Le business juteux de la viande sans viande: qui imitera au mieux nos bons vieux produits carnés?
Afin de séduire ceux que l’on appelle les “flexitariens”, start-up et géants de l’agroalimentaire mettent au point des burgers, saucisses et autres nuggets à base de protéines végétales, ressemblant comme deux gouttes d’eau à leurs jumeaux carnés. Le segment devrait représenter 10% du marché mondial de la viande d’ici 10 ans. De quoi faire saliver les investisseurs…
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Beyond Burger, Impossible Burger, Incredible Burger, etc. Vous avez peut-être déjà croqué dans l’un de ces burgers au nom improbable. Ils ont le goût de la viande, l’aspect de la viande, mais sont tout… sauf de la viande. Le marché de ces nouveaux substituts végétaux, qui vont un cran plus loin que le traditionnel burger au tofu, est en train de véritablement exploser. D’après les analystes de Barclay, la ” viande sans viande ” devrait représenter, d’ici 10 ans, 10% du marché mondial, estimé à 1,4 trillion de dollars. Voilà qui ouvre évidemment l’appétit de nombreuses entreprises bien décidées à séduire ceux que l’on appelle les flexitariens. Vous savez, ces personnes qui souhaitent simplement réduire leur consommation de viande sans s’en passer entièrement. Un marché potentiellement bien plus juteux que celui des végétariens purs et durs. ” On compte en Belgique 1% de véganes, 6% de végétariens et 9% de flexitariens qui substituent leur consommation de viande trois fois par semaine, explique Quentin Clermont, business manager de la division “food” chez Nestlé. Quatre personnes sur 10 se déclarent par ailleurs ouvertes à entrer dans cette dernière catégorie. ”
Le numéro un mondial de l’agroalimentaire lançait chez nous en début d’année son Incredible Burger. Un burger cru (ses autres burgers végétariens sont précuits) qui se cuit comme un vrai hamburger et qui est disponible dans la plupart des grandes surfaces. Composé de soja, de blé, d’un mélange de pommes de terre, de betteraves, de carottes et d’huile de coco afin d’imiter le côté marbré du gras de la viande, il a été lancé sous le label Garden Gourmet, la gamme végétarienne du groupe qui s’accapare aujourd’hui une part de marché de 23% en Belgique. Histoire de ne pas s’arrêter en si bon chemin, Nestlé lancera chez nous dans les semaines qui viennent son Incredible haché, un haché cru végétal ressemblant comme deux gouttes d’eau à son équivalent carné. ” Le marché des substituts végétaux à la viande représente à ce jour 40 millions d’euros en Belgique dans le retail, relève Quentin Clermont. D’après nos prévisions, il pourrait être multiplié par trois ou quatre d’ici six ans. Notre gamme Garden Gourmet a connu depuis le début de l’année une croissance de 16%. ”
Le marché des substituts végétaux à la viande représente à ce jour 40 millions d’euros en Belgique. Il pourrait être multiplié par trois ou quatre d’ici six ans.
Autre colosse de l’agroalimentaire à se lancer dans l’aventure de la viande sans viande : Kellogg. La multinationale américaine lancera l’année prochaine dans les supermarchés américains une ligne de produits végétariens baptisée ” Incogmeato “. Cette dernière comprendra des hamburgers véganes, des nuggets et aussi des filets de poulets. ” Ça grille comme de la viande, ça saigne comme de la viande, et ça a le même goût que la viande “, résumait récemment le patron du groupe, Steve Cahillane. Ce nouveau business pourrait peser jusqu’à 3 milliards de dollars dans l’activité de Kellogg. De quoi, espère le groupe, récupérer les parts de marché perdues en six ans du fait de l’arrivée de nombreux acteurs dans le secteur des options végétariennes.
Quand les géants de la viande s’y mettent
Outre ces dinosaures de l’agroalimentaire, les géants de la viande aussi se diversifient. Au Canada, Maple Leaf vient de lancer son propre plant-based burger, et le numéro un de la viande aux Etats-Unis, Tyson Foods, a dévoilé sa ligne de protéines végétales, comprenant elle aussi des nuggets et autres burgers de plantes. ” Nous restons fermement attachés à notre activité traditionnelle sur la viande, qui continue de croître, et comptons devenir leader en matière de protéines alternatives, un marché qui connaît une croissance à deux chiffres et pourrait devenir, un jour, un business à un milliard de dollars pour nous “, affirme le PDG du groupe, Noel White.
Convaincues du potentiel de ce business, des start-up se lancent dans un segment encore vierge de toute concurrence : la vente des matières premières. C’est le cas de la jeune pousse américaine Motif Ingredients, qui entend identifier tous les nutriments contenus dans les aliments dérivés d’animaux (protéines, vitamines, glucides, etc.). L’entreprise crée ensuite des substituts à ces derniers à l’aide de levures artificielles et de bactéries. Elle parie sur une approche génétique des aliments pour imiter au mieux leur goût, leur texture et leurs qualités nutritives. Son catalogue sera composé de centaines d’ingrédients destinés à produire des glaces et yaourts, notamment, ce qui permettra aux entreprises qui se lancent dans l’aventure d’externaliser la partie technologique de ce nouveau business.
