Autrefois appelé services généraux, le département de facility management s’occupe de tout ce qui n’entre pas dans la raison d’être d’une entreprise : restauration, réception, maintenance technique, nettoyage, gestion de l’énergie et des déchets, conception et gestion de l’environnement de travail, etc. Un métier aux multiples facettes dont l’importance a pris de l’ampleur après le covid et les objectifs de développement durable.
Avant la pandémie, le facility manager était un homme de l’ombre. Depuis la pandémie et le retour au travail, tout le monde dans une entreprise sait qui il est. Et pour cause, il était au centre de la sécurité sanitaire dans les bureaux. Véritable couteau suisse, un facility manager gère tout ce qui n’entre pas dans le core business d’une entreprise.
“Il est responsable du bâtiment et des techniques du bâtiment, confie Vincent Giot, facility manager de la Loterie Nationale et président de belfa, l’association professionnelle nationale du secteur. C’est lui aussi qui supervise la réception, la sécurité, le nettoyage, la restauration, la gestion des déchets et de l’énergie, l’amélioration des conditions de travail, le réaménagement des bureaux, la gestion des espaces verts, des documents et de la mobilité. À la Loterie Nationale, je suis à la tête d’une équipe de 10 personnes mais nous sous-traitons, via des marchés publics, une partie de ces tâches. Facility manager, c’est un job de coordination et, surtout, de communication. Il faut faire preuve d’empathie, de compréhension mais aussi de franchise. Le facility manager est un homme de terrain qui résout les problèmes.”
“Facility manager, c’est un job de coordination et, surtout, de communication.”
Un métier méconnu
Depuis la pandémie, ce métier revêt un aspect services très important puisqu’il touche, sur bien des plans, au bien-être des salariés.
“Comme Vincent, j’ai passé une partie de ma carrière dans le secteur hôtelier, raconte Tanja Barella, la directrice de belfa (Belgian Facility Association). Dans un hôtel, il y a une réception, des événements, un restaurant, des chambres et il faut que le client s’y sente bien. C’est ce que les Anglo-Saxons appellent l’hospitality. Le facility management en est finalement très proche.”
“Pendant la crise du covid, je regrette que nous n’ayons pas été consultés sur certains points, renchérit Vincent Giot. Sans doute, sommes-nous trop peu connus. Pourtant, dans le facility management, il existe aussi des labels extrêmement sérieux que nous essayons de suivre et de décrocher. Comme BREEAM pour la performance environnementale d’un bâtiment ou WELL qui définit des lignes directrices pour intégrer la santé et le bien-être de ses occupants.”
Ce métier, peu connu, suscite logiquement peu de vocations. Il faut dire qu’à la base, il était intégré à ce que l’on appelait les services généraux. Ce n’est guère sexy. “En France, la fonction s’appelle directeur de l’environnement de travail, sourit Vincent Giot. C’est plus sympa et, surtout, plus parlant.”
Un rôle tout aussi crucial dans la responsabilité sociétale des entreprises
“Avant, dans les services généraux, on y mettait tout et n’importe quoi, renchérit Stéphane Clément, directeur FM chez Sodexo Belgique. Je l’ai encore vécu il y a peu avec La Défense qui a commencé à sous-traiter un certain nombre de services sur certains de ses sites.
L’armée confiait souvent la gestion de ses services facilitaires à des militaires qui n’étaient, pour des raisons multiples, plus capables d’appartenir à un service actif. Ils se formaient sur le tas. Aujourd’hui, tout cela change dans le bon sens car le FM intègre le bien-être au travail et de véritables services hôteliers qui sont de véritables atouts pour recruter les jeunes. Le facility manager a un rôle tout aussi crucial à jouer dans la RSE (responsabilité sociétale des entreprises, ndlr) : c’est lui qui trouve des solutions pour baisser l’empreinte carbone, notamment sur le plan des techniques.”
À l’occasion de la remise annuelle des awards qui mettent en lumière le travail remarquable de certains des membres (Baptiste Daveau du Service public régional de Bruxelles, Tessa Fermont de Bioscape Services et Frédéric Kain d’Euroclear ont été récompensés), belfa a alerté sur le manque criant de formations.
Un manque criant de formation
“L’offre d’études est beaucoup trop faible, confirme Tanja Barella. La Haute école de la Province de Liège (HELP) et la Haute école libre de Bruxelles Ilya Prigogine (HELB) disposent bien d’un master en alternance de deux ans. Hélas, Odisee a décidé de supprimer le seul bachelier néerlandophone du pays par manque d’inscrits. J’espère qu’une autre école flamande prendra le relais. Le métier de facility manager est extrêmement passionnant et polyvalent. Il permet de développer ses talents dans de nombreux domaines. Ce manque de formations est un souci majeur. C’est pour cette raison de nombreux facility managers sont issus, comme Vincent, d’une autre formation. Ce manque de recrues cause des pénuries. Il n’y a pas assez de personnes pour remplacer ceux qui partent ou vont partir en pension.”
