Le cycle menstruel, un formidable allié professionnel
Le cycle menstruel peut être un formidable atout au travail. Un aspect ignoré de la cyclicité du corps féminin que Gaëlle Baldassari, auteure de l’ouvrage “kiffe ton cycle”, compte bien faire connaître dans un monde professionnel encore trop basé sur la linéarité.
Dans une autre vie professionnelle – elle a été cadre 15 ans dans le secteur bancaire avant de faire un burn-out – Gaëlle Baldassari* avait tendance à s’énerver sur ses collaboratrices qui avaient leurs règles. Aujourd’hui, celle qui se présente comme “coach et formatrice au service du leadership et des femmes” les encourage plutôt à prendre conscience que leurs fluctuations hormonales peuvent se transformer en un formidable allié professionnel. “Vu sous cet angle, les femmes disposent même d’un avantage sur les hommes grâce à leur cycle menstruel. Il est temps qu’elles l’utilisent plutôt que de le saboter sous le poids du tabou,” lance l’experte.
Après un burn-out et un parcours compliqué de procréation médicalement assistée, Gaëlle Baldassari, 41 ans, s’est lancée avec passion dans la connaissance du cycle menstruel. Maintenant qu’elle connait ses rouages sur le bout des doigts, l’auto-proclamée “hackeuse de cycle menstruel” entend enseigner aux dirigeants d’entreprises et à leurs employées la meilleure manière d’appréhender et d’exploiter le concept de “menstrualité positive”.
“Hacker son cycle”, c’est le comprendre pour le mettre au service de notre réalisation plutôt que de le subir et de gâcher ses enseignements.
A l’heure actuelle, le monde de l’entreprise ignore encore complètement ce phénomène de variation d’énergie tout au long du mois alors que 89% des femmes déclarent subir une variation de l’humeur pendant leur cycle. La plupart des femmes ne savent pas que ces phénomènes hormonaux ont des avantages dans leur vie quotidienne, outre celui de procréer. Le cycle menstruel est, en réalité, une formidable aide à la gestion de projet. “Il agit comme un véritable coach interne gratuit, disponible à tout moment et totalement dévoué à notre réussite“, nous explique, avec enthousiasme, Gaëlle Baldassari.
“Hackeuse de cycle menstruel”
“Le cycle menstruel nous fait passer par les étapes classiques d’un projet. Les menstruations sont une phase de planification, de ressourcement pour mettre un projet en route dans une bonne énergie. La période pré-ovulatoire (ou folliculaire) avec une augmentation des oestrogènes nous fait passer à l’action. L’ovulation crée ensuite l’envie d’aller vers les autres, de communiquer sur ce qu’on a mis en place. En période post-ovulatoire, on détecte ce qui ne va pas et ce qui devrait être amélioré, c’est ce que j’appelle la ‘zone d’audit’, et puis, ça recommence”, détaille la consultante.
Les 4 phases du cycle menstruel selon “Kiffe ton cycle”
Gaëlle Baldassari évoque la métaphore d’une session de surf pour illustrer le cycle menstruel. A l’arrivée des règles, la surfeuse, comme ses hormones sont posées sur la planche. Puis vient la montée d’énergie, c’est la prise d’élan. La surfeuse doit prendre suffisamment de vitesse pour être portée par la vague. Au pic des hormones, elle se sent portée et se met debout sur sa planche. Vient ensuite le tube de la vague. Ballottée entre la progestérone et l’oestradiol, la surfeuse vit des passages plus ambivalents. Enfin, tout s’apaise, les hormones chutent et elle se pose sur sa planche avant de repartir pour une nouvelle session. Chaque femme va vivre environ 500 sessions de surf dans sa vie. Important à savoir: ces sensations ne sont pas possibles sous contraception hormonale (pilule, patch et stérilet hormonal, anneau vaginal). Le mix d’oestrogènes et de progestatifs que ces procédés contraceptifs diffusent dans le corps mettent en sommeil le cycle menstruel pour empêcher l’ovulation.
