Les centres-villes wallons peu attractifs
En Wallonie, le taux de cellules vides n’a cessé d’augmenter depuis les années 2000 et s’élève désormais à 21%, selon les chiffres annuels de l’AMCV (Association du Management de Centre-Ville) sur la dynamique des centres-villes wallons. Certaines villes se portent mieux que d’autres.
Des rues commerçantes désertées, des commerces qui ferment, des cellules vides transformées… En Wallonie, il y a des centres-villes qui souffrent plus que d’autres. Les crises se succèdent et les commerçants font la moue. Avec un taux de cellules vides record, 2024 ne fait pas exception et voit culminer à 20,9% le niveau de vacance commerciale. Et la situation est quelque peu paradoxale puisqu’il n’y a jamais eu autant de surfaces commerciales au mètre carré sur le territoire wallon, alors que dans le même temps, le taux de cellules vides dans les centres-villes n’a jamais été aussi élevé.
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est aggravé au fil des ans. Crise sanitaire, inflation, concurrence des centres commerciaux, e-commerce, cela fait des années que le gâteau commercial est grignoté de toutes parts. “Dans les centres-villes wallons, le taux de cellules vides n’a cessé d’augmenter depuis les années 2000”, explique Jean-Luc Calonger, président l’Association du Management de Centre-Ville, sur la dynamique des centres-villes wallons. “Le seul moment où l’on a observé une diminution de la vacance commerciale, c’est au moment du covid, ajoute-t-il. Juste après, on a vu arriver énormément de nouveaux commerçants indépendants dans les centres-villes, mais certains ont arrêté relativement vite. Des enseignes ont également disparu.”
“Dans les centres-villes wallons, le taux de cellules vides n’a cessé d’augmenter depuis les années 2000.” – Jean-Luc Calonger (AMCV)
Parmi les villes les plus mal en point, on retrouve Verviers (44,2%), qui souffre toujours de l’incertitude concernant un centre commercial qui ne se fera finalement pas, devant Charleroi (29,6%), Mouscron et Couvin (29,3%). A contrario, certaines villes sont en pleine dynamique commerciale, c’est le cas de Waterloo ou de Louvain-la-Neuve. “L’indicateur de base qu’on utilise, c’est le taux de cellules vides, précise Jean-Luc Calonger. Il est extrêmement parlant, parce que tout le monde le vit. On se base sur ce que le client voit.” En d’autres termes : les cellules en travaux, tant qu’elles ne sont pas occupées, sont considérées comme vides (c’est le cas par exemple de cellules de la “Maternité commerciale” à Mons).
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Des commerces de périphérie
“Aujourd’hui, on tourne autour de 21% de cellules vides, alors que l’on était à 9% fin des années 1990”, ajoute le responsable. Une situation un peu différente à Bruxelles où ce taux s’approche des 12% tandis que la Flandre a, elle aussi, mieux résisté au développement du commerce en périphérie. “L’aménagement du territoire est également plus rigoureux en Flandre”, note Jean-Luc Calonger.
La Wallonie a longtemps développé ces centres commerciaux en périphérie, en réponse au déplacement de la population vers la campagne. “Les gens ont privilégié des villas et des jardins et délaissé le centre-ville, c’est de là qu’est venu ce fort développement des commerces en périphérie, analyse le fondateur de l’AMCV. D’une part, le commerce s’est développé en dehors des centres-villes, mais d’autre part, il faut également souligner, principalement dans les villes de plus grande taille, la diminution du nombre d’habitants et la paupérisation de la population vivant en centre-ville. On retrouve dès lors des bâtiments pas ou peu entretenus et vides”, analyse Jean-Luc Calonger, qui prend Verviers en guise d’exemple.
“Avec un taux de 44% de cellules vides, ce n’est plus un problème de commerce, mais d’urbanisme. Le commerce se trouve désormais ailleurs.”
“High streets”
2024 a vu trois grandes tendances émerger dans les centres-villes wallons. La première est que les “high streets”, ou emplacements “triple A”, se portent mieux. “C’est une tendance qui se confirme depuis deux ou trois ans, pointe Jean-Luc Calonger. C’est souvent grâce à une amélioration de la politique de l’urbanisme.”
À Mons, par exemple, le responsable note qu’il y a eu un vrai travail sur les 10 dernières années afin d’améliorer la propreté, la qualité du bâti, l’accessibilité et le stationnement. “Ça permet d’attirer de nouveaux riverains en centre-ville qui ont généralement des niveaux de revenus plus élevés, ce qui améliore l’attractivité des emplacements puisqu’on estime que 30% de la clientèle des centres-villes s’y rendent à pied.”
