Les sneakers Veja fêtent leurs 20 ans avec leur cofondateur Sébastien Kopp

La Condor 3, dernier modèle de running de Veja, rivalise avec Nike ou Adidas.

La marque française de sneakers Veja, pionnière en termes de durabilité, fête ses 20 ans et lance de nouveaux projets d’économie circulaire. Entretien avec son cofondateur Sébastien Kopp qui revient pour “Trends-Tendances” sur le succès du concept.

La marque française de sneakers respectueuses de l’environnement Veja a été fondée en 2005 par Sébastien Kopp et François-Ghislain Morillion, deux amis d’enfance, avec pour engagement de sourcer les matières premières de manière éthique et transparente.

(SÉBASTIEN KOPP et François Ghislain Morillion en Amazonie.

La marque est devenue un succès planétaire, adulée par de nombreuses célébrités et cela sans investir un seul euro dans aucune campagne de marketing. Pas moins de 4 millions de paires de chaussures Veja ont été écoulées en 2023, dans 110 pays. Le label se démarque de ses concurrents par ses initiatives originales d’économie circulaire, dont des ateliers de réparation de baskets. Veja a, par ailleurs, rapatrié récemment une partie de sa production en Europe.

TRENDS-TENDANCES. Comment vivez-vous le succès de Veja depuis 20 ans ?

SÉBASTIEN KOPP. En 2005, quand on a lancé notre projet avec seulement 5.000 euros de fonds personnels, on n’aurait pas imaginé qu’aujourd’hui, on serait une SARL qui a grandi en s’autofinançant. On est maintenant près de 600 dans l’aventure avec des magasins partout dans le monde. On grandit petit à petit mais avec force. Notre but, ce n’est pas le profit, c’est le projet durable. Nous n’avons jamais fait de levée de fonds et nous avons déjà refusé plusieurs propositions d’achat. Nous avons une croissance bien maîtrisée. Nous sommes particulièrement fiers de notre équipe et de nos projets innovants. Le projet va même plus loin. En France, notre centre logistique européen est dirigé par une entreprise d’insertion qui travaille avec des personnes légèrement handicapées qui auraient du mal à trouver du travail autrement.

Le cœur de votre philosophie est la traçabilité des matériaux, expliquez-nous.

Cela fait 20 ans que nous produisons nos baskets au Brésil, en créant des filières de production très différentes de celles des autres marques. Nous achetons directement du coton bio et du caoutchouc aux producteurs d’Amazonie, ce qui nous assure une traçabilité complète, de la matière première au produit fini. C’est important pour nous car cela représente la vraie écologie. Notre plus grande force est d’être sur le terrain, au plus près des producteurs. On était très frustrés au début que le grand public ne se rende pas compte des efforts de notre politique durable. On s’est dit par la suite qu’on s’en moquait et qu’on faisait ça avant tout, pour nous.

“Notre plus grande force est d’être sur le terrain, au plus près des producteurs.”

Pourquoi avoir choisi le Brésil pour la production de vos baskets?

Nous avons choisi le Brésil car c’est un pays qui respecte les droits et les salaires des travailleurs, avec des horaires de travail tout à fait corrects. Ils prestent 40 heures de travail par semaine, contre 60 à 80 heures en Asie. Nous achetons directement du coton bio et du caoutchouc aux producteurs d’Amazonie.

Vous avez relocalisé dernièrement une partie de votre production en Europe et plus précisément au Portugal, expliquez-nous cette nouvelle stratégie.

Depuis le début, on travaille avec des usines au Brésil et on se disait que ce serait bien qu’une une partie de notre production soit relocalisée en Europe. Dans ce but, nous avons lancé ce que nous avons baptisé le “projet Agean”, du nom de la mer Egée qui est le berceau de la civilisation européenne. Après avoir visité plusieurs usines il y a une dizaine d’années sans succès, nous avons fini par trouver en 2020 de très bonnes usines au Portugal. Ce pays est en effet réputé pour être le hub européen de la production de chaussures, avec de nombreuses infrastructures spécialisées dans ce secteur. On a une centaine d’équipes au Brésil, où les travailleurs parlent tous portugais. C’était donc assez naturel pour nous d’aller là-bas. Notre souhait, c’est de créer des filières européennes, à travers cette deuxième ligne de production de baskets en Europe.