De là à programmer ses tâches – la présentation d’un projet devant une centaine de personnes en pleine ovulation par exemple – en fonction de ces fluctuations d’humeurs ? “Je ne le conseillerais pas, explique Gaëlle. Chacune doit découvrir ses propres ressources dans chaque phase de son cycle. On n’est jamais incompétente de rien à aucun moment, c’est essentiel. Il y a juste des moments où il est plus facile de réaliser certaines tâches et où l’on gagne en énergie.”
Elle ajoute: “Ce serait d’ailleurs une erreur de planifier son agenda en fonction de son cycle, car le mental prendrait les commandes dans cette cyclicité imposée. Ma proposition est plutôt de s’écouter chaque jour en fonction de son état et de ses impératifs. Il n’est pas question de louper un rendez-vous professionnel car ce n’est pas le bon jour. Mais, si j’ai mes règles et que je me sens fatiguée, le courrier peut attendre. On a des ressources pour tout faire à tout moment de notre cycle, on le fera juste différemment.”
La meilleure preuve que l’on peut fonctionner à contre-phase est la présentation TedX couronnée de succès que l’ex-cadre bancaire a réalisée alors qu’elle était “posée sur sa planche” (traduction: elle avait ses règles), une phase de son cycle qu’elle n’hésite pas à mentionner d’emblée à son audience.
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Rassurer sa hiérarchie
Pour elle, il est important de bien communiquer avec son manager pas toujours à l’écoute, ou même pas du tout au fait de ces variations d’humeur qui peuvent le dépasser. En prenant connaissance des subtilités du cycle féminin, les managers – hommes comme femmes – peuvent aussi arrêter de prendre les choses pour eux quand une collaboratrice est moins souriante et plus renfermée.
“Si les managers se rendent comptent de ces fluctuations, ils arrêteront de le prendre personnellement et de penser que c’est eux le problème “, est d’avis l’ex-cadre. Etonnamment, elle a remarqué que les femmes ont souvent des réactions plus vives, moins emphatiques quand leurs collaboratrices ont des sautes d’humeur. “Moi-même, avant, en tant que manager, je n’étais pas du tout compréhensive ni à l’écoute dans ces moments-là. Mes collaboratrices m’irritaient !” , avoue-t-elle.
Les mentalités évoluent, doucement. “Les dirigeants qui viennent à mes conférences comprennent que s’il y a des fluctuations tout au long du mois, il n’y a pas pour autant des périodes utiles et inutiles. On nous dit que quand on est fatigué ou que l’on voit les choses plus négativement c’est peu productif, alors que dans une phase plus communicative, ce sera considéré comme utile. L’idée est plutôt de réhabiliter toutes les énergies brassées pendant le cycle. Car, quand on prend du recul sur un projet, avec un regard critique, on peut avoir de meilleures idées que quand on est la tête dans le guidon.”
Elle ajoute une donnée importante qui intéressera les services de ressources humaines qui luttent contre le fléau d’épuisement professionnel : “Cela peut aussi éviter le coût d’un burn-out d’autoriser à ses collaborateurs de pas être tous les jours à 100%. Une femme qui se repose, qui critique, qui se met en mode “audit” est une femme qui peut aussi apporter beaucoup dans un projet.“
Et cela semble porter ses fruits chez les personnes qui ont suivi les conseils de la consultante: “En tant qu’entrepreneure, comprendre et utiliser le potentiel de mon cycle a transformé ma manière de mener mes projets et je me suis libérée de la charge mentale du tabou“, témoigne l’une d’entre elles.
Un bouclier anti-burnout
En revanche, “il n’est pas question de devenir moins exigeant, mais plutôt de faire preuve d’une exigence plus souple dans la temporalité.” Gaëlle Baldassari ajoute : “L’idéal serait de se sentir libre de lever le pied certains jours, de faire du télétravail ou de partir plus tôt. Cela limiterait le risque de maladie et de burnout“. Du côté des managers, elle préconise de mettre en place un management bienveillant.
Jusqu’à nommer un “cycle good manager” comme il fleurit actuellement des “chief happiness officer” ou des “directeurs well being” ? On en est certainement pas là et l’experte n’est pas non plus favorable à cette idée. “ Je ne pense pas qu’il faille créer des “cycles good manager”, mais je réalise que les découvertes et les recherches sur le bien-être permettent à tout le monde de se sentir mieux “, explique-t-elle dans son livre.
