Le “crowdfunding” est-il fait pour votre entreprise ?
Le “crowdfunding” séduit une foule d’entreprises, venues de tous les secteurs et de tous les âges. Que viennent-elles y chercher ? Ce n’est pas toujours de l’argent.
La Belgique est à la traîne: en 2013, nos voisins ont levé 10 fois plus d’argent via le crowdfunding que nous… Mais on se rattrape: si 1,2 million d’euros ont été levés en 2013, c’est environ 2 millions qui ont été rassemblés en 2014. “Evidemment, on est contents d’avoir eu un peu de cette manne”, avoue Patrick Van Wayenberge, qui a levé 315.000 euros pour le lancement du journal néerlandophone en ligne Newsmonkey. “Mais l’argent, on aurait pu aller le chercher ailleurs. Ce qu’on est venu trouver dans le crowdfunding, ce sont ces gens qui avaient eux aussi envie de nouvelles fraîches, jeunes, au point de payer pour qu’elles voient le jour.” Bart Mertens, lui, se lance dans les insectes. Combien d’audacieux gourmets sont prêts à miser sur son projet ? La réponse à cette question, il la cherche avec Bolero Crowdfunding, de KBC: “l’argent est un à-côté, plaisant certes, mais un à-côté. Ce qui compte ici pour nous, ce sont les gens”.
Guillaume Desclée, cofondateur de MyMicroInvest, résume: “vous mesurez jusqu’à quel point le marché a besoin de votre idée et est prêt à mettre la main au portefeuille pour elle”. Une fois que les gens ont mis de l’argent dans un projet, ils veulent voir ce projet fructifier. Domobios est passé par le crowdfunding pour lancer sa méthode d’éradication des acariens, Acar’up. Cette société voit en ses investisseurs des conseillers et des ambassadeurs: ce sont eux qui ont aidé la start-up à trancher entre trois modèles de publicité au format papier. Ce sont eux qui, dans leur pharmacie de quartier, ont demandé Acar’up et amené ainsi les pharmaciens à se renseigner sur ce nouveau-venu. La foule amène son réseau, son avis, son expertise. Elle s’investit parce qu’elle se sent concernée directement par l’entreprise. Donc, souvent, les entrepreneurs tentés par le crowdfunding vendent à des particuliers plutôt qu’à d’autres entreprises.
Savoir parler aux foules
En janvier 2014, Newsmonkey s’était fixé comme objectif de lever 100.000 euros sur MyMicroInvest. Et c’est au final 315.000 euros que la foule a mis dans la start-up. “Ce sont des pros de la communication”, se souvient Guillaume Desclée. Patrick Van Wayenberge explique sa stratégie: “Tout se joue dans les premiers temps de la campagne : nous nous sommes préparés longtemps en amont. Puis, quand le moment d’investir est venu, nous avons communiqué vers la foule par e-mail, sur les réseaux sociaux, avec des images et du texte accrocheurs. Nous voulions que les gens découvrent notre projet et puissent y investir dans le même mouvement.” Ces pros de la communication avaient aussi un réseau à la hauteur de leurs ambitions : les trois fondateurs sont des pointures du paysage journalistique néerlandophone. Et justement, tout l’art consiste à savoir parler… à la bonne foule ! Certes, les plateformes de crowdfunding se font l’écho des projets qui transitent par chez elles. Ainsi, certains employés de KBC ont pu déguster les burgers d’insectes de BenSBugS lors d’un événement organisé pour le personnel. Tout cela procure une visibilité certaine, tout à fait bienvenue, mais… générale. C’est aux entreprises ensuite de mobiliser, chacune, le réseau qui sera en accord avec leur projet. Pour Domobios, c’est tout trouvé : les allergiques aux acariens. Mais la partie n’est pas gagnée pour autant: “Une fois qu’on sait à qui on s’adresse, il faut leur offrir un business plan crédible et proposer aux investisseurs une valorisation qui leur permette de s’y retrouver”, raconte Pierre Buffet, managing director de Domobios. La FSMA exige aussi qu’un prospectus soit publié, à moins que la contribution de chaque investisseur ne soit inférieure à 1.000 euros et l’offre à 300.000 euros. Aux dires de ceux qui sont passés par là, la préparation de l’ensemble de ces dossiers demande du temps et l’appui de spécialistes, qu’une plateforme comme My MicroInvest tient prêts dans ses bureaux. Bref, pour quelques semaines de levée de fonds sous les feux de la rampe, il y a des mois d’un travail pointu de formalisation, de structuration, de préparation de la communication. “Avant de vous lancer, s’accordent les vétérans de ces campagnes, demandez-vous bien si vous en avez les ressources en temps et en compétences.”
