Les bénéfices du mécénat d’entreprise ne sont pas réservés uniquement aux grandes entreprises

La tour de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, entre autres, a bénéficié de l’expertise du bureau d’architectes et d’ingénieurs Origin (Bgroup à l’époque), lors de sa restauration dans les années 1990. © BELGAIMAGE

Près d’une entreprise sur deux en Belgique fait du mécénat, dont de nombreuses PME qui apportent autant un soutien financier que leurs compétences. Parmi les domaines dans lesquels elles interviennent figurent la culture et le patrimoine, où l’association Prométhéa joue un rôle majeur depuis 40 ans.

On pourrait croire que le mécénat d’entreprise est réservé aux grandes sociétés. Il n’en est rien, toutes les firmes sont concernées. De la plus petite à la plus grande, de la TPE au grand groupe. Selon les chiffres fournis par Prométhéa, association de promotion du mécénat d’entreprise pour la culture et le patrimoine, en 2018, on constatait que 43,9% des TPE, 50% des PME et 75,9% des grandes entreprises faisaient du mécénat.

Après la crise sanitaire, les pourcentages se sont un peu réduits, mais on a observé que des entreprises qui n’avaient pas été impactées ont augmenté leurs interventions. Les projets qu’elles soutiennent touchent les domaines les plus divers, du social à la culture et la sauvegarde du patrimoine, en passant par les initiatives sportives, l’humanitaire, le soutien à la recherche scientifique ou médicale, l’éducation ou encore l’environnement. Parmi les mécènes, une entreprise sur cinq soutient la culture et le patrimoine.

Un cadre incitatif solide

À la différence des Pays-Bas, de l’Allemagne ou de la France, la Belgique ne dispose pas de cadre fiscal et légal concernant le mécénat. Aujourd’hui, deux possibilités s’offrent aux entreprises, soit le sponsoring, soit les libéralités sous forme de dons déductibles. “En France, par exemple, la loi Aillagon relative au mécénat existe depuis 2003, explique Nadia Abbès, directrice générale de Prométhéa. En 2023, nous avons publié un mémorandum afin de sensibiliser les décideurs publics sur l’adoption d’un cadre fiscal adapté. Actuellement, les entreprises ne disposent pas d’un statut spécifique pour leurs initiatives de mécénat, ce qui les contraint à utiliser des dispositifs généraux inappropriés.” L’association a ainsi évalué, sur des estimations basées sur des expériences internationales, que la mise en place d’un cadre incitatif solide pourrait libérer jusqu’à 720 millions d’euros d’investissements annuels en Belgique.

“Si cette mesure implique un coût fiscal pour l’État, elle générerait également des effets retour significatifs, poursuit la directrice générale. Chaque euro investi en mécénat pourrait produire entre 1,5 et 2,5 euros de retombées économiques, tout en diminuant la dépendance aux financements publics. Cette réforme est indispensable à l’heure des restrictions budgétaires. On peut compter sur le monde économique pour autant, et c’est logique, que celui-ci ait un retour sur investissement. Au-delà de l’aspect purement fiscal, il est important de souligner que dans un désert culturel, il n’y a pas de prospérité économique.” Si un cadre formel concernant le mécénat n’existe pas encore chez nous, cela n’empêche pas les entreprises de déjà soutenir, sous diverses formes, de multiples projets sociétaux.

Mécénat financier, collectif et de compétences

Prométhéa s’appuie sur trois piliers qu’elle a désignés ainsi : Linking, pour offrir des opportunités de rencontre ; Learning, pour donner des outils ; Leading, pour créer une culture du mécénat. “Le premier a pour but de développer des partenariats innovants et créatifs avec les acteurs économiques, du secteur culturel et du patrimoine, détaille Nadia Abbès. Le deuxième vise à enrichir les connaissances et recherches relatives au mécénat via, entre autres, notre École du Mécénat, un accompagnement personnalisé, des master class ou encore des événements développés en partenariat. Le troisième pilier concerne notre volonté d’arriver à une reconnaissance d’un cadre légal clair et incitatif en faveur du mécénat”.

Prométhéa, qui s’appuie sur une équipe de sept personnes, compte 140 entreprises membres et sept collectifs d’entreprises mécènes en Wallonie et à Bruxelles. Aujourd’hui, le mécénat peut être financier, collectif, participatif ou s’appuyer sur les produits, la technologie et les compétences des collaborateurs de l’entreprise.

Parmi les entreprises mécènes, on retrouve souvent des sociétés déjà actives dans les secteurs qu’elles soutiennent. C’est le cas, par exemple, d’Origin Architecture & Engineering, bureau d’architectes et d’ingénieurs spécialisés en restauration et rénovation de monuments et de sites. “Nous restaurons le patrimoine ancien et industriel, explique Barbara Pecheur, administratrice d’Origin. Parmi nos premières réalisations, quand nous faisions encore partie de Bgroup, nous sommes intervenus, dans les années 1990, sur la tour de l’Hôtel de Ville et la Bourse. Nous encourageons les entreprises à participer à des projets de restauration, d’autant qu’il y aura à l’avenir moins de financements publics. Il est important que les sociétés contribuent à la restauration et la préservation de notre patrimoine que ce soit sous la forme de mécénat financier ou de compétences, qui dans notre domaine sont très précieuses.”

