Le “professeur Bucella”, devenu une référence en vin: “C’est toute ma vie!”
Professeur de physique et de mathématique et de physique à l’ULB, ancien leader étudiant, Fabrizio Bucella est aussi un sommelier qui multiplie les livres et est fort écouté en France ou en Italie. Il confie sa passion à Trends Tendances.
Fabrizio Bucella est professeur de physique et de mathématiques à l’ULB. Il se consacre aux domaines singuliers de la mathématique de l’incertitude et des lois de la logique du hasard. A côté de cela, l’ancien leader étudiant des années 1990 a obtenu son diplôme de sommelier et a créé une école internationale sur le vin, à partir de laquelle il donne des conférences, écrit des livres à profusion (aux éditions Dunos, le dernier s’intitulant Pourquoi boit-on du vin?) est omniprésent dans les médias (dont Le Point, en France, où il tient une chronique régulière), et donne cours aux universités de Reims et Bordeaux.
“Je suis un raconteur d’histoires sur le vin, cette description me convient bien”, sourit Fabrizio Bucella. On le connaît désormais comme “professeur Bucella”. Il se raconte pour Trends Tendances.
Comment êtes-vous devenu un spécialiste reconnu en vin ?
J’ai réalisé ma qualification de sommelier à l’AIS, l’association italienne de sommeliers, à l’Institut italien de culture de Bruxelles pendant trois ans. C’était magnifique. Cela m’a ouvert les yeux parce qu’ils avaient une approche extrêmement analytique du vin qui me correspond bien en tant que scientifique, une façon unique de le décortiquer… Depuis, je n’ai plus cessé de développer cette connaissance.
A l’époque de ma formation, il y avait encore le mythe que l’on peut relier toute sensation perçue à une molécule. L’acidité, par exemple, avait la fraîcheur comme correspondant sensoriel; l’alcool, c’est la chaleur; les tanins, c’est l’astringence… Mais on sait qu’il y a plusieurs types d’acides, de tanins, d’alcools… En vérité, notre ressenti dépend aussi d’une série de facteurs environnementaux comme l’ambiance, la température, la musique… L’année passée, j’ai réalisé l’expérience avec mes étudiants: l’évaluation de la température d’un même vin, qui est quelque chose d’objectif, variait de 40% selon qu’on l’écoutait avec le concerto Hiver de Vivaldi ou avec une musique chaude.
Cette passion du vin vient de vos études ?
Cette passion, je la cultive depuis toujours. Quand j’étais étudiant à l’ULB, j’ai suivi des cours de dégustation et d’oenologie post-facultaire alors que j’étais en première année – j’avais dû demander une dérogation pour le faire. Cela a été un révélateur. J’ai découvert un univers sensoriel, des histoires incroyables: j’étais bluffé, je me disais que je serais bien dans la tête du prof. Et j’ai tout fait pour y arriver.
Jusqu’à avoir créé votre une petite entreprise ?
Oui, j’ai créé une petite entreprise qui s’appelle Inter Wine & Dine. Elle n’a pas vocation à me donner un salaire, mais à faire en sorte que cette passion soit la moins coûteuse possible – ce qui est impossible parce que quand on aime, on ne compte pas, j’ai un petit côté acheteur compulsif et collectionneur. J’ai publié plusieurs livres, dont L’Anti-guide du vin (éd. Dunod) dont une version augmentée sort le 8 mars, j’écris pour Le Point, je donne des conférences à la Cité du vin de Bordeaux, notamment. Cet hyper-activisme, c’est un peu mon autre problème, un penchant à mon angoisse. Mais je ne suis pas un gros sorteur, en vérité, j’aime beaucoup boire un verre avec des amis, mais pas jusqu’à quatre heures du matin.
Le vin est un véhicule social: vous adressez-vous beaucoup à des entreprises ?
Avant le confinement, nous avions énormément d’entreprises qui nous contactait : des cabinets d’avocats, des bureaux d’architecture, des entreprises comme IBM ou McKinsey… C’est une pratique courante pour des incentives. Le confinement a mis un peu cela entre parenthèses, ce n’est pas la même chose en ligne, mais cela va redémarrer, je l’espère. J’aime aussi donner des conférences culturelles, sur l’histoire du vin, ses milieux… ou réaliser de grandes dégustations pour les étudiants ou d’autres publics.
Comment avez-vous réussi à vous forger une notoriété internationale ?
J’ai un côté hyper-perfectionniste, ce qui est une autre facette des personnes angoissées. Mais il y a en réalité trois règles : travailler, travailler, travailler. Il n’y a pas de miracle. Je donne régulièrement des cours à l’université de Bordeaux : la veille, je ne prévois pas un dîner, j’arrive pour être en forme et je prépare une nouvelle fois mon cours pour le différencier de l’année dernière. Cette implication est permanente. Pendant mes cours, je donne tout ce que j’ai, les étudiants sont ma raison d’être et mon dernier livre leur a d’ailleurs été dédicacé. C’est ma deuxième famille.
C’est une discipline ?
Exactement. Si quelqu’un veut préparer un marathon, il a sa discipline, sinon il n’y arrive pas.
Est-ce un domaine où il y a beaucoup de sollicitations ?
Le vin et la bière sont devenus des domaines très populaires et c’est certain que c’est un milieu qui brasse beaucoup d’argent. J’ai reçu beaucoup de sollicitations pour visiter des vignobles, recevoir des vins, aller manger au restaurant ou autres, mais cela fait au moins cinq ou six ans que je n’y réponds plus. Je n’essaye pas de dire que je suis plus vertueux que d’autres, mais cela me met un peu mal à l’aise. Et à vrai dire, je ne sais de toute façon rien en faire. Le vignoble, je le visite tout le temps pendant les vacances, c’est vraiment ma vie! Dans un restaurant, on peut discuter longtemps avec un sommelier si l’on est vraiment intéressé. Mais c’est vrai qu’avec ce côté un peu influenceur, il y a des propositions.
Parce qu’influenceur, vous l’êtes, non ?
Oui, on peut dire cela. Mais je refuse de mettre en valeur un produit contre de l’argent. Par contre, ce que je veux bien faire, c’est travailler pour des Interpro, il y a quelque chose de collectif que je trouve plaisant. Travailler pour les vins du Languedoc, par exemple, pour proposer des accords mets-vins. Dans ce cas, on fait son boulot de sommelier. Bien sûr, il y a une rémunération, mais je me sens à l’aise.
Vous avez créé une forme de marque “professeur Bucella” : c’était délibéré ?
Oui et non, c’est venu avec le temps, parce que l’on m’a toujours dit que j’étais une bille en marketing. Les cours, les conférences, les livres y ont contribué, mais aussi la volonté de rester fidèle à ce que je suis, à mes idéaux. Ce monsieur qui me suit sur Instagram voit bien que la bouteille dont je partage la photo a été payée au restaurant ou que je l’ai achetée pour moi. C’est une forme d’intégrité et c’est, par ailleurs, apprécié dans le secteur. Mais attention, je prends des précautions oratoires, je ne prétends vraiment pas être le chevalier blanc par rapport à des collègues.
Quels sont vos régions coups de coeur ?
Depuis que je suis adolescent, c’est la Bourgogne. Ce fut d’ailleurs là que j’ai effectué mon voyage de rhéto où nous en avons bien profité. C’est resté mon coup de coeur. Le Pinot noir de Bourgogne est tellement fin, tellement délicat, ce n’est jamais fatiguant, c’est acide mais pas trop, c’est plein de nuances… c’est vraiment fabuleux. Cela dit, il y a des bons vins dans toutes les régions et les goûts évoluent avec les circonstances de la vie. Pour l’instant, mes goûts évoluent surtout vers les acides et les amers, moins boisés, des vins plus biodynamiques ou nature, mais droits – je ne suis pas un fanatique de la déviance. Les taux d’alcool, aussi, ne doivent pas être trop évolués : avec le réchauffement climatique, certains vins tapent à 14,5° ou 15°, cela fatigue vite, cela sent le confit, le pneu…
J’aime beaucoup les vins nordiques en fait, de Loire, d’Alsace… Bien sûr, j’adore l’Italie, le Piémont, le Frioul et le Sangiovese en Toscane donne encore des résultats formidables avec un côté acide typique. Après, il y a des machins magiques comme le Lambrusco qui reviennent à la mode. Evidemment, j’aime beaucoup les Bordeaux dont les vins de la famille Delon – qui n’est pas l’acteur, mais le propriétaire de Léoville Las Cases … – comme la cuvée Potensac qui reste abordable au niveau des prix. C’est très serré, très tendu : ce sont des vins qui ne s’ouvrent jamais. Il y a un côté revêche chez ce vinificateur que j’adore.
Et les vins belges?
Je crois beaucoup dans le vignoble belge. J’apprécie énormément le blanc et les bulles, dont Rufus et Eole qui sont magnifique. En blanc, il y a Bioul qui est exceptionnel – abordable, aussi. En rouge, le Chenoy a été repris par les frères Despatures : ces Belges vinifiaient à Bordeaux et ont apporté toute leur science bordelaise, du travail en bois ou autre. Ce que j’ai dégusté était magnifique. Je m’ouvre à l’idée que l’on peut faire de bons rouges.
Il y a simplement une question que je me pose, en tant que scientifique, liée au fait que l’on ne modifiera jamais le nombre de jours d’ensoleillements – pour cela, il faudrait modifier l’axe de rotation de la planète, ce qui est peu probable. Il y a chez nous 1500 ou 1600 heures d’ensoleillement, contre 1800 en Bourgogne et 2000 à Bordeaux… Il y a aujourd’hui des indicateurs numériques : nous sommes encore dans les climats tempérés froids, une autre température va-t-elle permettre de passer un cap ? C’est une vraie question.
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