“L’offre d’études est beaucoup trop faible. Par manque d’inscrits, Odisee a décidé de supprimer le seul bachelier néerlandophone du pays. ”
“Le FM est un chouette secteur peu connu, c’est vrai, renchérit Dirk Van den Steen, head of bid management chez ISS, le plus grand nettoyeur mondial. Pour les jeunes, c’est un monde qui offre pourtant des opportunités. Plein de tiroirs peuvent s’ouvrir au cours d’une carrière et permettre une diversification sans quitter l’entreprise. C’est assez rare dans le monde du travail. Nombreux sont ceux qui sont entrés chez nous via le nettoyage et qui, aujourd’hui, évoluent dans un autre domaine ou ont reçu rapidement des responsabilités.”
Pour compenser le manque de formations, belfa, qui compte 1.000 membres pour une communauté de 8.000 personnes, organise des événements, des séminaires et des visites d’entreprises pour permettre l’échange de bonnes pratiques. Elle organise aussi des formations d’une demi- ou d’une journée sur des sujets actuels. Elle collabore aussi aux différents post-graduats destinés aux professionnels déjà en place. Tant dans les masters que dans le post-graduat, nombreux sont les “élèves” qui sont en reconversion professionnelle.
1% du PB
Dresser un aperçu financier précis du marché du facility management en Belgique n’est pas chose aisée. Et pour cause, il est divisé en deux. D’abord le marché interne, soit le budget consacré par les entreprises à l’exécution de services facilitaires à l’aide de ressources internes. Ensuite, le marché externe qui correspond au chiffre d’affaires des prestataires de services facilitaires. On y retrouve de grands groupes qui proposent tout ou partie des services comme ISS. Mais aussi une multitude de petits prestataires locaux dont certains peuvent échapper au radar de belfa qui réalise cette analyse financière tous les deux ans. Lors du rapport paru au début de l’année 2024 (le prochain est prévu en janvier prochain), le FM pesait 5,613 milliards d’euros, soit un tout petit plus qu’un 1% du PIB.
La sous-traitance prenait 2,762 milliards d’euros à son compte. Pour son analyse bisannuelle, belfa s’est aussi basée sur un questionnaire en ligne complété par des tables rondes et des interviews qualitatives afin d’affiner les résultats. Cent cinquante personnes se sont prêtées au jeu, dont quasiment 60% de facility managers. Quand on a leur a demandé quels services facilitaires ils sous-traitaient (voir notre graphique), le nettoyage, l’entretien des espaces verts, la sécurité et la gestion, ainsi que la maintenance technique arrivaient en tête.

La restauration le premier service sous-traité
En réalité, c’est la restauration qui est le premier service sous-traité selon les facility managers.
En effet, pour répondre aux réalités du terrain, une distinction est faite entre le vending (appareils automatiques) et la restauration physique. Certaines entreprises, comme la Loterie Nationale, n’ont pas de restaurant et se contentent de distributeurs plus ou moins sophistiqués selon les cas. En effet, il existe aujourd’hui des frigos automatisés qui offrent des salades, des soupes, des plats préparés à réchauffer, des sandwiches et autres produits frais en achat direct ou suite à une précommande via une appli dédiée.
Peu de contrats intégrés
Trois autres éléments sont frappants dans les résultats. Tout d’abord, le faible pourcentage (autour des 2%) des entreprises qui ne sous-traitent aucun service. Peu disposent donc de toutes les ressources en interne. Ensuite, le tout aussi faible pourcentage (1%) de la sous-traitance de l’ensemble des services et de leur gestion (integrated facility management). Une démarche fréquente dans les pays anglo-saxons ou chez certains de nos voisins européens. Un chiffre qui ne surprend pas chez Sodexo, un des acteurs majeurs des services facilitaires en Belgique. C’est peu connu mais à côté de la restauration, l’entreprise offre une gamme complète de services : maintenance technique, gestion des déchets et des espaces verts, réception, nettoyage, etc. Elle dispose d’une agréation sécurité et est autorisée à effectuer du gardiennage. Cela représente aujourd’hui 30 % du chiffre d’affaires, soit une bonne centaine de millions d’euros.