Impact sociétal et engagement RSE

Le mécénat est davantage qu’un “simple” apport financier à la société. Comme le souligne Prométhéa, “les entreprises sont aujourd’hui de plus en plus incitées, voire tenues, de démontrer leur impact sociétal et leur engagement RSE (responsabilité sociétale des entreprises, ndlr). Le mécénat culturel devient alors un levier stratégique puissant souvent sous-estimé. Avec l’entrée en vigueur de la directive CSRD (corporate sustainability reporting directive, ndlr), les entreprises doivent désormais rendre compte de leur impact extra-financier. Le mécénat culturel, structuré et aligné avec leur stratégie devient une réponse à la CSRD. Soutenir un projet artistique local, préserver un patrimoine régional ou mettre ses compétences au service d’un acteur culturel contribue directement aux critères ESG, tout en renforçant la légitimité sociale de l’entreprise sur son territoire”.

Les entreprises mécènes sont souvent impliquées dans la société et beaucoup manifestent déjà des engagements ESG. C’est le cas de Kaos Films. Société bruxelloise de production audiovisuelle fondée en 1997, elle est active dans quatre domaines : les documentaires – le dernier en date est consacré à Eddy Merckx –, les films institutionnels, les films corporate et les émissions de télé comme “C’est archivé près de chez vous” sur la RTBF ou “Chasse à l’homme” sur RTL. Labellisée entreprise écodynamique, elle a toujours eu à cœur de soutenir les causes environnementales et humaines.

“Nous aimons nous ouvrir à plein de nouvelles choses, intervient Patrick Lauber, fondateur et administrateur de Kaos Films, et soutenir des initiatives et des projets avec un impact positif et sociétal. Nous avons réalisé un spot pour le Musée des Enfants à Ixelles, dans le cadre d’un mécénat culturel sous l’égide de Prométhéa, ou encore la communication pour un club de tennis de table à Schaerbeek. Le fait de partager notre savoir-faire participe à l’image de la société.”

“Le fait de partager notre savoir-faire participe à l’image de la société.” – Patrick Lauber (Kaos Films)

Un outil pour les ressources humaines

Participer à des projets en tant que mécène n’apporte pas seulement une visibilité, assez relative toutefois car ce n’est pas le moteur des entreprises, mais constitue également un outil pour attirer, engager et fidéliser des compétences. Comme en témoigne Éric Hemeleers, administrateur du bureau de courtage Eeckman, spécialisé dans l’assurance d’œuvres d’art, et chairman des activités belges de PatrimOne Group, “outre le soutien à la culture ou à d’autres projet, le mécénat présente des atouts pour une entreprise par rapport au personnel, notamment en termes d’implication et de motivation. La première chose que souhaitent les jeunes dans un emploi est la quête de sens, ensuite le contexte général de l’entreprise et en troisième position vient la rémunération. En nous impliquant dans l’art, nous donnons du sens à la croissance de l’entreprise pour nos collaborateurs et remplissons ainsi notre mission de transmission du patrimoine aux générations futures”.

“En nous impliquant dans l’art, nous donnons du sens à la croissance de l’entreprise pour nos collaborateurs et remplissons ainsi notre mission de transmission du patrimoine aux générations futures.” – Éric Heemelers (Eeckman)

Bureau d’ingénierie liégeois regroupant sept sociétés et comptant près de 300 collaborateurs, Greish est actif de longue date dans le mécénat tant pour son soutien financier que pour l’apport de ses compétences. Il participe ainsi régulièrement à de multiples projets. On peut citer, entre autres, le Mosasaure – Les dents de la Meuse, à Liège, ou à Bruxelles le futur Moby Train, dans le quartier du pont Van Praet, en collaboration avec les artistes François Schuiten et Pierre Matter.

Mécénat de compétences

“Nos interventions dans les structures sont parfois visibles, parfois pas, précise Sébastien Seret, administrateur. Chaque projet est différent et nécessite des compétences précises. C’est chaque fois un défi passionnant pour nos équipes. Notre implication dans l’art renforce notre recrutement, notamment pour des ingénieurs structure. Le mécénat de compétences apporte aussi une véritable valeur ajoutée au travail quotidien et permet de donner du sens à côté des projets contractuels.”

En contribuant à l’art, qui n’est que l’une des nombreuses facettes du mécénat, les entreprises soutiennent la culture et le patrimoine, et elles s’ouvrent également à de nouveaux univers, riches de sens et de diversité.

Guy Van den Noortgate

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