Intel gèle ses investissements, nouveau coup dur pour l’Allemagne
La méga-usine de 30 milliards prévue en Allemagne est reportée. C’est le signe des difficultés d’Intel, mais aussi de l’absence d‘attractivité de l’Europe pour des investissements stratégique.
C’est une annonce qui fait mal : juste au moment où Mario Draghi sort un rapport qui enjoint l’Europe à augmenter ses investissements, notamment dans le domaine des puces et des hautes technologies, le géant américain Intel annonce qu’il reporte son projet de méga-usine en Allemagne. Le groupe américain, dont la valeur boursière a décru de plus de 50% depuis le début de l’année, préfère utiliser cet argent pour développer ses projets américains, et revoir une stratégie mise à mal par l’apparition de l’intelligence artificielle. Ainsi, ces dernières heures, Intel a-t-il annoncé un partenariat pesant plusieurs milliards de dollars avec Amazon pour fabriquer des puces intégrant l’IA et adaptées aux activités de « cloud » d’Amazon. Dans ce cadre, le contexte morose de l’économie européenne n’incite plus Intel à investir sur le vieux continent.
Chips Act
Officiellement, ce n’est pas un abandon mais un report de deux ans, mais c’est un coup dur à la fois pour la politique européenne et pour l’économie allemande. L’usine que prévoyait de construire le géant américain devait être en effet le plus gros investissement étranger en Allemagne depuis 1945. Un projet de « giga factory » à Magdebourg pour fabriquer des puces dernier cri, qui aurait nécessité d’investir 30 milliards en tout et aurait employé 3.000 personnes. Cette usine aurait dû être la plus moderne d’Europe. Pour ce faire, le gouvernement allemand avait mis les petits plats dans les grands et débloqué un peu moins de dix milliards d’euros de subventions.
Ce report est certes en premier lieu le signe des difficultés d’Intel qui a du mal à se repositionner, mais c’est aussi un coup dur pour l’Europe, et plus spécialement pour le « Chips Act », la réglementation européenne qui octroie une quarantaine de milliards d’euros d’aide aux investissements dans le secteur de la micro-électronique, domaine où l’Europe est trop dépendante de l’Asie et des Etats-Unis. Certes, le Chips Act soutient aujourd’hui divers projets, du Taïwanais TSMC, de l’Européen ST Micro, mais le projet phare était celui d’Intel à Magdebourg.
L’Allemagne qui stagne
C’est aussi un coup dur pour l’économie allemande, qui devrait au mieux afficher une croissance de 0,3% cette année, et qui a du mal à se relever face aux pénuries d’emploi, aux coûts de l’énergie et à un monde qui se déglobalise et dans lequel l’Allemagne éprouve davantage de difficultés à exporter.
Alors que l’automobile allemande licencie à tour de bras et que les chimistes délocalisent leurs activités face au prix du gaz, Sylviane Delcuve, senior economist chez BNP Paribas Fortis, expliquait voici quelques jours dans une note l’impact de la désindustrialisation sur l’économie allemande : « l’Allemagne a beau afficher un taux de chômage relativement bas, cela cache une réalité dont il faut être conscient, observe-t-elle. Les emplois qui sont en train de disparaître dans l’industrie allemande sont des emplois bien payés, qui donnaient du pouvoir d’achat à la population et permettaient de limiter les dépenses publiques tout en faisant rentrer de l’argent dans les caisses de l’État via la fiscalité qui s’applique à ces revenus. Au cours des 12 mois allant de mai 2023 à mai 2024, ce sont plus de 100.000 emplois qualifiés de ce type qui ont été perdus, alors que le secteur des soins de santé, lui, créait 50.000 emplois. Le problème est que ces nouveaux emplois, ainsi que ceux qui ont été créés dans l’enseignement ou dans l’administration publique sont nettement moins bien payés, ce qui implique une dégradation du niveau du pouvoir d’achat et moins de recettes fiscales », dit-elle.
Le gel des investissements d’Intel ajoute une nouvelle pierre dans ce jardin allemand déjà bien rocailleux.
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