Les principes de Marc Buelens: où tracer la frontière entre travail et famille ?
La vie privée et la vie professionnelle fonctionnent selon le principe des vases communicants. Chaque heure passée avec vos enfants signifie une heure en moins à répondre à vos e-mails. Où tracer la frontière ?
Répondre à vos e-mails avec un bébé sur les genoux n’est pas la meilleure façon de passer du temps en famille et augmente le pourcentage d’erreurs dans vos messages. Chaque heure de plus dans un avion est une heure de moins à la maison. Mais la logique temporelle n’apporte aucune réponse sur le plan psychologique. Il vaut peut-être mieux passer moins de temps chez soi mais privilégier les moments de qualité quand on y est. Une étude récente ne laisse planer aucun doute à ce sujet : la variable économico-rationnelle constitue la principale source de problèmes. Compter le nombre d’heures dédiées à l’un ou l’autre système (travail ou famille) permet de mesurer à quel point le risque de problèmes est grand. Les conséquences négatives d’une mauvaise gestion des conflits travail-famille sont considérables. Dans les cas les plus sérieux, on rapporte une plus grande insatisfaction, des plaintes d’ordre psychique, des troubles cardiovasculaires et des problèmes d’insomnie.
Les partenaires sont souvent d’excellents coachs entre eux. Ne pas parler travail revient donc à gâcher cette chance
Toutes les solutions en vue d’un équilibre vie privée-vie professionnelle doivent se baser sur la donnée fondamentale que le travail est le système fort en raison de ses évaluations sans équivoque, sa pression sur les résultats et sa hiérarchie ou ses clients très exigeants. La famille représente donc le système faible avec sa bienveillance, ses attentes plutôt floues ou dictées par les émotions. Mais celui qui préserve suffisamment sa famille – et selon l’étude, les femmes sont meilleures que les hommes en la matière – se protège contre ce qu’on appelle le débordement négatif.
Trois stratégies
Sans qu’il s’agisse d’un choix conscient, les couples suivent souvent l’une de ces trois stratégies : la segmentation, la superstratégie ou l’intégration. La segmentation, la stratégie la plus simple, établit une séparation nette entre les deux mondes. Elle est recommandée lorsque le nombre d’heures de travail menace vraiment de déborder. Mais une segmentation stricte, surtout populaire auprès des individus très rationnels, risque de ne pas faire long feu. Éviter d’aborder le sujet du travail suscite des frustrations. Deuxième désavantage : un partenaire est généralement de bon conseil, surtout en cas de relation harmonieuse. Il connaît souvent les points forts et les points faibles de l’autre, ce qui fait de lui un excellent coach. Ne pas parler travail revient donc à gâcher cette chance.
La superstratégie implique de combiner deux emplois : un à la maison et un autre au travail. En rentrant, vous faites les courses et passez au pressing. Vous êtes pile à l’heure à la garderie, vous avez préparé la box Hello Fresh la veille et, une fois les enfants au lit après la soirée en famille, vous rallumez votre ordinateur. Ce système fonctionne chez les planificateurs naturels, qui sont dotés d’un cerveau de gestionnaire, mais il est épuisant. Au travail, vous souffrez d’un manque de flexibilité et manquez les moments de convivialité comme aller boire un verre après le boulot ou bavarder de manière informelle.
Seule une infime minorité réussit à survivre à la stratégie d’intégration. Presque à tout moment, vous pouvez basculer d’un système à l’autre. Une concentration extrême et un environnement de travail tolérant vous permettent de traiter des affaires privées au travail et d’être très productif pour votre employeur à la maison. C’est toujours la situation qui fait loi. Cela suppose de jouir d’une très grande autonomie, d’avoir beaucoup de maturité et d’être doté d’une personnalité presque consciente. Ne perdez pas de vue que ces deux systèmes présentent des caractéristiques différentes et que les alterner exige de l’énergie.
Dans la plupart des cas, cette stratégie d’intégration rime avec illusion. Tout le monde aime raconter qu’il a fait venir le plombier chez lui alors qu’il était au travail ou qu’il a raconté une histoire à son enfant malade par Skype, mais le partenaire aura vite faite de décrire toutes les fois où ça n’a pas marché. Le système du travail est généralement un frein. Les chirurgiens ne peuvent pas quitter une salle d’opération pour une urgence et la majorité des jobs ont une organisation plus proche de la chirurgie que de la poésie.
Trois avantages
Le travail enrichit la vie privée. Des études récentes ont classé ses bienfaits en trois grands groupes. Travailler permet d’acquérir de nouvelles compétences. Les connaissances en informatique par exemple s’acquièrent au boulot plutôt qu’à la maison. Le travail stimule aussi le développement de la résistance et de la flexibilité. Vous apprenez à gérer le stress et les imprévus et à vous adapter à des situations nouvelles. En outre, vous recevez des ressources matérielles comme un salaire, un smartphone et une voiture de société. Indépendamment de tout cela – mais on en parle rarement dans les conflits vie professionnelle-vie privée -, le travail peut aussi être une source de fierté, offrir une structure, participer à votre identité et donner un sens à votre vie.
Veillez à bénéficier d’un soutien social suffisant pour ne pas avoir le sentiment de faire face tout seul
On considère communément que les femmes portent le fardeau. Mais une méta-analyse récente réalisée à partir de plus de 350 études fiables relativise ce constat. Tant les hommes que les femmes souffrent d’une mauvaise approche de l’équilibre entre travail et famille. On pense généralement que les hommes éprouvent plus de difficultés à passer de la vie professionnelle à la vie privée mais si l’on tient compte du fait que les femmes exercent souvent d’autres fonctions et travaillent davantage à temps partiel, ces disparités semblent beaucoup plus réduites. Les dizaines d’années d’actions en faveur de l’égalité homme-femme auraient-elles porté quelques fruits ? Hélas non car les chercheurs ont constaté, après avoir vérifié une série de variables perturbantes, que les études plus anciennes indiquaient déjà une différence infime entre hommes et femmes.
Un facteur ressort de façon flagrante : veillez à bénéficier d’un soutien social suffisant pour ne pas avoir le sentiment de faire face tout seul. Un vaste soutien organisationnel au travail constitue le meilleur amortisseur, plus encore que le comportement individuel de votre chef et de vos collègues. Probablement parce que vous pouvez dans tous les cas compter sur la sphère privée dans une bonne relation.
Traduction : virginie·dupont·sprl
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