Cette production européenne implique-t-elle une différence de prix pour les consommateurs ?

Non, notre objectif est de vendre nos baskets produites en Europe au même prix que celles produites au Brésil. Nous souhaitons maintenir des prix accessibles tout en garantissant une production durable et éthique. Les coûts salariaux au Portugal ne sont pas beaucoup plus élevés qu’au Brésil. Le transport coûte beaucoup moins cher puisque les chaussures produites ne sont vendues qu’en Europe. On évite de cette manière le coût du transport transatlantique. Il n’y a pas non plus de droits de douane qui sont de 20 % depuis le Brésil.

Vous êtes également fortement investis dans des projets d’économie circulaire. Quelles initiatives avez-vous prises dernièrement dans ce but ?

Nous avons lancé un atelier de réparation et de recyclage de baskets en 2020, en ouvrant une cordonnerie à Bordeaux. Ce projet découle de notre initiative “Clean, Repair, Collect” visant à prolonger la durée de vie des chaussures. Le succès a été impressionnant. On a ensuite ouvert d’autres ateliers de réparation au sein de nos boutiques, à Berlin et à Londres notamment. E Paris, on a inauguré en début d’année le General Store, sur 100 m², dans le 10e arrondissement. Il s’agit uniquement d’une cordonnerie. Nous y faisons réparer non seulement nos propres baskets, mais aussi celles d’autres marques. Les coûts de réparation d’une basket varient de 5 à 50 euros, selon l’ampleur des réparations nécessaires. 50 euros, cela peut paraître beaucoup, mais dans ce cas, la chaussure est vraiment remise à neuf de fond en comble. Nos cordonniers font vraiment des miracles. Cette initiative permet de prolonger la durée de vie des baskets, réduisant ainsi le besoin de nouvelles productions. Nous retouchons également depuis peu des vêtements de toutes marques.

Vous déclariez dans une interview que votre magasin de réparation “ne marchera peut-être, sans doute pas, mais qui le saura si personne n’essaye?” Vous y croyiez quand même lorsque vous avez lancé votre initiative ?

C’était pareil quand on a lancé Veja en 2005, on était les pionniers dans la fabrication d’une basket qui respecte l’environnement et les droits des travailleurs. Tout le monde s’en foutait par rapport à Nike, Adidas, Puma,… Mais, nous, en tant que consommateur, on aurait aimé avoir ce choix. Donc, on a toujours fait ce qu’on aurait aimé trouver en tant que consommateurs de baskets. Ce projet de réparation et de recyclage va dans le même sens, il résulte de la même envie, parce qu’on aurait adoré qu’une marque le fasse. Cela vient plus du cœur et d’une envie de faire des choses différentes. Quand on a lancé cette cordonnerie à Bordeaux, on ne savait pas du tout si elle allait fonctionner. On a été très surpris par son succès et par l’envie des clients de réparer leurs baskets. Il y a des gens qui adulent leur paire, qui est parfois devenue introuvable, et qui ne désirent pas s’en séparer parce qu’elle est abîmée.

“On a toujours fait ce qu’on aurait aimé trouver en tant que consom­mateurs de baskets.”

Veja lutte-t-elle contre la déforestation ?

Le cuir des baskets Veja est tanné selon un procédé écologique aux extraits d’Acacia. Le coton est 100% biologique et provient de Tauà, une ville du Brésil. Les producteurs de coton locaux travaillent de manière agroécologique, sans utilisation de produits chimiques ni de pesticides, et reçoivent un salaire équitable de la part de Veja. Cela vaut également pour les coupeurs de caoutchouc de la région amazonienne qui fournissent 40 % du caoutchouc sauvage nécessaire à la fabrication d’une semelle Veja. En utilisant ce caoutchouc, la valeur économique de la forêt tropicale humide augmente et Veja contribue à la lutte contre la déforestation. L’emballage est aussi fabriqué à partir de carton recyclé.

