Proximus, cas d’école de la “flamandisation” de l’économie?

Le nouveau CEO Stijn Bijnens devra revaloriser Proximus avant que ne soit mené le débat sur une vente de l’entreprise, à tout le moins partielle, en fin de législature. © BELGA
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

Les tourments ayant mené au départ de Guillaume Boutin et à la nomination de Stijn Bijnens à la tête de Proximus sont illustratifs d’une certaine flamandisation de la Belgique. Même s’il restera un équilibre avec un président du conseil d’administration francophone.

Une petite révolution est en cours chez Proximus. Nommé mi-juin, le Limbourgeois Stijn Bijnens, ancien CEO de l’entreprise d’IT Cegeka, prendra, à la rentrée de septembre, la relève de Guillaume Boutin, parti monnayer ses talents chez Vodafone après avoir été soumis à de violentes critiques politiques.

C’est le “premier CEO flamand de l’entreprise” a relevé le Standaard au moment de sa désignation. “La tradition chez Proximus voulait que l’on désigne des CEO francophones avec, en succession, Didier Bellens, Dominique Leroy et Guillaume Boutin, précisait le quotidien. Dans le passé, il n’y a eu qu’un Flamand à sa tête, John Goossens.” Mais l’entreprise se nommait encore Belgacom, entre 1995 et 2002.

“Pas une mauvaise chose”

“Je ne sais pas si le simple fait qu’il soit Flamand est une bonne nouvelle, sourit Michaël Freilich, député N-VA, à l’origine de la tempête politique qui a secoué Proximus en début d’année. Disons que cela facilitera la communication entre nous.” Il était notoire que le Français Guillaume Boutin ne maîtrisait pas la langue de Vondel.

Au sein de Proximus, on rappelle que la désignation de Stijn Bijnens est le résultat d’une procédure officielle, menée par un chasseur de tête. Rien de communautaire, donc. En outre, un équilibre légal prévoit que si le CEO est Flamand, la présidence du conseil d’administration revienne à un francophone, vraisemblablement un libéral.

“Le fait qu’il soit Flamand n’est, par ailleurs, pas une mauvaise chose, appuie Haroun Fenaux, directeur de la communication de l’entreprise. La Flandre est un marché crucial pour nous et la concurrence y est rude avec, notamment, un Telenet très agressif. Stratégiquement, c’est bien d’avoir un CEO qui connaît bien cette réalité et qui pourra défendre Proximus sur le plateau télévisé de Ter Zake.”

La présidence du conseil d’administration restera encore un peu flamande : le conseil d’administration a prolongé temporairement le mandat du président sortant, Stefaan De Clerck (CD&V), le temps de trouver la perle rare. Le MR a désigné Franck-Philippe Georgin, un ancien… collaborateur de l’ex-président français Nicolas Sarkozy pour le représenter dans le nouveau conseil. “Un choix politique, je l’assume, s’est défendu Georges-Louis Bouchez. Il faut savoir ce qu’on veut. Soit l’État est actionnaire, agit comme un actionnaire et prend les décisions. Soit on ne fait plus rien et, dans ce cas, on n’a plus qu’à vendre la boîte.” Il ne le dit pas par hasard : pour les nationalistes flamands, tel est bien l’enjeu.

Remettre de l’ordre dans la maison

“Ce qui est sûr, c’est que le nouveau CEO a du pain sur la planche, grince Michaël Freilich. Il devra remettre de l’ordre dans la maison, rendre sa valeur à l’entreprise avant qu’on ne mène le débat sur une vente en fin de législature.”

Le patron sortant, Guillaume Boutin, est parti pour relever un nouveau défi chez Vodafone, où il dirige le département “investissements et stratégie”. Mais deux des partis de la majorité Arizona, la N-VA et le MR, contestent fortement son bilan ; ils avaient d’ailleurs obtenu de l’entendre au Parlement en raison du cours de l’action en chute libre, au début de l’année.

