L’avenir incertain de Proximus…


Le départ surprise de Guillaume Boutin, CEO de Proximus depuis 2019, vers le géant international Vodafone ouvre une période de flottement pour l’entreprise à majorité publique. Que veut vraiment le nouveau gouvernement ?
Ce changement imprévu de management n’est pas anodin. Il pose la question de la stratégie de Proximus que l’actionnaire majoritaire, l’État fédéral, souhaitera imprimer, maintenir ou modifier, avec l’arrivée de l’Arizona.
L’accord de gouvernement ne prévoit pas explicitement de changement, mais les circonstances du départ de Guillaume Boutin interpellent. Ce dernier part diriger, à partir de mai, la division Investment Strategy du groupe Vodafone, opérateur de réseaux téléphoniques international basé en Grande-Bretagne.
Claque-t-il la porte après avoir essuyé, fin 2024, des critiques sur sa gestion et la baisse du cours de Bourse de la part de deux parlementaires, Georges-Louis Bouchez (MR) et surtout Michael Freilich, député fédéral N-VA, nouveau parti de la majorité ?
“Mon départ n’est en aucun cas lié au changement de majorité, mais bien à une opportunité qui s’est présentée à moi. C’est un moment charnière dans ma carrière, a expliqué Guillaume Boutin, au moment de l’annonce de son départ, le 7 février. Il y a parfois des appels que vous ne pouvez pas ignorer.”
Des postes d’administrateurs à pourvoir
“Nous supposons que ces critiques ont influencé le départ de Boutin vers le groupe Vodafone”, écrit l’analyste financier de KBC Securities, Michiel Declercq, dans une note sur ce brusque départ. Toute la question qui va dominer les prochains mois et la recherche d’un nouveau CEO est la stratégie de Proximus. L’actionnaire public pourrait influer à travers des nominations d’administrateurs. Un total de trois mandats seront à pourvoir en avril, et trois autres l’an prochain.
La ministre de tutelle de l’entreprise publique est une élue Engagée, Vanessa Matz, et le ministre qui a la tutelle sur la SFPIM, le fonds souverain belge qui possède les 53,51% d’actions de l’État dans Proximus, est une éminence de la N-VA, Jan Jambon. Le conseil comprend sept administrateurs nommés par l’État, sept indépendants, et le CEO.
Or, la N-VA espère profiter des départs au conseil d’administration pour y faire entrer un représentant parmi les mandataires nommés par le gouvernement, et aimerait même y occuper la présidence, exercée depuis 2013 par Stefaan De Clerck, ancien ministre cd&v, qui achève son dernier mandat en avril.
Quelles sont les critiques ? Michael Freilich s’est interrogé sur la gestion de Guillaume Boutin, la baisse du cours de Bourse et des dividendes depuis son arrivée au poste de CEO en 2019. “Dans ce contexte, pourquoi le gouvernement continue-t-il de faire confiance à la direction actuelle du CEO Guillaume Boutin, dont le mandat a récemment été prolongé de six ans ?”, demandait l’élu N-VA. Malgré une séance d’explication au Parlement en novembre, sollicitée par Guillaume Boutin, le député ne semblait pas convaincu.
Un marché moins prospère
Les accusations de Michael Freilich et Georges-Louis Bouchez ne paraissent pas, à première vue, sans fondement. Le titre Proximus a reculé d’environ 26 euros à l’époque de la nomination du futur ex-CEO à un peu plus de 5 euros actuellement. Le dividende est passé de 1,5 euro en 2019 à 0,6 euro depuis 2024, et il en ira de même pour 2025.
Mais ce recul est assez général dans le secteur des télécommunications. Il n’est plus l’eldorado d’il y a 25 ans, lorsque la téléphonie mobile et internet dopaient la croissance, gonflaient les dividendes, et que la concurrence était moins forte. Ces marchés sont devenus matures et plus concurrentiels. Les cours de plusieurs opérateurs, comme Orange Belgique, ont reculé. Les actions de Vodafone, où file le CEO de Proximus, ont glissé de 150 à 67 livres entre 2019 et aujourd’hui, un repli moindre, mais un fort recul tout de même.
Le marché boursier est tellement médiocre pour les télécoms que Telenet est sorti de la Bourse. Toutefois, “dans les récentes années, le prix de l’action Proximus a sous-performé par rapport au secteur et à la moyenne du marché”, note Michiel Declercq.
Parmi les raisons du déclin de l’étoile de Proximus pointé par les analystes financiers, il y a l’énorme investissement, tardif, pour convertir le réseau fixe à la fibre optique. “Cela représente un milliard d’euros par an”, indique Haroun Fenaux, porte-parole de Proximus. Le plan porte sur 10 milliards d’euros sur 10 ans, d’où le recul du dividende, en principe temporaire, car les marges devraient remonter après ce gros effort.
Les opérateurs télécoms “coincés”
“Les opérateurs de télécommunications sont coincés, explique Benoît Gailly, professeur en stratégie d’entreprise et en management de l’innovation à l’UCLouvain. Ils doivent investir dans des infrastructures pour rester concurrentiels, mais n’arrivent pas à monétiser la valeur qu’ils créent. Ce sont plutôt les Gafan qui en bénéficient. Avec la fibre, Netflix pourrait mieux vendre ses abonnements pour des films à très haute définition, par exemple.”