Pour le responsable, le problème des villes wallonnes qui évoluent négativement au niveau de leur “high street”, comme Verviers, Charleroi Ville-Basse et La Louvière, tient plutôt de la gestion globale de la ville.
Commerces indépendants “de niche”
Deuxième tendance : l’éclosion de nouveaux commerçants indépendants dits “de niche”. Ceux-ci offrent des produits très qualitatifs et qui sont présents sur le segment digital et physique. Des nouveaux commerces qui ne s’appuient pas sur du “mass market” et génèrent dès lors de l’attractivité sans un renforcement de l’accessibilité (via des parkings ou une logistique). “Ceux-là ont réinventé leurs activités, ils travaillent énormément sur les réseaux sociaux et en ligne, poursuit le responsable de l’AMCV. C’est une nouvelle génération de commerçants qui décident d’ouvrir uniquement lorsque c’est rentable de le faire.”
Pour Jean-Luc Calonger, l’e-commerce n’est dès lors pas un obstacle au développement de ces commerces, mais plutôt un atout. “Ça leur permet de rester en contact avec leur communauté et de développer un lien de fidélité, affirme-t-il. Et vous ne verrez jamais ce type de commerce dans un centre commercial.”
Pour autant, les grosses enseignes qui seraient plus enclines à s’installer dans les parcs commerciaux ont, elles aussi, leur place en centre-ville. “Il y a une logistique à mettre en place notamment pour les livraisons, ce qui peut parfois être problématique, relève Jean-Luc Calonger. Mais ce genre d’enseigne génère une hausse de la fréquentation, et donc de l’attractivité, ce qui est bénéfique.”
Commerce de destination
Troisième tendance : un changement d’affectation des enseignes des centres-villes wallons, où l’horeca et la proximité remplacent progressivement le shopping. Ces commerces d’équipement de la personne et de la maison, qui ont fait la force des centres-villes, désertent les lieux : alors qu’ils représentaient 30,2% des commerces en 2015, ce taux, en baisse constante, pointe à 22,1% en 2024.
“C’est une tendance sur l’ensemble de la Wallonie, confirme Jean-Luc Calonger. Le shopping est doublement en perte de vitesse : la plupart des sociétés qui déposent le bilan ou qui se mettent en protection judiciaire sont dans ce secteur et c’est là où les consommateurs réfléchissent à dépenser.”
À l’inverse, les commerces de proximité (alimentation, hygiène, santé, service…) ont nettement progressé ces 10 dernières années. Ces enseignes représentent aujourd’hui 43,3% de l’offre commerciale pour 39,4% il y a une décennie. Quant à l’horeca, il est passé de 23% à 26,9% sur la même période. “On voit de plus en plus de snacking, de petite restauration, souligne Jean-Luc Calonger. En moyenne, les centres-villes wallons perdent le côté shopping au profit du commerce de proximité et de la restauration/café.”
Attirer la clientèle
Pour le président l’Association du Management de Centre-Ville, l’avenir est au commerce de destination. Un bon caviste, traiteur ou chocolatier… Autant de commerces qui attirent une clientèle souvent prête à faire plus de 10 minutes en voiture pour chercher de bons mets. “Les artisans locaux spécialisés dans l’alimentaire sont une source d’attractivité importante, ça fonctionne extrêmement bien.”
Pour Jean-Luc Calonger, une autre solution serait de s’inspirer de la France, où les centres-villes ont récupéré d’autres fonctions que la fonction commerciale. “D’énormes investissements sont réalisés pour remettre le logement à niveau, pour développer les fonctions urbaines, la culture et les loisirs”, conclut-il.
Waterloo, du shopping avant tout
La moyenne wallonne de la vacance commerciale se situe à 20,9%. Mons est juste en dessous avec 20,8 % et fait mieux que d’autres grosses villes comme Charleroi (29,6%, deuxième du classement), La Louvière (27,6%), Tournai (27,1%) ou Liège (21,3%), mais moins bien que Namur (18,7%), et surtout Louvain-la-Neuve (7,9%) et Waterloo (7,3%) qui font partie des bons élèves.
Si Louvain-la-Neuve bénéficie de son centre commercial L’Esplanade, la ville de Waterloo s’impose en tête du rapport de l’Association du Management de Centre-Ville (AMCV). Avec une particularité : alors que le shopping ne représente plus que 22,1% des commerces de centre-ville en Wallonie, il reste toujours la spécialité commerciale de la ville avec un taux de 42,7%, loin devant les commerces de proximité (29,1%) et l’horeca (21,2 %).
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