Les éditeurs en guerre contre Google: du monopole publicitaire aux ravages de l’IA

© (Photo by Nicolas Economou/NurPhoto via Getty Images)
Frederic Brebant
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances 

Le groupe Rossel attaque Google en justice pour abus de position dominante dans la publicité en ligne. Mais derrière ce bras de fer juridique, un nouveau phénomène plus insidieux inquiète les éditeurs de presse : les ‘‘résumés IA’’ de Google qui siphonnent l’audience, sans générer de clics chez les vrais créateurs de contenus. Une réelle menace pour l’avenir de la presse en ligne.

Le ton monte entre les éditeurs de presse et le géant de Mountain View. Ce week-end, le groupe Rossel, propriétaire du Soir et de Sudinfo, a confirmé avoir déposé une plainte devant le tribunal de commerce de Paris, réclamant 832 millions d’euros à Google pour abus de position dominante dans le secteur de la publicité en ligne. Selon le groupe belge, l’incontournable Google aurait verrouillé les canaux d’achat et de vente d’espaces publicitaires numériques, imposant ses outils maison aux éditeurs et captant ainsi une part injustifiée de la valeur.

Mais cette bataille-là n’est qu’une pièce d’un puzzle plus large où s’invite désormais un nouvel acteur, l’intelligence artificielle, et avec elle, une inquiétude grandissante autour de l’usage – ou plutôt de l’appropriation – des contenus des éditeurs de presse.

Un collectif d’éditeurs indépendants (Independent Publishers Alliance, Movement for an Open Web, Foxglove Legal) a saisi la Commission européenne le 30 juin dernier, pour exiger des mesures fortes contre les ‘‘AI overviews’’ de Google, ces ‘‘aperçus IA’’ qui s’affichent directement au-dessus des résultats de recherche sur Google pour aider les utilisateurs à comprendre rapidement un sujet ou une question complexe. Avec ces résumés d’articles générés sans autorisation ni rémunération des éditeurs, le géant américain siphonne à la fois leur audience et leurs revenus publicitaires.

La vampirisation de Google

Si Google plaide pour un système vertueux en expliquant que les ‘‘AI overviews’’ génèrent ‘‘des milliards de clics supplémentaires chaque jour’’ (sic), du côté des éditeurs, on observe au contraire des baisses de fréquentation, des chutes de revenus et un flou persistant sur la manière dont les contenus sont collectés, résumés, diffusés… et monétisés.

Aux États-Unis, depuis le lancement des ‘‘AI overviews’’ de Google en mai 2024, la part du trafic ‘‘sans clic’’ est passée de 56 % à 69 %. Dans le même temps, le trafic organique vers les sites d’information a chuté de 2,3 milliards à 1,7 milliard de visites. Une réalité qui en train de frapper l’Europe de plein fouet…

Chez nous, Bernard Cools, chief intelligence officer de l’agence Space, vient de mener une étude personnelle aussi originale que révélatrice. L’homme de médias y propose une relecture des usages numériques en Belgique, qui dépasse les seuls sites de presse pour mieux intégrer les nouvelles conséquences de cette récente tendance de recherche ‘‘zéro clic’’ sur le territoire belge.

En croisant données du CIM Internet et les résultats d’études internationales, Bernard Cools avance un constat limpide : les éditeurs belges ne captent qu’environ 59 % de la demande d’informations, tandis que Google, via son écosystème fermé, retient 41 % de cette demande… sans la rediriger vers les créateurs de contenu.

En Flandre, les deux géants que sont DPG Media (29 %) et Mediahuis (21 %) totalisent 50 % de l’offre effective, mais au sud du pays, les deux éditeurs de presse quotidienne Rossel et IPM (bientôt réunis) ne captent respectivement que 25% et 10% soit un total de 35% inférieurs au 41% dévolus au phénomène du ‘‘zéro clic’’ engendré par Google.

Bernard Cools le précise : son approche reste théorique – faute de données belges plus granulaires, notamment sur les réseaux sociaux – mais elle n’en reste pas moins préoccupante : la part du ‘‘zéro clic’’ pourrait bien gonfler encore sur Google, au détriment des éditeurs désormais contraints de passer à l’attaque.

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