L’ancienne CEO de l’incubateur WSL, Agnès Flémal, prend la tête du Groupement des industries wallonnes aéronautiques et spatiales (Giwas). Une reconversion rapide, parce que l’heure est décisive pour les investissements dans ces domaines cruciaux pour la Wallonie.
Pendant plus de 20 ans, Agnès Flémal a porté à bout de bras la dynamique de WSL, l’incubateur des start-up technologiques en Wallonie. L’outil a changé de nom récemment, pour devenir Ignity, et de CEO, avec l’arrivée de David Dalla Vecchia. Le temps de prendre du repos était venu pour cette fidèle accompagnatrice de la dynamique économique et de l’innovation au sud du pays… C’était mal connaître cette personnalité forte.
Voilà Agnès Flémal à la tête du Groupement des industries wallonnes aéronautiques et spatiales (Giwas), la fédération du secteur créée à l’initiative d’Yves Delatte, CEO de Sonaca. L’ensemble représente plus de 11.000 emplois directs, pour un chiffre d’affaires cumulé de 3,5 milliards d’euros. Et cette forte tête doit contribuer à fédérer tous les acteurs.
“Une page blanche à écrire”
“Tout s’est déroulé très vite, confie Agnès Flémal. J’ai été contactée en septembre avec cette proposition. J’ai commencé par refuser parce que j’avais l’intention, initialement, de prendre un peu de recul après la fin de mon mandat chez WSL. Mais en me titillant sur un tel défi, avec une page blanche à écrire et des choses à construire, on a forcément touché ma corde sensible.”
Il s’agit pour elle de donner vie à ce Groupement appelé à devenir un acteur important pour des secteurs ayant le vent en poupe. Le Giwas est né du rapprochement entre l’association régionale EWA (Entreprises wallonnes de l’aéronautique) et son alter ego dans le spatial, Wallonie Espace. “Il s’agit bien d’une fédération, insiste-t-elle. Cela signifie mener trois tâches importantes : pratiquer le lobbying, construire un réseau et développer une force de propositions.”
L’intention consiste, aussi, à soutenir un savoir-faire wallon et un écosystème précieux pour la Région. “Le ministre wallon de l’Économie, Pierre-Yves Jeholet, a annoncé le pivotement des pôles de l’innovation vers quatre clusters, rappelle Agnès Flémal. Il est évident que l’aéronautique et la défense sont incontournables. C’est le moment de parler d’une seule voix au niveau régional, national et international. Yves Delatte, qui est à l’initiative du projet est un visionnaire, mais il ne peut pas porter la double casquette en permanence.”
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“Important que les PME aient voix au chapitre”
Pas moins de 65 acteurs vont être fédérés, sans oublier des start-up appelées à jouer un rôle de plus en plus important. “Je suis moi-même hyper-sensible aux PME, dit-elle. C’est important qu’elles aient voix au chapitre. Les petites entreprises technologiques méritent d’être soutenues davantage encore. Le problème, souvent, c’est qu’elles n’ont pas le temps de participer à une telle mission fédérative. Dans mon nouveau rôle, je pourrai jouer l’intermédiaire à leur service. Si l’on ne fonce pas maintenant, on ne le fera jamais…”
Le contexte géopolitique incertain dope le secteur de la défense et les investissements s’annoncent importants. Naturellement, ce secteur devrait trouver sa place au sein du Giwas, même si cela n’est pas encore formellement décidé. C’est un atout clé pour l’avenir. Lorsqu’elle dirigeait WSL, Agnès Flémal avait eu l’occasion de plaider pour l’innovation wallonne lors d’un débat, organisé par Trends-Tendances, avec le ministre de la Défense, Theo Francken (N-VA). “C’est un ministre qui comprend où se trouvent les compétences et ne joue pas un jeu dogmatique pour construire à tout prix des alternatives en Flandre”, explique-t-elle. Bref, un partenaire à choyer.