“Les opérateurs doivent investir dans des infrastructures pour rester concurrentiels, mais n’arrivent pas à monétiser la valeur qu’ils créent.” – Benoît Gailly (UCLouvain)
Une autre raison est la décision du gouvernement d’attribuer une quatrième licence mobile à l’opérateur Digi, qui est à présent opérationnel. L’État actionnaire, qui a longtemps protégé Belgacom puis Proximus, est devenu sensible aux récriminations des citoyens, qui comparent les tarifs quand ils voyagent et constatent qu’ils ne sont pas toujours à l’avantage du marché belge.
Benoît Gailly observe : “Il y a une tension entre les rôles de l’État actionnaire, qui espère le succès de l’entreprise dans un univers concurrentiel pour générer des dividendes, et de l’État pouvoir public, qui veut diminuer le coût des télécoms pour les citoyens et les entreprises.”
Guillaume Boutin n’est pas resté inactif. Afin de réduire l’impact de l’arrivée de Digi, il a signé un contrat avec le nouveau concurrent pour fournir l’accès au réseau Proximus dans les nombreuses zones où Digi n’a pas encore d’antennes.

Chercher des bénéfices à l’international
Le dirigeant a aussi, et surtout, poussé une stratégie internationale, soutenue par le conseil d’administration de Proximus, représentants de l’État compris, pour développer un moteur de rentabilité plus prometteur que des réseaux télécoms en Belgique sur un marché mondial moins régulé. Ces entreprises fournissent des services digitaux, notamment dans la vérification d’identité dans les transaction numériques avec Telesign (USA), et des services de messagerie multicanal (confirmation de rendez-vous médical, info sur la livraison d’un colis, etc., par SMS, WhatsApp et autres) avec l’acquisition récente de l’indien Route Mobile pour former Proximus Global.
“Nous espérons qu’en 2027, la moitié du chiffre d’affaires du groupe Proximus proviendra de nos activités internationales”, nous avait dit Guillaume Boutin en janvier 2024. Cette stratégie a attiré un actionnaire de choix, Xavier Niel (groupe Iliad), champion français des télécoms, qui a acquis 6% des parts en 2023, devenant le deuxième actionnaire de Proximus.
Hélas pour Proximus et ses actionnaires, la valeur de ces activités ne se reflète pas dans le cours de Bourse et elles n’ont pas encore d’impact sur les dividendes. Car les bénéfices de ces activités, ainsi que le retour financier des investissements dans la fibre, ne devraient se manifester substantiellement que d’ici deux ans, si tout se passe comme annoncé. C’est un peu la traversée du désert.
Que peut faire le gouvernement ? L’accord de la coalition Arizona n’évoque pas la stratégie de Proximus. Il est tout au plus question d’une étude comparative à mener pour voir si les tarifs belges ne sont pas trop chers, et s’il n’y a pas lieu de prendre des mesures afin de les baisser.
Le gouvernement pourrait aussi revendre tout ou une partie de ses parts pour réduire le déficit public. “Cependant, nous pensons que la faible valorisation actuelle fait de Proximus un des derniers actifs qui sera vendu”, écrit Michiel Declercq (KBC Securities). Mieux vaut attendre que le cours remonte et miser sur une hausse des dividendes.

En tout cas, le gouvernement devra se montrer à la fois clair et prudent.
“La faible valorisation actuelle fait de Proximus un des derniers actifs qui sera vendu.” – Michiel Declercq (KBC Securities)
“Le pire actionnaire, c’est l’État”
Une part de la faiblesse du cours de Bourse provient des intentions peu lisibles de l’État. “Les participations de ces entreprises publiques ne sont pas gérées par l’État avec un vision stratégique, regrette un ancien acteur interne de la maison. Les administrateurs représentant l’État sont assez libres, font un travail peu éloigné de celui des administrateurs indépendants. Ils ne sont pas vraiment coordonnés par une vision conçue par les autorités fédérales.” Surtout qu’ils sont chacun nommé par un parti différent.
Georges-Louis Bouchez avait déclaré, en novembre dernier, à nos confrères de La Libre, que “l’État est le pire actionnaire du monde”, demandant au passage de tout changer chez Proximus : administrateurs, management, actionnariat.
Un ancien patron de Proximus, Didier Bellens, avait déjà dit en 2013 : “Le pire actionnaire, c’est l’État. C’est même pire que ce que j’aurais cru. Au gouvernement, ils sont en conflit d’intérêts permanent.” Après cette déclaration publique, il avait été débarqué.
Chez Vodafone pour quoi faire ?
Guillaume Boutin prendra, courant mai, le poste de CEO Investments & Strategy du groupe britannique Vodafone, actif surtout en Europe et en Afrique (36,7 milliards d’euros de revenus en 2024). La fonction a été créée en 2024 pour réunir les activités de participations minoritaires du groupe, les partenariats que Vodafone a signés avec différents opérateurs dans le monde (dont Proximus, naguère). Il devrait suivre notamment une joint-venture néerlandaise, VodafoneZiggo, des participations dans le réseau mobile indien Vi (212 millions d’abonnés), dans Vantage Towers (réseaux d’antennes relais) ou AST SpaceMobile, rival de Starlink, un réseau 5G via des satellites en développement.
“Il a un fort mix d’expériences stratégique, opérationnelle et de leadership, combiné avec une connaissance profonde du secteur”, a indiqué Margherita Della Valle, CEO du groupe Vodafone. Cette dernière organise une restructuration du groupe, en revendant Vodafone Italie et Vodafone Espagne, peu rentables, en fusionnant deux opérateurs mobiles britanniques (Vodafone et 3), et en réduisant les effectifs de plus de 10.000 personnes (12% des effectifs).
Guillaume Boutin fera partie du comité exécutif de Vodafone.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici
Proximus
-
Siège social:
Schaarbeek
-
Secteur:
Telecommunicatie, telefonie
-
Toegevoegde waarde:
2346392087