“Le client belge pense que le marché n’est pas assez mature pour l’intégration, sourit Albert Cohen, directeur commercial chez Sodexo Belgique. Alors qu’il l’est. Par exemple, nous offrons toute la gamme de services facilitaires sur certains sites de La Défense. Mais, autre exemple, la SNCB nous confie la restauration alors que le nettoyage est effectué par un concurrent. C’est la mode du fractionnement. Il y a quelques années, quand BNP Paribas Fortis préparait son déménagement dans son nouveau site de la gare Centrale à Bruxelles, la banque avait réalisé un case study sur l’intégration du FM et les capacités des acteurs belges. Ils n’ont pas choisi le mode intégré. Et la croyance a donc perduré.”
Un facility manager externe
Troisième chiffre étonnant : 2 % des entreprises font appel au service d’un facility manager externe pour coordonner et gérer tout le FM. C’est un phénomène qui prend de l’ampleur chez XLG, le groupe wallon de maintenance industrielle dont le facility management constitue 50 % des activités B to B. Évidemment, le grand public connaît surtout l’entreprise pour son activité titres-services lancée, via la filiale XLG Home, en 2005.
“Nous avons aujourd’hui une trentaine d’employés qui remplissent ce rôle au sein d’entreprises qui ne disposent pas de facility manager dédié, explique Marie Vanclaire, project manager chez XLG. Ils sont le garant du contrat. Le nouveau collègue du client plus que son point de contact. Nous en plaçons de plus en plus. Cette démarche fait partie de notre approche spécifique et personnalisée. Nous prenons entre trois et six mois pour bien évaluer les besoins réels du client pour que tout soit fluide quand nous démarrons l’opérationnel. Sur la question du faible pourcentage des contrats intégrés, je constate quand même une tendance au regroupement progressif. Quand un client est content de nos services et de notre fiabilité, il a tendance à nous confier d’autres tâches. C’est du cross-selling très fréquent dans le secteur. C’est de l’intégration progressive.”
Des stratégies différentes
Vu la faible intégration et la multitude de petits acteurs capables de rendre les mêmes services, les grands groupes se positionnent différemment. XLG, présent chez de grands acteurs comme Ineos, Alstom, Aperam, Arcelor-Mittal, Beobank et Nespresso, mise sur la digitalisation.
“Nous jouons la carte de la transparence et du feed-back, souligne Julien Marchetto, business unit manager. Nous mettons aussi en place une maintenance prédictive digitale qui permet d’économiser du temps et de l’argent. Cette digitalisation, très poussée, c’est notre atout. C’est elle qui nous permet de gérer la propreté de tous les événements et salons organisés à Brussels Expo. À l’aide de capteurs et de QR codes, nous savons quelle poubelle doit être vidée. Cela rend ce travail répétitif plus ludique et excitant. Pareil pour les concerts à Forest National.”
ISS et Sodexo ont connu des trajectoires inverses. L’un est passé du nettoyage vers la restauration, l’autre de la restauration au nettoyage. Mais Sodexo ne répondra pas à un appel d’offres FM s’il ne contient pas de restauration. D’ailleurs, en interne, les deux services sont séparés.
“Notre organisation est basée sur la restauration et sur la présence d’un manager sur site, explique Albert Cohen. Dans le FM, tel que nous nous l’entendons, ce manager n’est pas forcément nécessaire. Cela va à l’encontre de notre organisation. On se prive clairement d’un certain nombre d’appels d’offres où nous pourrions être compétitifs mais c’est un choix stratégique. Nous faisons de la croissance via le cross-selling. Comme récemment chez Toyota Belgique où, très content de notre offre de restauration, le client nous a permis de participer au pitch pour le nettoyage. Nous n’y étions pas conviés au départ car, comme beaucoup de gens en Belgique, il ne savait pas que nous offrions de tels services. Cet appel d’offres, nous l’avons gagné…”
Délivrer la qualité demandée
ISS, fondée à Copenhague en 1901 et qui compte 8.600 employés en Belgique et au Luxembourg pour un chiffre d’affaires d’un demi-milliard, ne se refuse rien. “Vu le petit nombre de contrats intégrés qui sont un must absolu, nous répondons à tous les appels d’offres où nous pensons que nous pouvons délivrer la qualité demandée”, conclut Dirk Van den Steen. Il y a 25 ans, le CEO du groupe s’était rendu compte que le nettoyage était un cul-de-sac et que pour continuer à croître, il fallait se diversifier et apporter de la plus-value.
Au cours du temps, nous avons ajouté des services et des compétences en interne, les seules qui vous permettent de vous démarquer. Comme, par exemple, le design et l’aménagement de bureaux et de restaurants. HP, avec ses bâtiments dans 140 pays, fut la première grande entreprise à nous faire confiance pour l’ensemble des services facilitaires. Nous avons construit patiemment sur ce succès. Et, oui, nous offrons désormais aussi de la restauration. Il nous a fallu du temps pour arriver, là aussi, à délivrer du très haut niveau.”