L’avenir de Melexis passe par la Chine et les robots

Marc Biron, CEO de Melexis. "À long terme, nos fondamentaux sont positifs, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Restons calmes dans la tempête." © Melexis
Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La société cotée en Bourse, active dans le domaine des semi-conducteurs, espère voir le bout d’un tunnel. L’incertitude mondiale et la crise du secteur de l’automobile sont préjudiciables. Mais les fondamentaux restent bons, nous dit son CEO, Marc Biron. Et la diversification est bel et bien amorcée.

Le contexte économique international décoiffe et Melexis, société belge cotée active dans les semi-conducteurs, tente de s’adapter comme elle peut. “Nous gérons le présent et nous préparons l’avenir, sourit son CEO, Marc Biron. Nous restons concentrés sur ce que nous pouvons contrôler : développer de nouveaux produits, faire de l’innovation, être en contact rapproché avec nos clients…”

L’entreprise évolue dans son domaine de prédilection, l’automobile, tout en se préparant à la nouvelle révolution robotique. Elle déplace son centre de gravité vers la Chine, sans renier l’Europe. L’heure est aux fondamentaux et aux grands écarts.

“L’incertitude pose problème”

Les résultats du premier trimestre étaient “ce que l’on avait annoncé”, nous dit le CEO. Sans plus. “La question que tout le monde se pose, c’est de savoir quand le business va reprendre et il est difficile d’y répondre, précise Marc Biron. Mais les fondamentaux sont bons. Il y a de plus en plus d’électronique dans les voitures et autour de nous : c’est positif pour notre activité. Nous sommes le quatrième approvisionneur de capteurs dans le secteur automobile, c’est-à-dire que nous sommes un acteur important. Il faut attendre que les planètes se réalignent pour que l’on en profite. C’est l’incertitude qui pose problème.”

Pour les constructeurs automobiles, le yoyo de Donald Trump autour des droits de douane est une épée de Damoclès qui pèse sur leur destinée. Plusieurs groupes refusent de donner des prévisions pour le futur proche. “À l’heure où nous parlons, nous recevons toujours des commandes pour des pièces à livrer au deuxième quadrimestre, souligne le CEO. Historiquement, les délais sont de 24 semaines, ce fut même le double durant la crise du covid. C’est très inhabituel. Les entreprises attendent la dernière minute avant de commander.”

Pas de prévisions à long terme

Résultat : Melexis n’a pas non plus délivré de prévisions à long terme, lors de la présentation de ses résultats, fin mars. “Même si je suis confiant, je pense que nous avons atteint le fond, dit Marc Biron. Comment cela va-t-il redémarrer ? Vous avez entendu Porsche, Daimler, Volvo et Stellantis réduire leurs attentes. Les tarifs douaniers jouent, mais aussi, structurellement, le fait que le centre de gravité du business se déplace de l’Europe vers l’Asie, principalement la Chine.”

Au-delà des tourments géopolitiques ou des critiques à l’encontre des présidents chinois, Xi Jinping, et américain, Donald Trump, Melexis construit son avenir. “Bien sûr, les droits de douane risquent de faire monter l’inflation et d’affecter le pouvoir d’achat des gens, reconnaît Marc Biron. Ils achèteront moins de voitures ou des voitures avec moins d’options. L’impact sera indirect. Mais cela ne nous empêche pas d’avancer.”

De même, la fébrilité des marchés n’est pas un problème immédiat. “Bien sûr, la valeur de l’action est importante et personne n’aime voir qu’elle a baissé de 30% en un an, mais cela ne nous impacte pas au jour le jour. À long terme, nos fondamentaux sont positifs, il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Restons calmes dans la tempête.”

“Une bonne stratégie en Chine”

Melexis ne reste pas les bras croisés vis-à-vis de ces évolutions. “Si l’on revient en arrière, nous nous sommes, dans un premier temps, adaptés à l’électrification des voitures, raconte-t-il. Pour nous, c’est une bonne chose parce qu’il y a davantage d’électronique dans les voitures électriques. Ce sont des véhicules avec davantage d’options de confort et de sécurité. Dans un second temps, nous nous sommes adaptés à ce changement de centre de gravité géographique vers la Chine où nous avons développé une stratégie pour y avoir du succès.”

La volonté de développer les équipes présentes sur place est évidente pour les contacts clients ou l’appui technique des ingénieurs qui conseillent les acheteurs. Actuellement, une cinquantaine de personnes y sont actives. “Soixante-huit pour cent de notre activité se fait déjà en Asie, dont près de 30% en Chine, précise Marc Biron. Ce continent est déjà très important pour nous. La partie chinoise est en croissance et se porte mieux que l’Europe ou les États-Unis.”

“Soixante-huit pour cent de notre activité se fait déjà en Asie, dont près de 30% en Chine. Ce continent est déjà très important pour nous.”

Mais la modification de la stratégie va bien au-delà de cela. “Les Chinois attendent aussi que notre chaîne d’approvisionnement se situe en Chine, prolonge le CEO. Jusqu’à présent, ce n’était pas le cas. Nous avons décidé d’ajouter un hub logistique sur place l’année passée. Depuis le début 2025, une partie de la chaîne d’approvisionnement se situe là-bas également, notamment le packaging et le test de certains produits. C’est une première étape. La deuxième consistera à procéder la partie silicium de certains produits là-bas également.” Il insiste sur le fait que cela concerne “certains” produits, comme pour ne pas jeter le bébé européen avec l’eau du bain.

