Permis d’environnement: les aéroports belges s’embourbent dans cette crise silencieuse

Brussels Airport et Liege Airport ont récemment obtenu leur permis... Tous deux font face à des recours. © BELGAIMAGE
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Les uns après les autres, les aéroports de Liège, Bruxelles et Charleroi passent l’épreuve des renouvellements de permis. Ils affrontent des vagues de recours qui débouchent sur des risques d’annulation. Mais pas de fermeture.

Ce qui pourrait passer pour une simple formalité administrative s’apparente désormais à une crise silencieuse. Le renouvellement des permis d’environnement, indispensable à l’exploitation des aéroports, mobilise autant les autorités qui les délivrent que les opposants. Liege Airport et Brussels Airport ont récemment obtenu leur permis. Tous deux font face à des recours.

En mars dernier, l’auditeur du Conseil d’État a recommandé l’annulation du permis de Liege Airport. Sans attendre l’arrêt du Conseil d’État, l’exécutif wallon devrait sortir un autre permis dans le courant du mois de mai, un retrait réfection, pour éviter le risque d’une annulation, très probable, l’avis de l’auditeur étant souvent suivi. Ce sera la quatrième version.

Un aéroport, quatre versions de permis

De recours en recours, Liege Airport devrait obtenir la quatrième version de son permis d’environnement (validité de 20 ans).
• Avril 2022. Premier permis émis par le gouvernement wallon, fixant à 50.000 le plafond des mouvements.
• Janvier 2023. Nouveau permis modifié après un recours de Liege Airport, pour porter le plafond à 55.000 vols.
• Avril 2024. L’exécutif a repris le dernier permis, menacé d’une annulation du Conseil d’État, recommandée par son auditeur, et en a réémis une version corrigée.
• Mai 2025 ? Probable quatrième permis que l’exécutif wallon devrait émettre pour éviter le risque d’une annulation du permis émis en 2024, pour les mêmes raisons que la précédente version.

Les auditions des recours contre le permis de Brussels Airport ont eu lieu les 24 et 25 avril par le Conseil flamand du contentieux, ce qui n’exclut pas des procédures devant le Conseil d’État. Brussels Airport ne fait aucun commentaire sur ces procédures.

L’aéroport de Charleroi silencieux, et pour cause

Brussels Charleroi South Airport (BSCA) n’en est pas encore là car le dossier du renouvellement, jusqu’en 2045, est en cours d’instruction. Les fonctionnaires technique et délégué doivent remettre leurs recommandations et l’exécutif wallon devrait se prononcer d’ici juillet, fin de la validité du permis actuel. La probabilité de recours est élevée. Le sujet est tellement brûlant que la direction de l’aéroport refuse toute interview depuis plus d’un mois. Le 25 avril, le conseil d’administration a par ailleurs mis fin au contrat du CEO, Philippe Verdonck, qui reste en place jusqu’à l’arrivée d’un successeur, départ qui ne semble pas forcément lié au dossier du permis.

Une demande de permis d’environnement, ou permis unique, inclut une étude d’incidence réalisée par un acteur indépendant, des indications sur les projets à long terme. C’est un document précieux qui comporte plusieurs centaines de pages précieux pour qui veut connaître les projets d’un aéroport, qui débouche sur une enquête publique où les opposants peuvent avancer leurs arguments. Ces derniers sont plus nombreux que jamais. Aux riverains s’ajoutent des bourgmestres, des associations diverses, comme le CLAP pour l’aéroport de Liège, ou Stop aux nuisances de l’aéroport de Charleroi, voire les régions voisines. Les arguments dépassent la question du bruit pour s’intéresser à d’autres polluants (micro-particules, etc.) et au sujet de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ainsi, le permis de l’aéroport de Liège a été contesté devant le Conseil d’État, notamment par Canopea, une fédération wallonne d’associations environnementales. “Nous estimons que l’étude d’impact environnemental est insuffisante, dit Pierre Courbe, expert mobilité à Canopea. Le gouvernement n’avait pas les éléments nécessaires pour décider en connaissance de cause, et les motivations du permis sont insuffisantes.”

“Une mauvaise série Netflix”

“Nous ne sommes pas inquiets pour la pérennité de l’aéroport, même si les différents épisodes commencent à ressembler à une mauvaise série Netflix, relativise Laurent Jossart, CEO de Liege Airport. Les procédures autour du permis ne créent pas vraiment d’émotion à l’aéroport car c’est surtout un acte technique. Nous sommes davantage préoccupés par les conséquences de la hausse des droits de douane américains sur notre activité, ou sur la pression contre l’e-commerce chinois qui monte en Europe. Cela ne se reflète pas encore dans les chiffres puisque nous avons une croissance de 6 à 7% depuis le début de l’année.”

La ministre wallonne en charge des Aéroports, Cécile Neven (MR), affiche un soutien net à l’aéroport. “Il est évident que la priorité du gouvernement est qu’une décision aboutisse avant la clôture des débats devant le Conseil d’État et d’éviter ainsi tout risque pour l’aéroport d’être privé d’un permis autorisant son exploitation”, a-t-elle déclaré au Parlement wallon début avril. Les autorités politiques, tant en Flandre qu’en Wallonie, considèrent ces aéroports comme des moteurs économiques, et délivrent des permis sans difficulté. Mais elles tendent toutefois à plafonner les activités à un horizon lointain.

