles, était en bénéfice en 2021 et devrait le rester en 2022, au même niveau. Le volume des transactions est stable ou en léger recul dans un marché qui baisse de 15%.
L’enjeu pour les champions de l’occasion, c’est l’achat. Le sourcing est plus que jamais le point sensible pour réaliser des ventes. Il faut déployer de plus grands efforts pour trouver des véhicules. Le groupe Dex, présent partout dans le pays, a recruté des acheteurs. “Nous comptons huit personnes pour les achats et nos recherches sont plus intensives, observe Jean-Claude Gathon. Certaines personnes vendent leur véhicule par manque d’argent ou vendent une auto de trois ans pour en acheter une autre, moins chère, de cinq ans.” Autre motif de vente, outre les divorces: le télétravail. L’entreprise a connu une croissance quasi continue ces dernières années, arrivant presque à 7.000 véhicules en 2021. Soco et Cardoen disposent aussi chacun d’un centre de reconditionnement.
La hausse des prix devrait faire gonfler les revenus de tous les grands acteurs de l’occasion, même si le volume ne progresse pas. Ainsi, le groupe Aramis, auquel appartient Cardoen, a annoncé un recul de 11,2% de ses ventes de voitures aux particuliers en quantité au troisième trimestre, mais une progression des revenus de 13%. Cardoen ne fournit pas de données sur le marché belge “parce que l’entreprise est cotée”, dixit Ivo Willems. Le groupe Aramis a publié toutefois une hausse des revenus de 16,4% pour l’activité belge (donc Cardoen), de 53,5 à 62,3 millions d’euros au troisième trimestre.
Le baromètre: les visites du site web
Pour le futur, avec les turbulences diverses qui touchent l’économie, personne ne tente un pronostic. “On s’attend à des difficultés, annonce Jean-Claude Gathon, qui s’interroge sur la solidité de la demande. Même pour une voiture d’occasion, il faut faire une demande de crédit… et l’obtenir”. Les acteurs misant sur une forte croissance se montrent raisonnablement optimistes. “Je n’ai pas de boule de cristal mais je ne pense pas que le marché changera beaucoup, augure le patron de Soco. Nous nous adapterons en suivant jour après jour l’évolution de l’offre et de la demande. ”
En attendant, chacun regarde avec intérêt le niveau des visites du site où sont proposées les voitures. “C’est un indice très fiable de l’évolution prochaine des ventes, affirme Jean-Claude Gathon. S’il y en a plus de visiteurs, on vendra plus. S’il y a moins, on vendra moins… Nous recensons 6.000 visiteurs par jour actuellement ; c’est très bien.”
L’effondrement du marché “zéro kilomètre”
Les voitures “zéro kilomètre” ont longtemps fait les beaux jours de sociétés comme Cardoen. Celle-ci s’en était même fait une spécialité. Il s’agit des stocks de véhicules neufs, vendus en seconde main avec 0 km au compteur. Ils n’ont jamais roulé: ce sont des modèles produits mais non vendus, des surplus que les importateurs liquident (ou plutôt liquidaient), souvent dans les marchés voisins avec de fortes remises, via des intermédiaires. Avant le covid, le marché automobile était un marché en sensible surproduction. Mais il est passé à un marché de la demande dans lequel les producteurs ne parviennent pas à suivre les commandes, faute de composants. Le marché du 0 km s’est dès lors fortement réduit. Cela aurait pu être une catastrophe pour Cardoen mais l’entreprise, qui faisait naguère plus de 80% de 0 km dans ses ventes, a changé de modèle depuis son acquisition par le groupe Aramis. Elle a fortement augmenté la part des voitures d’occasion.
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