Les recettes de Delhaize pour rugir à nouveau
A la tête de l’entreprise depuis neuf mois, le nouveau CEO de l’enseigne au lion, Xavier Piesvaux, vient de détailler la stratégie qui doit rebooster Delhaize. Un retour aux sources salutaire pour les uns, une feuille de route dictée par la maison mère Ahold pour les autres. Décryptage.
Ne cherchez pas de mesures chocs dans la feuille de route dévoilée par le nouveau CEO de l’enseigne, le Français Xavier Piesvaux. Celui qui succédait il y a neuf mois à Denis Knoops ne s’en cache d’ailleurs pas : ” Nous ne lancerons pas de révolution globale. Nous procéderons à de petites révolutions à l’intérieur de chacun des piliers de différenciation “. De petites révolutions censées remettre sur les rails la filiale belge du nouveau groupe fusionné Ahold Delhaize.
C’est que la chaîne au lion fait depuis plusieurs mois figure de mauvais élève dans les comptes du nouveau géant de la grande distribution. Même si les résultats du premier trimestre sont encourageants avec, pour la première fois, une croissance du chiffre d’affaires à périmètre comparable (+ 4,1 %, à 1,245 milliard d’euros), le résultat opérationnel sous-jacent, tout comme la marge, affichent un léger recul. ” Si notre marge est un peu inférieure au premier trimestre, ce n’est pas lié aux promotions, répond Xavier Piesvaux. C’est un problème de calendrier, Pâques étant tombé plus tôt cette année. En outre, nous investissons dans nos magasins, dans notre nouvelle stratégie. Cela coûte de l’argent, mais ce sont des investissements à très court terme avec un retour très rapide. Ce qui a tiré la performance des ventes de tout notre réseau (magasins intégrés et franchisés), c’est principalement notre nouveau plan commercial. ”
La chaîne a pour ambition d’ouvrir 80 magasins dans les deux ans, essentiellement des franchisés.
Un plan que certains experts analysent comme un ” retour aux sources “. ” L’enseigne mise sur une croissance interne douce basée sur le renforcement de ses compétences clés, observe Pietro Zidda, professeur de retail management à l’Université de Namur. Aujourd’hui, on est dans le sensationnalisme. On attend des distributeurs qu’ils annoncent des actions complètements disruptives. Mais le marché est saturé, et les gens ne dépensent que 15 % de leurs revenus à l’alimentation. En Belgique, quelques distributeurs sont très réactifs. Je pense notamment à Colruyt, Lidl et Aldi. A un moment donné, j’ai eu peur que Delhaize se lance dans une guerre des prix. L’enseigne a plutôt décidé de se renforcer sur ses points forts tout en garantissant des prix raisonnables. Cela me semble être une bonne stratégie. ”
Voici les recettes dévoilées par la chaîne au lion.
1. Repositionner l’enseigne sur trois axes : santé, qualité, ” convenience ”
Delhaize a décidé de miser sur ses atouts historiques. Le distributeur veut tout d’abord se positionner sur l’axe de la santé. ” Nous voulons mettre Delhaize au service de la santé en proposant une alimentation qui soit beaucoup plus équilibrée “, assure Xavier Piesvaux. La chaîne entend reformuler 4.000 produits tous les trois ans pour en améliorer la recette en réduisant les taux de graisse, de sucre, de sel, etc. Elle va par ailleurs introduire un ” Nutriscore ” sur ses produits propres, à savoir une classification des aliments en fonction de leur intérêt nutritionnel. ” On peut débattre de l’outil, mais il est reconnu comme ayant une valeur scientifique, assure le CEO. Il va nous obliger à travailler pour améliorer l’équilibre des produits. ” L’enseigne au lion entend enfin renforcer ses rayons frais. ” Nous sommes leader dans le frais, assure notre interlocuteur. Nous voulons aller encore plus loin en termes de performances et d’assortiment dans les rayons fruits & légumes, poisson, etc. ”
