Les bémols de Peppol
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À partir du 1er janvier prochain, à quelques exceptions près, toutes les entreprises belges assujetties à la TVA devront utiliser des factures électroniques structurées entre elles via un réseau sécurisé pan-européen appelé Peppol. Adieu donc les factures en PDF envoyées par e-mail. Une révolution qui va entraîner des surcoûts pour les indépendants et les PME.
À compter du 1er janvier 2026, toutes les entreprises belges assujetties à la TVA devront utiliser des factures électroniques. Ces factures devront être structurées entre elles. Il s’agit de factures échangées directement entre les logiciels des deux entreprises via un réseau sécurisé appelé Peppol. L’envoi d’une facture en PDF par e-mail ou via une plateforme ne suffira donc plus.
À un peu moins d’un an de son entrée en vigueur, cette révolution est encore très mal connue du tissu économique belge. L’automne dernier, Horus Software, une entreprise familiale liégeoise fondée en 2016 par la famille Tailleur et spécialisée dans le développement de logiciels comptables dernier cri, a livré les résultats d’une étude menée auprès de 210 patrons de PME belges. À peine plus de la moitié de ces dirigeants (57%) étaient au courant de cette transition obligatoire en 2026. En outre, seuls 37% des chefs d’entreprise connaissaient le réseau Peppol, la plateforme sécurisée choisie par le gouvernement pour l’échange des factures. Une étude comparable menée par le SPF Stratégie et Appui (Bosa) a conduit plus récemment au même résultat.
Enfin, Lucy, la solution d’e-facturation qui appartient au groupe Visma, s’est rendu compte en ce début d’année, via un sondage auprès de 300 entreprises belges, que seulement 42% de ces sociétés utilisaient un logiciel de facturation. Le tissu économique belge n’est donc pas prêt pour cette facturation électronique B to B. Et il continue à se poser beaucoup de questions. Nous allons essayer d’y répondre.
1. Pourquoi cette obligation ?
L’obligation de facturation électronique entre entreprises assujetties à la TVA découle d’une directive européenne appelée ViDA pour VAT in the Digital Age (la TVA à l’ère du digital). Elle a été finalement acceptée à l’automne dernier par toutes les instances européennes et définit un calendrier précis à 10 ans pour généraliser l’ensemble des systèmes de facturation électronique au sein de l’UE et rendre obligatoires les déclarations électroniques, plateformes digitales de vente comprises. Le but est bien évidemment de récupérer les milliards d’euros de TVA qui échappent aux différents trésors publics. En 2021, la Commission européenne a évalué cet écart de TVA (VAT Gap) à 134 milliards d’euros, soit à l’échelle de l’UE une perte de revenus de l’ordre de 10%. En Belgique, on espère récupérer une bonne partie du VAT Gap estimé à 4,5 milliards d’euros en 2022.
“C’est clairement un outil destiné à lutter contre l’économie informelle, souligne Emmanuel Degrève, fondateur du bureau d’experts-comptables Degand & Associés. Ce qui explique pourquoi, au sein de l’UE, l’Italie fut l’un des fers de lance de cette directive. Depuis l’introduction dans ce pays de la facturation électronique, l’État a récupéré des milliards. La Belgique, qui a beaucoup travaillé sur la directive lors de notre présidence tournante l’an dernier, fait figure de bon élève de la classe puisque nous allons lancer l’obligation de facturation électronique dès 2026 alors qu’on avait encore un peu de marge de manœuvre.”
2. Quelles sont les exceptions ?
En Belgique, les factures B to G (business to government) pour les contrats de marché public supérieurs ou égaux à 3.000 euros sont déjà soumis à facturation électronique obligatoire via Peppol depuis le 1er mars 2024. L’ensemble des factures B to C ne sont pas soumises à cette obligation. En d’autres termes, si vous êtes une entreprise qui facture uniquement à des particuliers, l’utilisation de la facture électronique ne devient pas obligatoire.
Enfin, pour la facturation entre entreprises, ne sont pas concernés : les assujettis faillis, les entreprises qui réalisent uniquement des opérations exemptées en vertu de l’article 44 du Code de la TVA, les assujettis non établis en Belgique et sans établissement stable et les assujettis forfaitaires jusqu’au 31 décembre 2027.
3. Un report est-il possible ?
C’est évidemment la question à 4,5 milliards d’euros ! Vincent Van Peteghem, notre ministre des Finances, a activement participé à l’élaboration de ViDA. Et logiquement, la Vivaldi a enclenché la surmultipliée. Mais que fera l’Arizona, plus proche de la sensibilité des entreprises ?
“Vu le peu de pénétration de cette législation dans le tissu économique, un report n’est pas impossible, souligne Emmanuel Degrève. Vu le coût supplémentaire que les PME et les indépendants vont avoir à supporter, je m’attends à ce que l’UCM et le SNI montent au créneau aussitôt que nous aurons un gouvernement fédéral. Une fois de plus, l’État n’a pas réfléchi. Il ne roule que pour lui-même. Il veut récupérer des milliards d’euros et les entreprises, les indépendants et les comptables n’ont qu’à s’adapter. Une fois de plus, ce sont les petits qui vont trinquer. Or ce sont ces petits acteurs, pour qui chaque euro compte, qui constituent, en Wallonie, l’essentiel de notre tissu économique. Certes, les frais de facturation électronique sont entièrement déductibles, parfois jusqu’à 120%. Mais c’est une disposition qui ne reste pas claire. Et comme toute déductibilité, on n’en voit la couleur qu’au bout de deux ans.”
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“Les frais de facturation électronique sont entièrement déductibles, mais comme toute déductibilité, on n’en voit la couleur qu’au bout de deux ans.” – Emmanuel Degrève (Degand & Associés)
4. Peppol, c’est quoi ?
Peppol, pour Pan-European Public Procurement Online, est un réseau standardisé et sécurisé développé par la Commission européenne et un consortium d’États membres. Il est géré par OpenPeppol, une ASBL de droit belge installée au cœur du quartier européen à Bruxelles. Il va permettre, en toute sécurité, d’envoyer et de réceptionner des factures électroniques au format UBL.
Visuellement, ces factures demeurent des PDF textes auxquels sont attachés un fichier XML. Ce fichier XML est lu par les logiciels comptables et empêche la moindre erreur dans la lecture ou l’imputation de la facture. Peppol est appelé à évoluer puisque dans les 10 ans, il est prévu que toute facturation électronique soit instantanément communiquée aux autorités fiscales.
Peppol est appelé à évoluer puisque dans les 10 ans, il est prévu que toute facturation électronique soit instantanément communiquée aux autorités fiscales.
5. Quels changements pour les indépendants et les entreprises ?
Ils vont devoir disposer d’un logiciel de facturation avec un accès autorisé au réseau Peppol. Là se situe le nerf d’une nouvelle guerre commerciale. Quand on examine la dernière liste des entreprises agréées Peppol, on trouve peu, surtout du côté wallon, d’éditeurs de logiciels mais énormément de fintechs qui, logiquement, vont monnayer tout le travail effectué pour décrocher la certification. Certaines en ont profité pour développer un logiciel de facturation, mais pas toutes. En d’autres termes, les éditeurs de logiciels vont devoir refacturer à leurs clients le coût de l’accès Peppol qui s’entend de nos jours aux alentours de 20 cents la facture. Avec Odoo, Horus Software fait partie des très rares éditeurs de logiciels de métier wallons qui ont développé un accès Peppol (ils sont plus nombreux en Flandre, dont Wouters Kluwer qui pilote Doccle).
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“Développer un logiciel de facturation est un travail colossal sur lequel travaillent deux personnes à temps plein depuis deux ans.” – Jérôme Tailleur (Horus Software)
Un travail colossal
“C’est un travail colossal sur lequel travaillent deux personnes à temps plein depuis deux ans, assène Jérôme Tailleur, sales director d’Horus Software. Pourquoi avons-nous fait ce choix ? Parce que nous disposions déjà de Falco, une appli spécialement destinée aux indépendants et petites structures sans comptable en interne. C’est un outil, simple et intuitif, de gestion (la situation financière en temps réel) auquel nous avons ajouté il y a quelques années de la facturation électronique. Peppol sera offert gratuitement pour le nombre de factures prévues par chaque abonnement.”
On ne saurait trop conseiller à ce stade aux indépendants et entreprises qui ne disposent pas de facturation électronique de voir avec leur comptable attitré le logiciel qu’il utilise et le point d’accès qu’il a choisi. Histoire que le choix posé soit compatible avec ses activités. Pour les entreprises qui facturent peu en B to B, il est possible aujourd’hui de disposer, chez tel ou tel fournisseur, pour une dizaine d’euros d’un abonnement mensuel qui comprend entre 5 et 15 factures par mois. En d’autres termes, le surcoût pour ceux qui facturent peu en B to B va débuter aux alentours des 150 euros par an. Pour les autres, sans tenir compte des relations particulières avec votre fournisseur de logiciel, il faut multiplier le nombre potentiel de factures B to B envoyées et reçues par 20 cents pour se faire une (petite) idée.
6. Que faire si vous ne facturez pas du tout en B to B ?
Le diable se niche toujours dans les détails. Ce n’est pas parce que nous n’émettez aucune facture en B to B, que vous n’allez pas devoir vous équiper.
Prenons l’exemple d’une coiffeuse : elle n’a que des particuliers comme clients, mais achète des produits capillaires auprès de fournisseurs et a un contrat business avec Proximus. Les factures afférentes, elle va, dès l’an prochain, les recevoir via Peppol. Elle va donc devoir disposer d’un système de réception qui ne sera pas gratuit non plus. Là encore, consulter son comptable paraît essentiel avant de faire son choix.
7. Quels changements pour les comptables ?
Pour les comptables, l’arrivée de Peppol n’est pas non plus un événement anodin.
“On pourrait dire que c’est une ligne de plus dans la façon de récupérer les documents comptables, conclut Emmanuel Degrève. Mais il faudra bien la gérer pour ne pas perdre de document ou du temps. L’industrie du software dans son ensemble s’est mise en branle et cette obligation est vue – et je ne critique personne – comme un débouché commercial intéressant puisque l’accès Peppol devient un passage obligé. Ce ne sont pas les comptables qui vont payer la note, mais les clients.
Typiquement, un bureau comporte 80% de clients qui n’ont pas de facturation électronique. Un tel constat ouvre l’appétit évidemment. Il n’y aura pas de solution gratuite même pour ceux qui ne facturent pas en B to B. Nous en sommes bien conscients au niveau de l’Ordre des Experts-Comptables et Comptables Brevetés de Belgique dont je suis le vice-président. Donc, nous cherchons des solutions pour demeurer un partenaire loyal et constructif auprès de nos clients, mais nous ne sommes pas des éditeurs de logiciels. Nous luttons pour éviter une nouvelle fracture digitale, mais tous les bureaux ne seront pas capables d’offrir une solution à leurs clients, surtout ceux qui facturent peu ou pas du tout en B to B. Dans notre bureau, nous sommes en discussion pour proposer des solutions raisonnables via notre fournisseur.”
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