C’est d’autant plus vrai, en Wallonie, que le développement des aéroports est une initiative politique, que ceux de Liège et Charleroi appartiennent à la Région, via la société à capitaux public Sowaer, et qu’elle est actionnaire des sociétés de gestion, Liege Airport et BSCA. En outre, elle les subsidie pour couvrir les frais de sécurité et de sûreté.

Soutien politique (quasi) unanime

Hormis Ecolo, qui ne participe pas au nouvel exécutif wallon, les partis politiques soutiennent les aéroports wallons. La coalition MR-Engagés refuse “d’imposer aux aéroports wallons et à leurs partenaires des mesures régionales (voire nationales) générant peu de gains environnementaux tout en maintenant les nuisances sur le territoire en raison d’un report d’activités sur les aéroports voisins”, dixit la déclaration gouvernementale.

Le gouvernement flamand suit la même ligne pour Brussels Airport. Il a attribué un nouveau permis, sans limite dans le temps, avec un plafond de 240.000 vols par an jusqu’en 2032, une croissance par rapport à 2024 (198.617 vols), mais n’interdit pas les vols de nuit.

La ministre chargée du dossier, Zuhal Demir (N-VA), avait justifié la décision : “L’aéroport génère quelque 64.000 emplois directs et indirects. Nous ne mettons pas en danger le pouvoir d’achat et la création de prospérité pour la Flandre, mais nous demandons toutefois des efforts au secteur.”

Au risque d’un suivi pas trop pointilleux ? C’est ce que suggère Philippe Touwaide, médiateur fédéral pour l’aéroport de Bruxelles-National, qui note notamment que le mur anti-bruit qui devait entourer l’aéroport, annoncé par le gouvernement, n’a jamais été construit.

Ces Régions sont du reste plus sévères sur les permis accordés par les Régions voisines. La Région wallonne conteste le permis de Brussels Airport, et idem, en sens inverse, pour la Flandre et Liege Airport. “La Flandre demande que les nuisances des vols soient concentrées à Liege Airport, et accepte l’inverse à Brussels Airport, où elles sont réparties”, relève Philippe Touwaide. Il fait allusion à la question épineuse des couloirs de décollage, sujet de tension majeur, en particulier à Bruxelles, qui occupe en permanence les tribunaux.

“Impossible à obtenir du premier coup”

Pourquoi les permis semblent-ils aussi fragiles devant le Conseil d’État ? “Ils sont devenus une matière très complexe, estime Laurent Jossart. L’obtenir du premier coup est rare. Par ailleurs, la législation a fort évolué, les critères bougent entre la demande du permis pour Liege Airport, en 2021, et aujourd’hui. On nous a ainsi reproché de ne pas tenir assez compte des gaz à effet de serre hors CO2.”

Pierre Courbe, de Canopea, estime que les permis devraient inclure des aspects environnementaux plus larges que ceux abordés jusqu’ici. “On doit aller plus loin que les émissions des bâtiments, mais aussi considérer celles des avions en vol.”

Laurent Jossart. “Les permis d’environnement sont devenus une matière très complexe. L’obtenir du premier coup est rare.” © BELGAIMAGE


Pour le futur permis d’environnement de l’aéroport carolo, le collectif Stop aux nuisances de l’aéroport de Charleroi, animé par Luc Hindryckx, aligne 82 pages d’arguments détaillés, remplies de références, envoyées en réponse à l’enquête publique, et estimant insuffisantes les analyses d’impacts environnementaux.

Par exemple, Luc Hindryckx conteste le mode de mesure des nuisances sonores utilisé dans la demande de permis, qui fait une moyenne sur une période donnée (norme Lden). “C’est une approche qui convient aux bruits continus, comme une autoroute, pas pour un aéroport, il faudrait mieux prendre en compte les pics sonores”, estime-t-il. Il note que c’est exactement la critique faite par la Région wallonne à la demande de permis d’environnement de Brussels Airport…

Les régions ont hâte de tourner la page

Luc Hindryckx conteste aussi l’argumentation centrale de la demande du permis, qui estime que les nuisances sonores de la croissance des vols seraient compensées par l’usage d’avions moins bruyants. Les gains réels seraient exagérés.

Les plans de BSCA prévoient de passer de 58.220 à 82.870 vols commerciaux entre 2024 et 2045 (et de 9,6 millions de passagers à 16,2 millions au cours de la même période).
Plusieurs communes ont annoncé avoir marqué leur opposition au permis d’environnement, dont Sombreffe et Anderlues.

Les Régions ont hâte de tourner la page des permis d’environnement car les enquêtes publiques qu’ils entraînent tendent à rouvrir un débat sur les aéroports qui les met mal à l’aise. Ils pourraient aussi entraîner des cycles de recours, de reformulation des permis en cas de risque d’annulation, soit un tourniquet qui déforcera la finalité de ces permis.

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