Deuxième axe que Delhaize souhaite renforcer : la qualité. ” Delhaize a toute sa crédibilité sur ce point, souligne Xavier Piesvaux. Et nous voulons nous appuyer sur nos forces historiques. Notre entreprise a sans doute été celle qui a dicté les standards de qualité du marché, nos concurrents nous ayant ensuite copiés ou rattrapés. Ce qui est certain, c’est que nous voulons aller encore plus loin. En ce qui concerne le porc ‘Mieux pour tous’, par exemple, non seulement nous garantissons l’alimentation saine du porc, mais nous travaillons avec une race sans castration, en partenariat avec des fournisseurs locaux auxquels nous garantissons de meilleurs revenus. ”
Enfin, le groupe veut accentuer l’aspect convenience. ” C’est un domaine très vaste, admet le nouveau patron. Nous voulons proposer des produits beaucoup plus pratiques pour les clients. Nous testons aussi des formules de salad bar. Ce sont des choses qui intéressent les clients qui peuvent ainsi se servir très rapidement et prendre la quantité souhaitée. ” La chaîne a par ailleurs pour ambition d’ouvrir 80 magasins dans les deux ans (40 cette année et 40 l’année prochaine), essentiellement des franchisés (AD, Proxy et Shop&Go). ” Lorsque vous regardez la carte de Belgique, il y a encore beaucoup d’emplacements où notre part de marché locale est inférieure à notre part de marché nationale “, affirme Xavier Piesvaux. Qui explique par ailleurs que Delhaize va bientôt lancer un nouveau concept ” un peu plus disruptif “. ” Il s’agira d’un concept purement urbain avec une dimension digitale beaucoup plus importante, explique le CEO. Nous avons pour ambition d’ouvrir ce concept dans les six mois qui viennent. ”
2. Uniformiser le concept
L’enseigne au lion a multiplié les concepts de magasins ces derniers temps. Si bien qu’aujourd’hui, on peut constater d’importantes différences d’un point de vente à l’autre. On se souvient des magasins de Braine-l’Alleud et Wezembeek-Oppem qui, il y a quelques années, devaient servir de références. Puis est venu l’année dernière le magasin de Waterloo, qui réintroduisait le stand découpe. Et aujourd’hui, Delhaize annonce vouloir tester un nouveau concept plus abouti à la fois dans un magasin intégré et chez un franchisé. ” Faire des concepts de magasin chaque année, ce n’est pas tenable, admet Xavier Piesvaux. C’est pourquoi nous avons défini clairement les directions vers lesquelles nous souhaitons aller pour bâtir le succès de Delhaize. ” L’hétérogénéité du parc est décrite par notre interlocuteur comme étant ” le poids du passé “. ” Nous allons faire en sorte d’être beaucoup plus agressifs afin que les marqueurs les plus importants de Delhaize soient présents dans l’ensemble de nos magasins intégrés et affiliés très rapidement. ”
Une source qui connaît parfaitement l’entreprise voit dans ce souci d’uniformisation la patte d’Ahold. ” Il est clair que cela permettra de réduire les coûts, dit-elle. Mais ce n’est pas forcément une bonne chose. Chaque quartier est différent, chaque magasin doit l’être également. Par ailleurs, si Delhaize est le numéro 1 en franchise, c’est parce que ses indépendants se sentent réellement patrons de leur entreprise. Si le cahier des charges venait à être beaucoup plus strict, ce serait différent. En fait, il y a une opposition claire entre l’ADN historique de Delhaize et la culture très centralisée, voire dictatoriale, d’Ahold. ”
3. Améliorer l’image-prix à l’aide de promotions ciblées
Coincé entre low cost et premium, Delhaize occupe une position pour le moins inconfortable. La chaîne est attaquée par le bas par le smart discount (Lidl, Aldi), et par le haut par des concepts plus haut de gamme, des magasins bios, etc. C’est donc à un jeu d’équilibriste que doit se livrer le distributeur. ” Delhaize a toujours été considérée comme une enseigne chère, affirme Gino Van Ossel, professeur de retail marketing à la Vlerick Business School. Par le passé, lorsqu’elle a obtenu des résultats positifs au niveau des prix, son image de qualité s’est détériorée. Elle doit donc trouver le juste équilibre. ”
