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Les faillites planifiées sont-elles devenues la norme pendant la crise sanitaire?
Brantano (groupe de mode FNG), Wibra, Mega World : ces derniers mois ont été rythmés par des faillites à la chaine. La crise du coronavirus a sans nul doute contribué à cette situation, mais si on y regarde de plus près, on remarque quelques similitudes au sein de ces entreprises.
Que ce soit chez Brantano, Mega World ou Wibra, la première réaction a été de casser les prix de tous les produits à grand renfort de -70 %, voire -80 %. Au-delà des répercussions de ces actions sur la santé publique (pensez aux files interminables devant les Brantano), les entreprises ont décidé de vider littéralement tous leurs rayons, avant même de réfléchir à un plan d’avenir.
Deuxième caractéristique de cette vague de faillites : les travailleurs n’ont à aucun moment été tenus informés, peu importe leur implication dans la boite. Ils n’ont jamais été consultés, alors que des employés avec beaucoup d’ancienneté peuvent être utiles lors des prises de décisions. Ils veulent garder leur emploi, et ils connaissent leur société.
Autre coïncidence suspecte : l’incertitude autour des chiffres dans le rouge. Les trois entreprises annoncent des déficits considérables. Mais est-ce vrai ? Et la crise de la Covid-19 est-elle bien responsable ?
Pour Brantano, il est maintenant question de faillite planifiée. Victime d’une soif insatiable d’expansion, l’entreprise a accumulé des dettes pour 734 millions d’euros. Entre-temps, nous avons également appris que ses co-fondateurs sont soupçonnés de faux en écriture et d’abus de biens sociaux, entre autres.
L’histoire se répète chez Wibra. La société ne serait pas si déficitaire qu’elle le prétend. En 2018, son bénéfice d’exploitation s’élevait à 740.000 euros et son bénéfice net à 170.000 euros sur 57,7 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Et la cerise sur le gâteau : Mega World, la chaine de vente en détail qui a repris les 123 magasins Blokker de Belgique il y a quelques mois. Aujourd’hui, le bilan est des plus inquiétants : même si le CEO Dirk Bron a pu reprendre les rênes sans dettes, celles-ci s’élèvent déjà aujourd’hui à 35 millions d’euros. Nous pouvons également lire aujourd’hui que le syndicat s’inquiète du transfert de millions d’euros vers les comptes d’entreprises fantômes à l’étranger.
Un dernier point commun entre ces entreprises en faillite : la majorité de leur personnel est composée de femmes. Beaucoup d’entre elles y travaillent depuis des années et les caissières souffrent souvent de problèmes de dos et de tendinites. Toutes ces femmes perdent maintenant leur emploi du jour au lendemain, sans une explication ni un merci.
La crise du coronavirus va sans aucun doute toucher durement notre économie. Pourtant, le silence du gouvernement reste assourdissant. Tout laisser entre les mains des chefs d’entreprises en espérant qu’ils se comportent en bons pères de famille est hypocrite et inefficace.
Hypocrite, car ce même gouvernement a décidé de réglementer tous les aspects possibles de la vie privée des citoyens: qui nous pouvons voir, et même quand nous pouvons sortir de chez nous. Mais en ce qui concerne l’organisation du travail et de la façon dont les entreprises vont gérer la crise, pas un mot des autorités. Hormis la suggestion de rendre obligatoire le télétravail, rien de structurel n’a été mis en place.
L’attitude du gouvernement est également inefficace. Les travailleurs qui perdent leur emploi suite à une faillite sont en effet dédommagés par le Fonds de Fermeture d’Entreprises, c’est-à-dire la collectivité. Le coût de ces faillites est donc double pour notre société.
Il est grand temps que le gouvernement fédéral se penche sur une adaptation du cadre légal existant.
Une concertation préalable avec les travailleurs concernés doit devenir obligatoire, et les licenciements immédiats doivent à tout prix être évités. Jusqu’à présent, les autorités se sont montrées très créatives dans la réorganisation de la vie des citoyens moyens pour lutter contre le virus. C’est cette même créativité qui sera indispensable si nous voulons combattre la Covid-19 ensemble, avec solidarité.
Hind Riad et Jan Buelens, avocats chez Progress Lawyers Network
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