L’auteure y recense le témoignage d’un patron de PME dont l’équipe était 100% féminine et qui a osé aborder le sujet des menstruations en réunion. Aucun plan d’actions n’a été pris mais depuis, certaines d’entre elles le préviennent parfois quand elles ont leurs règles. Pour autant, demander à sa collègue si elle a ses règles parce qu’on la trouve à cran est bien la dernière chose à faire. “Les femmes doivent être à la manoeuvre dans la gestion de leur cycle d’autant que le vécu du cycle est très personnel et varie d’une femme à l’autre et d’un cycle à l’autre. Les femmes doivent rester libres de vouloir aborder le sujet ou pas“, est d’avis Gaëlle Baldassari.
“La menstrualité positive” n’est pas suffisamment connue. Affirmer un besoin spécifique est encore vécu, dans la plupart des milieux professionnels, comme un aveu de faiblesse
Elle ne recommande pas non plus de crier sur tous les toits que les “Anglais ont débarqué”, pour reprendre l’une des nombreuses formules consacrées aux menstruations. Si dans des secteurs féminins, les choses se disent plus facilement, dans le secteur bancaire notamment, il est en fort mal venu de parler de ses règles. “ L’information de la ‘menstrualité positive’ n’est pas suffisamment connue. Affirmer un besoin spécifique est encore vécu, dans la plupart des milieux professionnels, comme un aveu de faiblesse “, prévient Gaëlle.
“J’enseigne plutôt des techniques de communication pour réassurer sa hiérarchie sans avoir besoin de dire qu’on est réglée. Si un jour vous êtes plus fatiguée, que vous n’avez pas la tête ou l’énergie à boucler un gros dossier mais plutôt à réaliser des petites tâches, pensez à rassurer vos collègues, votre hiérarchie ou vos partenaires quant à votre engagement sans faille. Pensez à annoncer des échéances précises qui auront aussi l’effet de rassurer “, conseille-t-elle. Une femme en baisse de régime pendant une période prémenstruelle peut être surproductive pendant une autre phase. Savoir cela, c’est prendre conscience d’un véritable atout.
Des méthodes de management discriminantes
La consultante va plus loin: certaines méthodes de management sont même discriminantes au regard des effets parfois violents que peut avoir le cycle menstruel sur certaines femmes. Elle reprend l’exemple concrêt du secteur bancaire dans lequel elle a travaillé longtemps. “Les challenges commerciaux sont arrêtés par semaine. A résultats identiques, une personne qui a eu des succès constants semaine après semaine sera jugée plus fiable que celle qui aura eu des résultats en dents de scie, même si à l’issue du challenge les collaborateurs ont obtenu les mêmes scores. Pire, même si le score de la personne qui a fonctionné en dents de scie est meilleur, celle-ci continuera d’être jugée “peu fiable” et aura moins de chance d’être promue manager“, déplore-t-elle.
Le “congé menstruel”, une mauvaise idée ?
Dans ce contexte, Gaëlle Baldassari n’est pas en faveur d’un “congé menstruel” déjà d’application en Asie, et présenté en projet de loi en Italie. Ce congé payé serait de nature à octroyer un bénéfice spécifique aux femmes pendant leurs règles. “ Si la justification est de dire que les femmes ne sont pas aptes à travailler quand elles ont leurs règles, je ne suis pas pour un tel congé. Un cycle non pathologique ne justifie pas un arrêt total de travail d’une journée. On ferait aussi basculer un problème de santé publique vers un problème de société. Je milite plutôt pour que les pathologies du cycle – comme l’endométriose, la dysménorrhée, des menstruations très douloureuses, ou un syndrome prémenstruel envahissant – soient reconnues et prises en charge en France par l’assurance maladie.”
Ce congé supplémentaire reviendrait, par ailleurs, à justifier de plus belle la différence des salaires entre femmes et hommes et la réticence de certains employeurs à engager des femmes vues comme moins productives, car plus souvent absentes. Et la “hackeuse de cycle” de rajouter : “ Ce congé créerait aussi une inégalité car les hommes ont tout aussi besoin de repos à certains moments“. Si 26 % des hommes pensent vivre une sorte de “cycle menstruel masculin”, l’état actuel de la science ne relie ce phénomène à aucune variation hormonale.
