Daan Killemaes
Les financiers étrangers empochent les bénéfices de nos champions
Alors que l’investisseur particulier recule devant le risque, les financiers étrangers comblent cette lacune et empochent les bénéfices de nos champions. Nous nous faisons voler ce qui nous revient. C’est ce que dit le rédacteur en chef du Trends néerlandophone Daan Killemaes.
Si une seule société était faite pour une cotation en bourse, c’était peut-être le fabricant de tapis Balta, car la bourse est le marchand de tapis sain et nécessaire du capitalisme. Par la marchandisation quotidienne des actions, le capital est irrigué des sociétés faibles vers les sociétés fortes. Cela permet la croissance économique. C’est la raison pour laquelle Balta est un renfort bienvenu pour la bourse de Bruxelles afin d’insuffler une nouvelle vie à la culture boursière. Espérons que Balta inspirera d’autres champions flamands ou belges à financer leur croissance avec davantage de capital à risque, et pourquoi pas aussi du capital de chez nous. Votre épargne ne dort pas, mais la recherche d’un soupçon de risque supplémentaire en bourse ne peut pas faire de mal, ni pour votre pouvoir d’achat, ni pour le potentiel de croissance de l’économie.
Risque limité
La bourse est également là pour vous, mais vous devez bien sûr toujours prendre garde de ne pas acheter un chat dans un sac. Dans le cas de Balta, ce risque semble limité. Le marchandage entre les investisseurs institutionnels et les banques d’affaires qui les accompagnent n’a certes pas encore abouti à un prix d’introduction pour Balta, mais les observateurs parlent d’une valeur d’entreprise entre 800 millions et 1 milliard d’euros, ce qui signifie que les investisseurs paieront 8 à 10 fois le cashflow d’entreprise de 2016. C’est relativement équitable. Ces dernières années, Balta est parvenu à faire croître le chiffre d’affaires de 3% avec une marge bénéficiaire en croissance. C’est beau. Mais ce ne sera pas facile de répéter ce prodige. Le secteur est à maturité et la concurrence intense. Le potentiel de croissance bénéficiaire est en conséquence limité. Balta semble plutôt une action à dividendes qu’une action de croissance, ce qui ne permet pas une valorisation plus élevée. La cotation en bourse de Balta n’est pas encore un fait accompli. Si le propriétaire Lone Star n’obtient pas le prix espéré pour les actions offertes, Balta pourra encore être vendu à un concurrent.
Les financiers étrangers empochent les bénéfices de nos champions
Mais il y a vraisemblablement peu de chance. La faiblesse continue des taux d’intérêt stimule la ‘chasse au rendement’. Toujours plus d’argent est par conséquent en quête de rendement supplémentaire en bourse ou via du capital à risque. Le cycle est déjà relativement très avancé. Des sociétés se vendent aisément à 10 fois le cashflow d’entreprise, ce qui est relativement cher. Les banques alimentent cette hausse en carburant en ayant à nouveau la main lourde avec les crédits. Les deals avec un endettement inconfortablement grand passent à nouveau les comités de crédit. La Banque Centrale Européenne a déjà mis en garde contre les foyers qu’elle a elle-même allumés avec sa politique monétaire expansionniste.
Les bourses anticipent
Mais tant que le robinet à crédit restera ouvert, rien ne changera. En Europe certainement, on n’en est pas encore à la phase d’excès. L’économie repart enfin, les bénéfices des entreprises européennes se réveillent à présent tout juste d’un long hiver européen. Les bourses et les marchés de capitaux anticipent la restauration des profits. Selon les calculs du gestionnaire de fortune néerlandais Robeco, le cycle du ratio cours/bénéfice corrigé (le cours divisé par le bénéfice moyen sur les 10 dernières années) s’élève en Europe à 16,5. Ce qui est encore un quart en-dessous de la moyenne sur quarante ans de 20,5 et à peine la moitié du niveau des Etats-Unis. Ce baromètre n’est pas sacro-saint, mais il donne néanmoins une indication du fait que les bourses anticipent un comeback des bénéfices des sociétés européennes.
Même l’investisseur particulier ose à nouveau tremper le bout des orteils dans les eaux boursières, ce qui est en général un signal de maturité du cycle. Mais la crainte du risque est profondément ancrée, et même via des détours, l’épargne ne trouve que difficilement la route vers la bourse. L’autorité de surveillance des assureurs ne leur permet par exemple quasiment plus l’achat d’actions, alors qu’ils gèrent d’importantes sommes d’argent, qui pourraient donner du capital supplémentaire à un grand nombre de nos sociétés de croissance. Les financiers étrangers comblent le vide et ils empochent les bénéfices de nos champions. Nous restons trop souvent à la traîne, avec des taux d’intérêt faibles qui ne recouvrent pas l’inflation. Nous nous faisons voler ce qui aurait dû nous revenir.
Manque de stabilité fiscale
S’il cessait le commerce de marchand de tapis que la fiscalité liée au capital à risque est devenue, le gouvernement pourrait attirer davantage de sociétés comme Balta en bourse et mobiliser davantage d’épargne. La hausse du précompte mobilier à 30% et l’éventualité d’un impôt sur la plus-value déroulent tout sauf le tapis rouge au capital à risque. Les hommes et femmes politiques agissent avec le taux du précompte mobilier, et bientôt peut-être le taux de l’impôt sur la plus-value, comme s’il s’agissait d’un thermostat capable de réguler la température politique. Ce manque manifeste de stabilité fiscale occasionne encore davantage de dégâts que le niveau du taux. Les investisseurs ne méritent pas d’être traités comme des spéculateurs. La plupart ne le sont également pas. Et même les spéculateurs jouent un rôle clé en tant que marchands de tapis essentiels dans notre capitalisme. Quand est-ce que cela sera finalement compris, sur le tapis-plain de la rue de la Loi ?
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