Paul Vacca
L’arbre Taylor Swift cache la forêt du streaming
L’immense majorité des artistes se trouve confrontée à une nouvelle donne du fait de la montée des plateformes: l’atomisation de l’audience.
“The Playlist”, série actuellementvisible sur Netflix, raconte la genèse de la plateforme de streaming musicale Spotify. Son principe narratif consiste à développer différents points de vue, un par épisode. Au départ, on suit le créateur Daniel Ek et comment en 2006 sa toute jeune start-up part à la conquête des maisons de disques qui prenaient alors de plein fouet les assauts des pirates du peer-to-peer, coulant à pic comme le Titanic. Mais la série qui débutait sur une note guillerette façon Silicon Valley (la série de HBO) se termine en dystopie. Le dernier épisode, plus sombre, propose en effet en légère anticipation le point de vue d’une chanteuse: en 2024, la plateforme et les majors ont gagné, et les artistes sont les dindons de la farce.
Il est vrai que dans la foulée de Spotify, les plateformes ont prospéré. Et en faisant revenir les pirates dans les chemins de la légalité, elles ont sauvé les majors, leur assurant ce dont elles-mêmes n’avaient jamais osé rêver: des revenus réguliers toujours plus substantiels émanant du demi-milliard d’abonnés mondiaux. Les artistes sont-ils vraiment les dindons de la farce? A priori pas tous. Car on a pu voir que les “vieux artistes” du back catalogue (comme Bob Dylan ou Fleetwood Mac) ont également fait fortune, bénéficiant de centaines de millions de dollars de la part de fonds d’investissement pour l’exploitation de leurs titres. De bien jolis golden parachutes…
En revanche, l’immense majorité des artistes se trouve confrontée à une nouvelle donne du fait de la montée des plateformes: l’atomisation de l’audience. Avec plus de 60.000 titres ajoutés par jour sur les plateformes, il devient toujours plus difficile pour un artiste d’exister. Le streaming et son flux roulant de nouveautés plonge chaque artiste dans un bain de titres toujours plus grand.
Une dilution qui n’épargne pas, semble-t-il, les grandes pointures du secteur. A l’ère du streaming, elles aussi voient malgré tout leurs ventes fondre par rapport à l’époque du vinyle ou du CD où l’on achetait des albums individuels. Harry Styles, popstar s’il en est, n’a vendu “que” 521.000 albums la première semaine de sa sortie. Et de fait, on note une disparition des méga-hits planétaires, comme les époques précédentes en ont produit.
Cet effet de “longue traîne” – à savoir d’atomisation des ventes sur un nombre toujours plus élevé d’artistes – représente paradoxalement un effet d’aubaine pour les maisons de disques. Hartwig Masuch, le patron de BMG, a même pu se vanter que les revenus de sa major avaient progressé de 25% lors des six premiers mois de 2022 sans même avoir produit un seul grand hit. Cela les a libérés de leur dépendance aux méga-stars (contrairement au cinéma dont la survie globale dépend d’une poignée de blockbusters). Et de fait, on assiste à un effet de ciseaux toujours plus marqué: concentration en haut de la pyramide des profits chez les majors et les plateformes et atomisation des gains à la base chez les artistes.
Chez tous les artistes? Peut-être pas. Car il existe une exception à cette dilution généralisée, et elle a pour nom Taylor Swift. A contre-courant, l’artiste pop-country-folk-rock-alternative-mainstream aligne des chiffres d’une autre ère: en 24 heures seulement, Midnights, son dernier album, devient la plus grosse vente de l’année et atteint en une semaine 1,5 million de ventes (record qu’elle détenait elle-même), trustant pour la première fois de l’histoire les 10 premières places du top 10 du Billboard… Taylor Swift ou l’arbre qui cache la forêt du streaming. La seule explication plausible? L’interprète de Anti-Hero est une super-héroïne.
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