“Les résultats démontrent que mes critiques étaient fondées”, nous dit Michaël Freilich. “L’ancien CEO, Guillaume Boutin, s’est lancé dans cette aventure internationale avec de l’argent dont il ne disposait pas. Cette stratégie a complètement échoué. Tous ceux qui connaissent bien le secteur le voyaient venir.”

Selon Michaël Freilich, l’achat de l’américain Telesign en 2017 et surtout celui de l’indien Route Mobile en 2023-24 pourraient coûter très cher à l’entreprise en termes de moins-value. Il évalue les pertes potentielles à “quelque 400 millions d’euros”. Surash Patel, chief revenu officer de Proximus Global, a d’ailleurs été démis de ses fonctions, fin juillet, après la présentation des résultats désastreux de cette coupole des activités internationales de l’opérateur en début d’année.

“De l’amateurisme”

L’élu N-VA en veut aussi au conseil d’administration, singulièrement son président, Stefaan De Clerck (CD&V). “Son rôle consistait à voir si le CEO ne faisait pas de bêtises, souligne-t-il. Le problème, c’est que Stefaan De Clerck, aussi charmant soit-il, n’a aucune connaissance du secteur. Cela vaut d’ailleurs pour tous les partis. Karel De Gucht, ancien commissaire européen Open Vld, venait aux conseils, mais se préoccupait de tout autre chose.”

“Cette nécessité de parti vaut pour mon parti aussi”, dit Michael Freilich. La N-VA n’avait pas d’administrateur et a nommé, depuis début avril, Koen Kennis, échevin anversois et “grand connaisseur des finances”, selon lui. Il était avant cela administrateur… chez Telenet. Pour le député nationaliste, le gâchis international, basé sur des produits dépassés, se résume en une phrase : “C’est de l’amateurisme !”

“L’État belge, mauvais actionnaire”

L’agenda nationaliste flamand passe avant toute chose par une remise en ordre de la maison Proximus, avant de verser l’entreprise dans le grand débat, plus large, sur la vente des participations publiques aux côtés de bpost.

L’agenda nationaliste flamand passe avant toute chose par une remise en ordre de la maison Proximus.

“Je souhaite beaucoup de plaisir à Stijn Bijnens, ainsi qu’au prochain président du conseil d’administration, qui sera francophone, lance Michael Freilich. Le moment d’un reset est venu. Il devra remettre de l’ordre dans les affaires et revaloriser l’entreprise, afin qu’on puisse la vendre partiellement en fin de législature.” Le nationaliste est favorable à ce que l’État belge vende la partie “marketing”, tout en gardant “les infrastructures, indispensables pour notre autonomie stratégique”. “Mais certaines d’entre elles ont déjà été cédées, dont des data centers, c’est incompréhensible”, soupire-t-il.

À la décharge de Proximus, il faut reconnaître que l’État n’a pas fait tout ce qui était en son devoir pour aider sa modernisation. Le déploiement de la fibre optique représente un poids considérable. Ces investissements “très importants” – 6 milliards en tout ! – sont assumés par Proximus sur fonds propres, rappelait Stefaan De Clerck, lors de l’audition au Parlement. “C’est une nécessité impérieuse parce que le réseau ‘cuivre’ ne suffit plus”, insistait-il. Depuis, l’entreprise a conclu et annoncé des accords avec les autres opérateurs de réseau pour partager ces infrastructures, tant avec Orange Belgium en Wallonie qu’avec Wire et Telenet en Flandre.

“L’État peut rester majoritaire, mais il faut évoluer, disait Georges-Louis Bouchez au moment de ces critiques. Il faut s’arrimer à un partenaire privé dont c’est le métier pour avoir une vraie stratégie industrielle. Proximus profite du fait que l’actionnaire soit l’État, mais l’État est le plus mauvais actionnaire du monde. Surtout en Belgique.”

Et c’est un francophone qui le dit.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content