Vouloir faire du business et réussir

C’est pourtant dire combien l’activité de Melexis pivote, progressivement. Son dirigeant souligne que cette expérience chinoise est largement positive. “Cela se passe sans anicroche. Cela demande évidemment des efforts, il faut qualifier tous les produits, auditer les sous-traitants, etc. Mais tout est fluide.”
Marc Biron se rend personnellement trois fois par an dans les bureaux de l’entreprise à Shanghai et à Shenzhen. “J’aime bien la culture sur place, sourit-il. Quand on revient de là, on est plein d’énergie. Ce sont des gens qui veulent faire du business et qui veulent réussir. C’est très excitant.”

L’Europe reste-t-elle un lieu stratégique ? La volonté affirmée par la Commission européenne de réindustrialiser et de réintroduire la production de matières critiques sur le continent est-elle vitale ? “Pour Melexis, l’aspect ‘terres rares’ n’a pas un impact direct, mais là encore indirect, rétorque le CEO. Dans les voitures électriques, des terres rares sont indispensables afin que le moteur ou la batterie fonctionnent. Pour nos capteurs magnétiques, un aimant est indispensable et lui aussi est issu des terres rares. Nos clients en ont besoin. Le prix de l’aimant est donc crucial. L’Europe a raison de tenter d’assurer son indépendance dans ce domaine.”

Pas question de quitter l’Europe, pour l’instant. “Nous devons garder toutes les portes ouvertes et mettre les pieds dans la bonne porte”, résume-t-il joliment.

Capteurs et diversification

L’autre diversification importante pour Melexis concerne les domaines d’activités dans lesquels les semi-conducteurs sont employés. Avec, en ligne de mire, ces armées de robots qui pourraient déferler sur le monde – ce qui n’est plus de la science-fiction. “En ce début d’année, 12% de nos revenus sont venus des applications non-automobiles, souligne le CEO. Dans la même philosophie consistant à laisser les portes ouvertes, nous investissons beaucoup de temps et de personnes pour créer des applications en dehors de l’automobile.”

Quatre domaines stratégiques ont été identifiés. “Tout d’abord, oui, il y a la robotique, explique-t-il. Dans un robot, il y a énormément de capteurs, davantage même que dans une voiture. Toutes les articulations en ont besoin. C’est un gros potentiel pour une entreprise comme la nôtre.” Des produits sont développés et des contacts noués avec les leaders du marché. “C’est encore un marché de niche, prolonge Marc Biron. Si l’on se projette en arrière dans l’automobile, il y a 25 ans, l’électronique était réduite. Tout le monde était content d’avoir des vitres électriques et un air conditionné avec une seule bouche d’aération. Quand j’étais jeune, j’étais fier d’avoir acheté avec mon épouse une voiture proposant une température différente pour le conducteur et le passager. C’était une option très chère. Il y avait deux bouches d’aération. Maintenant, dans les voitures haut de gamme, il y en a 24. Cette niche a explosé. Ce n’est pas du tout impossible qu’une telle explosion survienne pour les robots.”

“Les robots, un marché qui va exploser”

Une entreprise mondiale comme Amazon prépare déjà une armée de robots pour ses entrepôts. “Il y en a aussi dans certaines industries, mais cela reste assez limité. Mais d’ici une vingtaine d’années, ce pourrait être massif. C’est important de se positionner dès le début pour profiter de l’explosion de cette niche. C’est préparer l’avenir.”

La robotique n’est pas le seul vecteur de développement envisagé par Melexis. “Il y a également le volet santé digitale. Nous avons déjà de beaux succès avec des capteurs de température, dans les Galaxy Watch chez Samsung notamment. C’est beaucoup de volume et de visibilité. Nous accélérons le mouvement pour multiplier les exemples de ce type-là.”

Melexis est le quatrième approvisionneur de capteurs dans le secteur automobile, ce qui en fait un acteur important. © Melexis

“Pas de machines à tuer”

La “mobilité alternative” est encore dans le viseur du dirigeant de l’entreprise. “Les vélos électriques, précise-t-il, mais aussi les drones. Les sources de diversification sont nombreuses et nous comptons bien les exploiter toutes.”

Pas question, pour autant, de faire n’importe quoi. Les investissements massifs en matière de défense pourraient représenter une opportunité d’envergure pour Melexis. “C’est une discussion que nous avons au niveau du board pour définir notre position, reconnaît Marc Biron. C’est un sujet délicat. Nous ne voulons pas être associés à des ‘machines à tuer’. Ce n’est pas du tout dans nos valeurs. En revanche, contribuer à des équipements de défense pour l’Europe, cela peut être envisagé. Mais aucune décision n’a encore été prise.”

Pas de cynisme dans le chef de Melexis, mais une adaptation au cœur de cette époque en révolution accélérée. “Il y a trois ans, nous n’aurions pas eu cette discussion au sujet de la défense”, constate son CEO. Elle est devenue inévitable.

Pour la Belgique, une activité comme celle de Melexis mérite d’être choyée, tant elle est stratégique. Les sirènes du Nouveau Monde sont pourtant fortes. Comme une métaphore du défi auquel nous faisons face.

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