“Nous sommes inquiets”
Le défi est d’autant plus important que bien des décisions se prennent dès à présent et que… les budgets se construisent dans la douleur. Si l’ancienne dirigeante de WSL a dû prendre la main rapidement, c’est aussi parce que la joute budgétaire fédérale – pour laquelle le Premier ministre, Bart De Wever, a reçu un délai jusqu’à Noël – pourrait s’avérer préjudiciable pour le secteur spatial. Il est question d’une potentielle réduction importante des moyens.
“D’après ce que l’on sait, cela se passe très mal, nous sommes très inquiets, constate la nouvelle directrice du Giwas. Il y a un risque réel que la politique spatiale soit le parent pauvre de la sortie budgétaire. Et que les moyens pour la Wallonie se réduisent à peau de chagrin, en baisse de 35%. Ce serait dramatique. J’arrive à un moment décisif pour nous.” Il serait notamment impossible, dans un tel cas de figure, de lancer de nouveaux programmes spatiaux avec l’Agence spatiale européenne.
Un budget en danger ?
La Belgique risque de réduire de 50 % sa contribution à l’Agence spatiale européenne (ESA), passant d’environ 1,2 milliard € sur trois ans à 600 millions € seulement
Le secteur spatial belge menacé…. Une telle coupe ferait chuter le pays du 5e au 7e rang des contributeurs, alors même que plusieurs États — dont l’Allemagne — annoncent des hausses budgétaires.
Le secteur spatial belge, qui génère plus de 2.000 emplois hautement qualifiés, craint une perte massive de contrats et d’innovation.
Dans un contexte de compétition mondiale où les États-Unis concentrent 60 % du financement public spatial, la Chine 15 % et l’Europe seulement 10 %, cette baisse placerait la Belgique « à contre-courant » d’un marché en pleine expansion.
L’enjeu du Giwas est donc plus immédiat que la “simple” structuration d’une fédération. “L’intention consiste à s’inspirer du Gifas, le Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales, explique Agnès Flémal. Plusieurs groupes de travail vont se mettre en place pour formuler des propositions et les défendre au niveau politique. Il y a de vrais défis, tant au niveau wallon que fédéral.”
Six groupes seront centrés sur l’aéronautique, l’espace, les PME, la recherche, la formation et les aéroports. Le siège de la fédération va être installé au Business Village Ecolys, à Suarlée (Namur), carrefour de nombreuses rencontres entrepreneuriales en bordure de la capitale wallonne.
Créer du lien
Jetée dans le bain sans préavis, Agnès Flémal insiste sur la nécessité de “créer du lien entre tout le monde et passer au-dessus des ASBL diverses”. “Yves Delatte a réussi à forcer les différentes structures à collaborer, applaudit Agnès Flémal. Je dois m’employer, désormais, à ce que cela fonctionne concrètement, et c’est enthousiasmant. C’est maintenant ou jamais !”
“Yves Delatte a réussi à forcer les différentes structures à collaborer. Je dois m’employer, désormais, à ce que cela fonctionne concrètement. C’est maintenant ou jamais !” – Agnès Flémal (Giwas)
Lors du grand événement de lancement, l’astronaute français Thomas Pesquet était venu faire rêver les jeunes et donner la mesure de l’ampleur de l’aventure aéronautique et spatiale. “On a besoin de tous les métiers, disait-il. On parle des pilotes, mais il faut aussi des techniciens, des ingénieurs. Chez Airbus, ils ne trouvent plus de ferronniers. On a vraiment besoin de tout le monde.”
“Le trafic aérien devrait doubler d’ici 20 ans. Et nous sommes en pleine révolution, soulignait à cette occasion Marwan Lahoud, qui fut directeur stratégie chez Airbus durant 15 ans. Il faut décarboner, trouver des solutions pour moins polluer, mais aussi maintenir ce que j’appelle l’amélioration continue. C’est-à-dire, au quotidien, améliorer les moteurs pour qu’ils consomment moins, optimiser les systèmes de pressurisation pour repenser les routes de vols et donc, là aussi, réduire le temps passé en l’air.” C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la récente fusion entre Sonaca et l’espagnole Aciturri. C’est désormais la vocation de cette nouvelle fédération : accompagner une évolution majeure, vitale pour l’économie wallonne.