L’idée est de sortir d’une vision linéaire des choses pour basculer dans une vision cyclique. “Le cycle menstruel suit le cycle de la nature, qu’il soit soutenu de façon hormonale ou non. En somme, on vit chaque jour un ‘mille-feuille de cycles’, les cycles d’une journée, d’une semaine, d’une saison,… s’entremêlent. Certaines personnes sont plus productives le matin que le soir, le vendredi que le lundi, …comme je peux aussi très bien me sentir irritée en période d’ovulation alors que c’est censé être une période de félicité. Le contexte de vie, les projets en cours, les vacances,… jouent aussi beaucoup sur l’humeur et la motivation, on ne peut pas tout imputer au cycle menstruel.”
Un (lent) changement de société
Le sujet reste tabou et il n’y a pas encore beaucoup d’échos dans le monde de l’entreprise. Ce sont surtout des sociétés qui emploient une majorité de femmes qui se renseignent. Les start-up, dans leur quête de nouveautés, sont aussi à l’affût de ce genre d’informations pour travailler au bien-être de leurs collaborateurs. Les managers interpellés par la thématique l’implémentent facilement dès qu’ils comprennent sa logique, remarque Gaëlle Baldassari.
“Pour le moment, ce sont vraiment des initiatives individuelles de managers qui désirent se renseigner sur le cycle menstruel et en tenir compte dans la gestion quotidienne de leurs équipes. Dans quelques années, le sujet sera peut-être abordé dans les écoles de commerce et de management. C’est un vrai changement de société, c’est normal que cela prenne du temps “, conclut, confiante, la “physiocoportementaliste” qui a promis que pour les 18 ans de sa fille (elle en a 6 aujourd’hui), le concept aura été naturellement intégré dans la vie professionnelle et privée des femmes. Rendez-vous dans 12 ans!
Comment exploiter au mieux son cycle menstruel dans sa vie professionnelle
– la phase des règles* (on est posé sur sa planche) : le niveau d’hormones est bas, c’est une période calme de repos, propice à la réflexion, au bilan, à la clôture de dossiers et à la planification de nouveaux projets. On rédige sa liste de tâches. On valide des décisions importantes guidée par son intuition. On recharge ses batteries.
– la phase post-règle (la prise d’élan) : la production d’hormones provoque une remontée d’énergie, le cerveau est en ébullition. C’est une période de boulimie d’action propice aux lancements de nouveaux projets, le bon moment aussi pour abattre de l’administratif, évacuer de sa to do list toutes les petites tâches – ce que Gaëlle Baldassari nomme les “scories” – qui trainent (mails en retard, comptabilité, réservation, prises de rendez-vous,…). Attention toutefois à ne pas trop se disperser, le multitasking étant contre-productif.
– la phase d’ovulation (on est debout sur sa planche) : une phase d’assurance et d’ouverture aux autres, propice à la communication, à la rencontre avec de nouvelles personnes, de nouveaux clients. On est à l’aise lors d’une présentation orale, on ose relever des challenges, nouer de nouveaux partenariats, et régler des conflits dans l’écoute et l’empathie.
– la phase prémenstruelle (on est dans le tube de la vague) : période ambivalente, plus sombre de chute des hormones avec des moments de repli sur soi, de découragement, d’immobilisme. C’est aussi une période plus constructive d'”audit” de ses projets, avec un regard critique qui permet de les analyser et si besoin, de les améliorer.
* Volontairement Gaëlle ne donne pas d’estimation précise de la durée de chaque période du cycle car cela varie énormément d’une femme à l’autre
*La Française Gaëlle Baldassari a créé Kiffe ton cycle un programme en ligne et un livre (éd. Larousse 2019). Elle est la fondatrice de l’Institut de Formation du Cycle Menstruel et du Sommet du Cycle Menstruel. Du 7 au 13 mars aura lieu le Sommet de la Contraception.
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