” Ce que je souhaite par rapport à notre nouveau concept, ce n’est pas qu’il donne une image haut de gamme, mais plutôt une image de qualité, assure Xavier Piesvaux. Nous avons fait des progrès énormes sur le repositionnement de Delhaize en matière de prix. Aujourd’hui, notre panier moyen, si on le compare à la concurrence, est tout à fait compétitif. Il faut mettre tout bout à bout : les prix en magasin, les promotions ciblées, les prix personnalisés grâce à la carte de fidélité, etc. Nous suivons bien évidemment le marché, et nous nous ajustons. ”
D’après notre source, la politique de promotions agressives menée par Delhaize ces derniers temps afin de corriger son image-prix (une pratique importée d’Albert Heijn, la chaîne d’Ahold) pourrait toutefois se révéler contre-productive. ” Historiquement, Delhaize est un peu haut de gamme, explique-t-elle. Il faut à tout prix conserver cette clientèle à fort pouvoir d’achat. Le danger pour l’enseigne aujourd’hui, c’est de devenir Carrefour, qui est aussi attaqué par le bas et qui en plus n’a pas cette clientèle haut de gamme. Delhaize ne doit absolument pas perdre sa carte ‘foodie’. Or, depuis le rachat par Ahold, plusieurs petits fournisseurs belges ont été éjectés. Ce sont de petites choses, mais qui font la différence auprès de la clientèle historique. ”
4. Faire de l’e-commerce un canal de recrutement de nouveaux clients
Delhaize propose aujourd’hui un click & collect dans la quasi-totalité de ses magasins intégrés, et le groupe est en train de discuter avec ses franchisées pour que ces derniers puissent eux aussi le proposer. ” Il faut trouver un business model dans lequel tout le monde se retrouve “, explique Xavier Piesvaux. La livraison à domicile (que Delhaize assure lui-même, avec ses camionnettes) grandit très rapidement, d’après le CEO. ” Nous sommes aujourd’hui capables d’atteindre 80 % des foyers belges, explique-t-il. Le fait que nous fassions le dernier kilomètre coûte plus cher, mais nous sommes en train de regarder quel est le meilleur modèle à appliquer. ”
D’après notre source, la livraison à domicile, chez Delhaize, serait une ” catastrophe en termes de rentabilité “. ” Delhaize qui vient chez vous avec ses camionnettes partant d’un seul entrepôt, c’est un système du passé, dit-elle. Dans quelques années, on se souviendra de cela en rigolant. ” ” Sur les opérations pures d’e-commerce, c’est difficile, reconnaît le nouveau patron. Même les grands acteurs mondiaux ne gagnent pas forcément bien leur vie sur l’e-commerce alimentaire. En revanche, ce que nous constatons, c’est qu’un client qui utilise notre e-commerce est un client très loyal qui va aussi en magasin et qui, au global, va acheter beaucoup plus qu’un client qui n’utilise pas l’e-commerce. Il s’agit donc pour nous d’un moyen de recruter des clients de manière globale et de contre-balancer les coûts. ”
Le modèle de l’abonnement est-il envisageable ? Un client paierait une certaine somme d’argent par an pour se faire livrer ses courses gratuitement. ” Sur le principe, un client qui nous dit qu’il commande fréquemment en e-commerce et qu’il préfère payer un abonnement pour avoir la liberté de commander quand il veut, cela me semble faire sens, explique Xavier Piesvaux. Nous devons toutefois parvenir à rentabiliser ce modèle, car quand il est mis en place par nos concurrents, l’abonnement couvre plus que la livraison des produits frais. Il offre d’autres services. Nous avons la chance d’avoir Bol.com dans notre groupe. Avoir la possibilité d’établir l’avenir de notre e-commerce avec Bol.com est une piste qui nous semble intéressante. Nous n’avons pris aucune décision à ce stade, car nous devons encore établir un modèle de rémunération, mais nous regardons tout cela avec attention. Le fait que nos magasins puissent être des pick-up points pour Bol.com pourrait aussi être une piste intéressante. Des discussions concrètes existent en ce sens. ”
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici