Ce n’est pas neuf : la génération Z veut avoir de l’impact sur le monde du travail, et les employeurs en sont désormais conscience. Si elles veulent attirer des candidats, les entreprises doivent prouver qu’elles partagent les mêmes valeurs morales qu’eux. Journaliste free-lance, Susan Sjouwerman explique pourquoi les jeunes qui entrent sur le marché du travail sont si attachés à la notion de « raison d’être ». Elle conseille d’ailleurs aux “Gen Z” de ne pas se perdre dans le labyrinthe des offres d’emploi, mais de se lancer dans l’entrepreneuriat.
Lorsque Susan Sjouwerman (35 ans) est arrivée sur le marché du travail, les offres d’emploi étaient quasiment inexistantes. Nous étions en pleine crise économique.
Après une expérience dans la communication, qui ne l’inspire gère, elle a préféré la voie de l’indépendance en devenant journaliste free-lance. Pour ses collaborations avec la NOS, le magazine économique Quote, le Financieele Dagblad ou encore Vogue, elle interviewe régulièrement des entrepreneurs « à impact ». Des dirigeants socialement engagés qui ne se contentent pas de générer des revenus, mais veulent avant tout faire une différence. Une démarche qu’ils partagent avec de nombreux millennials (la génération de Susan Sjouwerman) et, plus encore, avec la génération Z.
Et c’est précisément pour cette raison que les jeunes sont rapidement désillusionnés, lorsqu’ils font leurs premiers pas dans la vie active, de se retrouver face aux offres d’emplois disponibles et au « grand nombre de bullshit jobs », selon Susan Sjouwerman. « Lors d’événements de réseautage, je constate à quel point les personnes de mon âge ou plus jeunes se plaignent que leur travail est sympa, mais qu’il leur manque quelque chose », observe-t-elle. « C’est étrange, car mes parents se contentaient d’être heureux d’avoir un emploi. »
Décalage moral
Autrefois, le simple fait de travailler se justifiait par un salaire (de préférence élevé) et un statut social. Aujourd’hui, les jeunes générations y accordent beaucoup moins d’importance : selon le cabinet de conseil Deloitte, huit membres sur dix de la génération Z et des millennials (la génération Y ) accordent de l’importance au sens de leur travail, cette notion est même essentielle pour eux.
« Ce que recouvre exactement cette notion de « raison d’être », de sens, reste assez vague dans cette étude », note Sjouwerman. Mais un fait s’impose : les valeurs d’un employeur potentiel doivent correspondre à celles du jeune candidat. Aux Pays-Bas, par exemple, quatre Gén Z sur dix et trois millennials sur dix ont déjà refusé un emploi ou une mission pour des raisons liées à leurs convictions personnelles. Six travailleurs actifs de moins de 35 ans sur dix envisageraient de démissionner en cas de décalage moral avec leur employeur.
Susan Sjouwerman a appris, lors de ses entretiens avec des psychologues du travail et des consultants, que les jeunes ont besoin de sens. « Nous passons en moyenne 80.000 heures de notre vie au travail. Pour ma génération, cela sera encore plus probablement. Nous voulons que ces heures aient du sens. Nous faisons face à crise sur crise. En tant que consommateurs, nous ne pouvons agir que de manière limitée, alors nous voulons donc faire la différence sur le plan professionnel. »
Pyramide de Maslow
Pour illustrer cela, elle fait référence à la pyramide des besoins de Maslow, qui explique que l’on ne peut viser l’épanouissement dans sa vie ou son travail qu’une fois les besoins de base satisfaits – nourriture, logement, etc. « Heureusement, c’est le cas pour une grande partie de ma génération », écrit Susan Sjouwerman. Sauf pour un besoin fondamental : de plus en plus de jeunes ne peuvent plus acheter leur propre habitation. « Puisque cet objectif leur échappe, beaucoup se disent : tant pis. Ils préfèrent alors travailler à quatre-cinquièmes, ou chercher un emploi qui leur soit au moins agréable. »
Conséquence : les entreprises traditionnelles peinent à enthousiasmer les jeunes pour un mode de « travail classique » au bureau. À long terme, beaucoup de « bullshit jobs » seront automatisés grâce à l’intelligence artificielle. Pour attirer dès maintenant la génération Z, mieux vaut insister sur le sens et les valeurs morales dans les offres d’emploi. Une société peut, par exemple, démontrer son engagement en matière de durabilité. « Mais encore faut-il que les collaborateurs aient réellement la possibilité d’y jouer un rôle », avertit Sjouwerman. « Il ne s’agit pas de recruter des talents pour les voir partir aussitôt. »
Entreprendre soi-même
La véritable solution, selon elle, consiste à inciter davantage de jeunes à entreprendre, à se lancer dans l’entrepreneuriat. « Nous avons besoin de vous », écrit-elle dans le dernier chapitre de son livre. En dépit du battage médiatique autour du quiet quitting, les jeunes travailleurs, et surtout la génération Z, sont en réalité portés vers l’entrepreneuriat. Ils sont indépendants, originaux et travaillent bien de manière autonome. Et surtout : mieux que quiconque, ils savent se vendre en ligne. « C’est l’avantage d’avoir grandi avec les influenceurs. Les Gén Z savent faire d’eux-mêmes une marque. »
Pour franchir les premières étapes de l’entrepreneuriat « à impact », Susan Sjouwerman donne un conseil surprenant : chercher dès le départ la méthode la plus durable ne s’avère pas être une bonne idée. « Une entreprise doit être rentable et capable de croître avant de pouvoir résoudre tous les problèmes» souligne-t-elle. Et si l’idée elle-même intègre déjà la notion d’impact, le consommateur ne reprochera pas forcément l’usage d’une pompe en plastique sur un flacon en verre.
Cette constatation rend son message plus nuancé. Si Susan Sjouwerman encourage les jeunes idéalistes à entreprendre, elle leur rappelle aussi que neuf start-up sur dix échouent. Par ailleurs, les entrepreneurs à impact sont plus vulnérables aux burn-out.
« Plus de la moitié des entreprises sociales sont pourtant rentables ou à l’équilibre. Une seule start-up qui réussit justifie déjà l’effort », estime Sjouwerman. Elle souligne que de nombreux entrepreneurs qu’elle a interviewés ont d’abord acquis de l’expérience dans des cabinets d’avocats ou des multinationales. « Beaucoup de jeunes rêvent de travailler pour une organisation à but non lucratif, mais les postes y sont rares. Dans les faits, il est utile de commencer par une grande entreprise. Plus tard, certains ont même sollicité leur ancien patron pour investir dans leur start-up. »
Redémarrage et job crafting
Lorsqu’on entreprend par passion, on poursuit là où d’autres abandonneraient. Même en cas d’échec, ce n’est pas une honte. Susan Sjouwerman cite plusieurs entreprises et start-up qui après une faillite, ont réussi un redémarrage. Parmi les exemples récents figurent la marque de mode The New Optimist, qui introduisait le principe de consigne sur les vêtements, et l’entreprise de recyclage I-did. « La première a finalement fait faillite, la seconde a pu redémarrer. Les entrepreneurs à impact bénéficient heureusement d’un capital de sympathie important. Tout ne leur sourit pas – les banques ne les accueillent pas toujours à bras ouverts – mais sur ce plan, ils sont mieux lotis. »
Et si vous ne voulez pas créer votre propre entreprise, et que les offres d’emploi existantes ne vous conviennent pas ? Vous pouvez toujours faire la différence dans votre emploi actuel. « Cela a aussi été une leçon pour moi : ne vous laissez pas enfermer dans un moule. Les entreprises ne savent pas toujours ce qu’elles veulent. Si vous en avez l’opportunité, vous pouvez contribuer à définir vous-même votre fonction. »
Elle renvoie au concept de job crafting : en modelant son poste pour l’adapter à ses besoins, on peut travailler sur ce qui nous correspond réellement.
Sarah Vandoorne