Veja a été une des premières marques il y a 20 ans à proposer des baskets durables. Comment percevez-vous la concurrence actuelle de plus en plus forte dans ce créneau ?

Nous sommes heureux de voir d’autres marques suivre une démarche durable. Cependant, il y a parfois du greenwashing venant des autres labels. Certains se qualifient de “durables” mais produisent en Chine avec des matériaux inconnus. Notre valeur ajoutée est de nous concentrer sur notre propre projet, en assurant une traçabilité complète et une production éthique, c’est ce qui nous distingue véritablement de nos vrais concurrents qui restent les grandes marques comme Nike et Adidas.

Vous avez lancé au printemps votre dernier modèle de basket de running. Comment faire le poids face aux modèles très techniques des grands équipementiers sportifs?

Le design est tout aussi important que le projet. Il y a cinq ans, nos baskets étaient belles mais n’étaient pas très confortables. Nous avons beaucoup travaillé pour améliorer leur confort. La Condor 3, notre dernier modèle de running, est le fruit de plus de cinq ans de recherche et développement pour pouvoir plaire également aux coureurs plus confirmés. La Condor 3 a l’ambition de rivaliser avec les baskets techniques des autres marques de sport, pour un public plus exigeant. Les semelles de baskets de running sont composées généralement de plastique, ce qui n’est vraiment pas terrible pour l’environnement. Nous avons remplacé le plastique par de l’huile de banane, de l’écorce de riz, et des matériaux végétaux. C’est notre dernière grosse innovation technologique. Elle nous a permis d’être bien meilleurs sur d’autres aspects de nos modèles de baskets.

On pourrait croire que la France est votre premier marché, ce qui n’est pas le cas…

Non, la France n’arrive en réalité qu’en huitième position. Ce sont les Etats-Unis qui sont, de très loin, notre premier marché. Ils représentent 30 à 40 % de notre chiffre d’affaires, c’est qui est déjà énorme. On vient d’ailleurs d’ouvrir une boutique à Brooklyn, après celle de Manhattan qui marche très bien. Le Brésil est notre second marché, suivi par l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie.

Est-ce que la Belgique est un marché important pour vous ?

La Belgique a été l’un de nos premiers marchés. Comme on a débuté de rien, on a commencé principalement en France et dans les pays limitrophes. On a des partenaires historiques en Belgique, on travaille avec tous les meilleurs concept stores et les meilleures boutiques de baskets, comme Privejoke à Bruxelles qui est notre partenaire depuis 19 ans. La Belgique est donc un marché mature qu’on connaît bien et qu’on adore.

Vous avez une politique assez inédite de ne pas faire de publicité traditionnelle. Pourquoi cette décision ?

En 20 ans, nous n’avons jamais acheté d’encart publicitaire ni payé d’influenceurs. Nous ne voulons pas rentrer dans cette économie du sponsoring de stars ou d’athlètes olympiques à coup de milliards comme le font d’autres grands labels de sport. Cet argent que nous ne dépensons pas dans des campagnes de marketing coûteuses peut être alloué à nos filières de production. Une paire de Veja est quatre à cinq fois plus chère à produire que si elle était produite en Chine ou en Indonésie. Cela est dû, entre autres, à notre utilisation de matières premières équitables et biologiques. Malgré cela, et grâce au fait que nous ne faisons pas de pub, le prix de nos baskets reste abordable.

Veja en quelques chiffres
• 4 millions de paires vendues en 2023, dont 100.000 paires produites au Portugal
• 8 boutiques (Paris, Madrid, Berlin, NYC, Bordeaux)
• 3.000 points de vente
• 525 employés

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