Ringard le fameux coupe-vent banane ? Pas pour le groupe italien BasicNet, bien décidé à mettre les moyens pour transformer cet article populaire en nouvel accessoire du vestiaire “casual chic”. “Andiamo !”
Une ouverture l’an dernier à New York dans le quartier de SoHo, une autre fin septembre à Paris puis à Taipei, Milan et, dans la foulée, sans doute en Amérique du Sud : les flagships K-Way se succèdent sans répit. Pourtant, la célèbre marque d’imperméables ultra-légers de notre enfance était depuis longtemps reléguée à l’arrière-plan des magasins multimarques.
Rachetée en 2004 par le groupe italien BasicNet (155 millions d’euros de chiffre d’affaires) qui détient une dizaine de marques dans le secteur de l’habillement dont la griffe de chaussures Superga et les vêtements de sport Kappa, la marque d’origine française revient sur le devant de la scène. L’objectif ? Repositionner le label familial et sportif vers le segment mode ou ce que le directeur général du groupe, Franco Spalla, appelle l’affordable luxury.
La maîtrise du “retail” La stratégie consiste à upgrader une griffe encore imprégnée de son côté “colonie de vacances”, prisonnière de son image de cape de pluie pratique mais inélégante que l’on noue à la ceinture avec deux élastiques… En effet, avec son côté référence culte du vestiaire des années 1970, le K-Way est prompt à faire sourire — voire carrément à faire rire quand l’humoriste Dany Boon en fait le sujet d’un sketch célèbre. On peut rêver mieux en termes de promotion…
Pour transformer la pluie en or, le groupe transalpin a inauguré il y a quatre ans des partenariats avec des marques de prêt-à-porter de référence afin de s’attirer un nouveau public, exigeant et branché. Le label A.P.C. pour commencer. La marque parisienne hype et minimaliste s’est associée avec K-Way pour une gamme de parkas, coupe-vent et blousons d’inspiration militaire. Puis c’est l’Américain Marc Jacobs qui s’y est mis en 2011 avec un modèle Claude à capuche en coton chiné hydrofuge vendu 125 euros, soit trois fois plus cher que le modèle d’entrée de gamme. Comme le veut la tradition, on peut rouler le vêtement dans une petite poche kangourou et l’accrocher à la taille. Le principe de la fameuse banane a donc été conservé, comme le ruban de fermeture éclair tricolore, la “trappe” d’aération arrière et le logo bleu-blanc-rouge, inchangé depuis la naissance de la marque. Mais ce sont les seuls points communs avec les versions historiques. La composition des matériaux a été améliorée au fil des années pour remédier à la sensation désagréable de cuisson à l’étouffée, grâce à l’utilisation de polyamides nouvelle génération réduisant les effets de sudation caractéristiques du K-Way…
La dernière opération de cobranding a été orchestrée cet été avec Versace pour la commercialisation d’un coupe-vent à destination du jeune public, tapissé de motifs inspirés par l’optical art. Prix de vente : 295 euros.
Si l’exercice n’est pas complètement nouveau pour la marque — on se souvient d’une collaboration avec le designer Philippe Starck dans les années 1990 ou d’une série spéciale de voitures Citroën décorées à la manière de K-Way — les opérations de séduction semblent pour la première fois réellement coordonnées.
Une idée de l’élégance Le développement de flagship stores en dehors de l’Italie marque la volonté du groupe BasicNet de prendre en mains le destin de sa marque en maîtrisant le retail dans ses moindres détails. Pour accélérer la mutation vers le casual haut de gamme, le groupe transalpin qui réalise l’essentiel de ses bénéfices en Italie avec 20 millions d’euros de vente pour les seuls K-Way, investit au même moment les magasins éphémères et les department stores de référence comme Merci ou Colette à Paris. Tous deux ont récemment ouvert des espaces au blouson waterproof, l’un en lui consacrant une rétrospective, l’autre en vendant en exclusivité un modèle réinterprété par un graphiste new-yorkais. Une présence confidentielle mais aux larges répercussions médiatiques — réseaux sociaux en tête — favorisées par une nostalgie inhérente au produit qui renvoie immanquablement aux souvenirs d’enfance.
Tout en s’appuyant sur son coupe-vent iconique, K-Way élargit progressivement sa gamme de produits en misant sur des accessoires pour iPad, des articles de bagagerie ou en étoffant la ligne de ses doudounes qui ont les faveurs du public urbain et branché. A l’instar des vestes duvetées Moncler qui partagent avec K-Way le fait d’être nées en France et d’être tombées en désuétude avant d’être reprises et ranimées par une société italienne. Une success story qui n’est probablement pas étrangère à l’idée que l’on se fait de l’élégance de l’autre côté des Alpes, là où le sportswear est depuis longtemps compatible avec une certaine distinction vestimentaire. Donner ses lettres de noblesse à un banal morceau de tissu tout froissé semble chez nous encore saugrenu… Il suffit pourtant de voir ce que quelques fabricants de prêt-à-porter distingués en ont tiré. Paul Smith ou Louis Vuitton, par exemple, ont cédé aux sirènes du coupe-pluie en proposant des modèles en polyester sans compromettre leur image.
ANTOINE MORENO
Un symbole perdu du “Made in France”… Claude, Jacques, Léon : voilà des prénoms so french que K-Way n’hésite pas à donner à ses modèles de coupe-vent, y compris aux Etats-Unis. Cela fait longtemps pourtant que le vêtement n’est plus fabriqué au pays de Coco Chanel mais en Chine et au Vietnam. Il faut dire qu’avant de passer sous pavillon italien, le K-Way fut une histoire très française. L’idée du vêtement mythique revient à un certain Léon-Claude (tiens, tiens…) Duhamel, fils d’un fabricant de textile du Nord, monté à Paris pour parfaire sa formation en confection.
En 1964, il imagine un imper ultra-léger en nylon coupé à la taille. Le nom de ce drôle de vêtement unisexe ? “En cas” (de pluie). Etrange patronyme. L’agence de publicité Havas est dubitative. Elle conseille au jeune entrepreneur de 29 ans et à son pygmalion de paternel d’angliciser l’appellation. Ce sera K-Way. A défaut d’être chic, l’invention pratique et démocratique séduit les familles. Il s’en vendra 45 millions d’exemplaires jusqu’en 1992, année du rachat de la marque par Pirelli.
Léon-Claude Duhamel a alors 55 ans et du temps libre. Il en profite pour acquérir un domaine viticole près de Narbonne qu’il exploitera avec son fils jusqu’à l’année passée…
Entre-temps, la marque a pris l’eau, le nom K-Way est devenu générique et les filiales ont fermé les unes après les autres, plombées par la concurrence. La marque a d’abord été rachetée par la banque italienne Sopaf en 1996 avant d’être rachetée par BasicNet en 2004. BasicNet est bien décidé à redresser la barre pour le plus grand bonheur des “K-Wayphiles”. Et d’Arnaud Montebourg, le ministre français du Redressement productif, qui voudrait relocaliser une partie de la fabrication dans l’Hexagone…