Les employeurs réclament 5 euros de plus par titre-service

Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Ni le prix du titre-service ni les subsides régionaux n’ont été indexés, contrairement aux dépenses de personnel. Résultat : plus d’une entreprise sur deux est financièrement très vulnérable, pointe une étude de Graydon.

Les titres-services pourraient être l’une des fiertés de la Belgique. En vingt ans, ce système original a permis à 150.000 personnes peu qualifiées, essentiellement des femmes, de retrouver un contrat d’emploi de longue durée. Elles effectuent le plus souvent des travaux de nettoyage mais aussi du repassage, des courses ou des repas pour le ménage et parfois du transport de personnes. Ces tâches sont ainsi sorties de l’économie souterraine, ce qui assainit le tissu socio-économique belge.

Ces objectifs n’auraient pas pu être atteints sans des subsides conséquents. Quand vous payez 9 ou 10 euros pour une heure de prestation, la Région en ajoute 27 ou 28. Le problème, c’est que ces chiffres ont peu évolué en vingt ans, au contraire des salaires rehaussés par l’ancienneté et les indexations. Les entreprises ont compensé en partie en exigeant de leurs clients des frais d’abonnement, une participation aux frais de déplacement, l’achat de produits, etc. Elles n’ont pas touché au prix de vente car, dans ce secteur très particulier, ce prix est fixé par les Régions, en échange d’un copieux subside.

Ces frais annexés ont permis de sauver les meubles pendant un temps mais aujourd’hui, « ce sous-financement persistant n’est plus tenable », assène Ann Cattelain, CEO de la Federgon, la fédération patronale qui chapeaute le secteur. Une étude de Graydon montre qu’une majorité des entreprises de titres-services n’a pas les réserves suffisantes pour résister à de nouveaux chocs et cela dans les trois Régions. Le secteur réclame donc une hausse de 5 euros par titre, dès le 1er janvier prochain. « Si les montants avaient simplement été indexés depuis la création des titres-services en 2004, la valeur d’échange aurait augmenté de 5,80 euros, justifie Ann Cattelain. Les gouvernements préparent maintenant leurs budgets 2024, c’est le moment de mettre la question sur la table. » Ces cinq euros se répartiraient comme suit : 1 euro pour les revalorisations salariales, 2 euros pour l’accompagnement et la formation des travailleurs, 2 euros pour la restauration de la solvabilité des entreprises.

Qui paierait ces cinq euros ?

Ces cinq euros, qui va donc les payer ? L’option des utilisateurs semble peu vraisemblable. D’une part, une augmentation aussi brutale ferait tout simplement fuir les clients et favoriserait le retour au travail au noir. D’autre part, on voit mal les gouvernements régionaux poser un choix aussi impopulaire à la veille d’une campagne électorale dans laquelle la défense du pouvoir d‘achat sera l’un des enjeux. Le prix du titre-service est toujours de 9 euros en Flandre, mais il est passé à 10 euros à Bruxelles le 1er janvier dernier et la Wallonie suivra en 2024. Ces hausses avaient été jugées trop faibles par les employeurs, d’autant que, en Wallonie, l’augmentation était assortie de l’interdiction ou de la limitation des frais annexes.

On se tourne alors vers les Régions. Mais elles ont aussi un bel argument pour esquiver la demande : elles financent déjà la plus grande partie du mécanisme. Les titres-services représentent une dépense annuelle de 550 millions pour la Wallonie et de 250 millions pour Bruxelles. Ces deux Régions, aux budgets déjà sous pression, n’ont guère de marge de manœuvre sur ce plan. Elles pourraient cependant revoir l’avantage fiscal (réduction d’impôt de 10% en Wallonie, 15% à Bruxelles et 20% en Flandre) pour se donner quelques moyens supplémentaires pour refinancer le secteur.

Enfin, il y a peut-être la piste fédérale, à travers la politique d’asile. Les données de Federgon indiquent en effet que les titres-services constituent la principale porte d’entrée des migrants sur le marché du travail (44% des primo-arrivants y commencent leur carrière « belge »). Ce secteur est donc crucial pour l’insertion socio-professionnelle de ces personnes et cela pourrait le cas échéant justifier l’affectation de moyens.

Ces dernières années, le secteur des titres-services a déjà connu une série de rachats de petites sociétés par des plus grandes. Selon Graydon, il ne faut pas miser sur de nouvelles consolidations car les liquidités des entreprises les plus saines ne sont plus suffisantes pour permettre de telles opérations. Le bureau estime par ailleurs que 40% des sociétés de titres-services n’ont pas les capacités financières nécessaires pour procéder aux investissements requis pour répondre aux normes ESG.

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