Deux jeunes pousses dans la course
Les start-up américaines Beyond Meat et Impossible Foods font, en ce qui les concerne, tout elle-mêmes. La première, qui enregistrait en 2018 un chiffre d’affaires de 88 millions de dollars tout en affichant une perte d’environ 30 millions de dollars, faisait son entrée en Bourse en mai dernier, levant 241 millions de dollars. La jeune pousse spécialisée dans les fausses viandes est aujourd’hui valorisée 9,2 milliards de dollars, alors qu’elle ne pesait encore que 550 millions en 2017. Au capital de la start-up, on retrouve notamment Bill Gates, Leonardo Di Caprio ou encore l’ancien patron de McDonald’s, Don Thompson. Beyond Meat a renforcé son implantation sur le marché européen en ouvrant sa première usine aux Pays-Bas. Son produit phare, le Beyond Burger, est disponible chez nous dans la plupart des supermarchés ainsi que dans certaines chaînes de burgers.
Face à Beyond Meat, une autre start- up du secteur tente d’imposer, elle, son Impossible Burger. La californienne Impossible Foods, dans laquelle a également investit Bill Gates, levait en début d’année 300 millions de dollars, attirant à son capital des stars de la musique comme Jay-Z, Will.i.am et Katy Perry. ” Initialement, les stratégies de distribution de ces deux entreprises étaient bien distinctes, explique Mathieu Vincent, cofondateur de DigitalFoodLab, une agence française spécialisée dans la foodtech. Beyond Meat avait davantage une stratégie retail, alors qu’Impossible Foods vendait son burger dans la restauration et les chaînes de fast-food. ” Cette dernière a notamment noué un partenariat avec Burger King pour tester à l’échelle des Etats-Unis un burger sans viande baptisé Impossible Whopper.
Mais aujourd’hui, les deux entreprises cherchent à multiplier leurs canaux de distribution. Impossible Foods commercialise depuis peu un haché végétal en grande distribution, et Beyond Meat multiplie les partenariats avec les chaînes de fast-food. ” On assiste à une sorte de course au partenariat entre les deux boîtes, relève Mathieu Vincent. Toutes les chaînes de restauration rapide mènent ou ont mené des tests avec l’une ou l’autre. ” Au Canada, McDonald’s teste la vente des steaks à base de protéines végétales de Beyond Meat dans une trentaine de ses restaurants. ” Ces start-up sont parvenues à privatiser quelque chose qui relevait de l’alimentation commune, relève notre interlocuteur. C’est assez puissant. Aujourd’hui, on ne dit plus que l’on va manger un burger, mais bien un Beyond Burger ou un Impossible Burger. Les autres joueurs parviendront-ils à atteindre cette même valeur de marque ? Il est difficile de prédire comment ce marché évoluera car il s’agit d’un marché ponctuel, mais ce qui est certain, c’est qu’il y a un mouvement de fond de dé-consommation des produits animaux qui ne peut que s’amplifier. A un moment donné, nous allons assister à une confrontation marketing entre les géants de l’agroalimentaire et ces jeunes start-up spécialisées. ”
Le secteur de la viande se rebiffe
Reste que ces produits posent tout de même plusieurs questions. ” Il s’agit d’aliments ultra-transformés, affirme Mathieu Vincent. L’Impossible Burger n’est pour sa part pas encore commercialisé en Europe car il contient des OGM. ” Du côté de la Fédération belge de la viande, on émet plusieurs bémols. ” Ces burgers doivent contenir énormément d’ingrédients (arômes, etc.) pour atteindre quelque chose qui ressemble à notre produit qui, lui, est naturel, affirme Michael Gore, administrateur délégué. L’apport nutritionnel de ces produits n’est en outre pas le même que celui de la viande. Les substituts doivent notamment contenir des proportions de graisse plus importantes que celles contenues dans la viande car c’est la graisse qui va transporter les arômes. ”
Le responsable soulève par ailleurs la question de la dénomination de ces articles. ” Le fait de donner une dénomination de viande à ces produits permet de les positionner dans le même rayon, ce qui crée une confusion dans l’esprit des consommateurs. Quand on parle de haché, de saucisses, de nuggets, etc., on parle de viande. Notre secteur est soumis à des exigences rigoureuses en termes, notamment, de composition (teneur en graisse, etc.). Ces exigences n’existent pas pour ces substituts qui portent pourtant des noms de viandes. Il y a donc une concurrence déloyale. ”
Les rois de la viande sans viande n’hésitent pas à mettre en avant des arguments écologiques pour marketer leurs produits. La production du Beyond Burger générerait ainsi 90% d’émissions de gaz à effet de serre en moins que celle d’un steak de boeuf traditionnel, martèlent les responsables de la start-up. ” C’est un discours assez provocateur, estime Michael Gore. Le Beyond Burger que vous consommez chez nous a dû traverser l’océan, et puis la question est aussi de savoir où l’entreprise va s’approvisionner pour tous ses ingrédients. ”
L’un des défis de ces nouvelles stars de la viande sans viande sera effectivement de se départir de cette image ” globalisée “. ” A l’heure où l’on ne jure plus que par le local, elles devront produire en Europe et s’approvisionner localement “, estime Mathieu Vincent. L’entreprise gantoise Greenway Foods l’a bien compris. Celle, qui s’approvisionne localement et commercialise des substituts végétaux ” pour les amoureux de la viande ” sous la marque Greenway, a lancé chez Delhaize du haché, des chipolatas et des burgers végétaux ” made in Belgium “.
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