Trouver plateforme à son pied
La start-up bruxelloise PermaFungi réutilise du marc de café pour faire pousser des pleurotes ou pour faire de l’engrais. Locale, environnementale, sociale, l’entreprise avait tout pour plaire à OksigenCrowd. Aux côtés de quatre autres projets, PermaFungi inaugure cette toute nouvelle plateforme de crowdfunding réservée aux projets entrepreneuriaux avec impact sociétal : “Nous nous sommes tout de suite trouvés sur la même longueur d’onde. Et cette campagne de crowdfunding vient à point nommé pour soutenir notre nouveau produit destiné aux particuliers !” PermaFungi va droit au coeur de cette clientèle en se plaçant sur une plateforme fréquentée par des convaincus de l’entreprenariat sociétal. Cerise sur le gâteau, PermaFungi bénéficie de la visibilité accordée généralement à une plateforme qui se lance. Si la plateforme de crowdfunding est le porte-voix des entrepreneurs vers la foule, lors de la levée de fonds, elle est aussi une ouverture à des services et un réseau.
Loïc van Cutsem, responsable d’OksigenCrowd reconnaît que “cette plateforme de crowdfunding est aussi une belle vitrine pour l’ensemble des services d’accompagnement de l’entrepreneuriat sociétal de notre écosystème”. Même son de cloche du côté de MyMicroInvest : “Nous présentons nos start-up à un réseau de 450 investisseurs et business angels, explique Guillaume Desclée. Eux aussi sont contents qu’on leur présente des projets qui ont recueilli l’enthousiasme d’une foule de consommateurs potentiels !” KBC, avec Bolero Crowdfunding, cherche à élargir son offre vis-à-vis de ses clients, investisseurs de petite taille. Logiquement, cette expertise et cette ouverture ont un prix : dans le cas de Bolero Crowdfunding par exemple, l’entrepreneur qui mène à bien sa levée de fonds versera à la plateforme 6 % des fonds levés. Chez MyMicroInvest, l’entrepreneur s’acquittera de 4 % de son prêt, auxquels s’ajoute 1 % par an tout au long du remboursement du prêt. S’il lève du capital, il paiera entre quelques centaines d’euros à 20.000 euros selon le travail demandé aux équipes de MyMicroInvest.
Domobios s’est lancée en s’appuyant sur le crowdfunding en 2013. Deux ans plus tard, la société voulait à nouveau lever des fonds, sans pour autant diluer la participation des investisseurs de la première heure. En 2015, Domobios a donc proposé à la foule de lui faire un prêt, plutôt que de prendre part à son capital, toujours via MyMicroInvest. Bolero Crowdfunding a aussi prévu ce moment où les entrepreneurs verraient plus grand et s’adresseraient à un investisseur à capital-risque ou à un business angel qui, à lui seul, mettrait la même somme que plusieurs investisseurs rassemblés.
Pourquoi investir ?
On comprend l’intérêt que les entrepreneurs trouvent à ce mécanisme. Mais les investisseurs, qu’y trouvent-ils ? Certains y voient l’occasion de diversifier leurs investissements. La récompense peut être financière ou laissée au goût des entrepreneurs. C’est le cas chez OksigenCrowd : là, le “Salon des Femmes” offre à ses supporters une coupe de cheveux. Par ailleurs, les investisseurs contribuent à un produit qu’ils veulent trouver sur le marché et soutiennent un entrepreneur en chair et en os, tout près de chez eux. Les propositions du gouvernement allant dans ce sens sont les bienvenues, pour qui veut que le crowdfunding belge rattrape ses voisins…
Sibylle Greindl
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici