Le géant américain des frites J.R. Simplot rachète les activités du mastodonte de Flandre Occidentale Jan Clarebout. Mais qu’est-ce qui se cache derrière cette transaction ? Les bilans, tout comme la communication de l’entreprise, restent peu transparents.
L’entreprise Clarebout Potatoes, basée en Flandre occidentale et spécialisée dans les frites surgelées, est rachetée par l’entreprise agroalimentaire américaine J.R. Simplot. Les deux entreprises l’ont annoncé dans un communiqué de presse, sans divulguer de détails financiers. Dans la presse, le CEO Jan Clarebout déclare : “Nous aurions pu continuer chacun de notre côté, mais les réalités économiques du monde et la perspicacité rationnelle nous ont réunis“. Cette collaboration prévoit « le maintien et même le renforcement » des effectifs et des usines de Clarebout en Europe. Le groupe fusionné compte désormais 23 usines, dont cinq appartenant à Clarebout.
La plus grande usine de production de frites surgelées en Europe
La première de ces cinq usines est celle de Nieuwkerke, près de Heuvelland, le berceau de l’entreprise familiale spécialisée dans la pomme de terre. C’est là que tout a commencé fin 1987, avec Raf, le père (aujourd’hui âgé de 91 ans), et son fils Jan (65 ans), qui ont lancé l’activité. La deuxième usine a suivi à Warneton dans le Hainaut, aujourd’hui la plus grande usine de production de frites surgelées en Europe. Clarebout possède une troisième usine à Dunkerque. Sa construction a débuté en août 2022, et la production a commencé dès novembre 2023. Elle traite 2 200 tonnes de pommes de terre par jour.
Rachat de Mydibel
Deux usines situées à Mouscron ont été acquises via la reprise de l’ancienne société Mydibel. Fin décembre 2022, Clarebout a conclu un accord avec les anciens propriétaires, les frères Bruno et Carlo Mylle. Le 20 juin 2023, cette acquisition a été approuvée par les autorités de la concurrence.
Mydibel a fait face à de grosses difficultés à cause de la pandémie, puis de la crise énergétique qui a suivi à partir de l’été 2022. Dans une interview accordée à Trends à la mi-septembre 2022, l’ancien CEO Marc Van Herreweghe soulignait la forte dépendance du groupe à l’horeca et à la restauration collective — des secteurs quasiment à l’arrêt pendant la pandémie. Seule une dixième du chiffre d’affaires provenait de la vente en magasin.
Affaibli par la pandémie
Le dernier bilan consolidé de la société alors en consolidation, B.C. Mylle, pour l’exercice 2022, affichait un chiffre d’affaires de 413 millions d’euros. Mais l’entreprise accusait des pertes depuis 2020, avec un déficit reporté de 46 millions d’euros. Les fonds propres étaient par ailleurs négatifs.
« L’organe de gestion a examiné plusieurs pistes pour l’avenir », indiquait le rapport annuel du conseil d’administration. Finalement, elle a opté pour un bailleur de fonds externe. Ainsi, le Groupe Mydibel bénéficiera d’un coup de pouce (financier)”.
Les frères et anciens propriétaires Bruno et Carlo Mylle ont disparu du paysage. Marc Van Herreweghe reste aujourd’hui administrateur chez Mydibel, mais c’est Jan Clarebout qui tient désormais les rênes. Depuis début septembre 2023, la production ne se fait plus que pour le compte de Clarebout Potatoes. Le chiffre d’affaires de la société anonyme Mydibel a chuté drastiquement, passant de 356 millions d’euros en 2023 à seulement 95 millions pour l’exercice 2024.
Recherche de transparence
Comment se fait le traitement interne des chiffres dans l’empire de Jan Clarebout ? Les bilans déposés à la Banque nationale offrent peu de visibilité.
La société anonyme Clarebout Potatoes a déposé son dernier bilan pour l’exercice 2022. Avec un chiffre d’affaires de 1,1 milliard d’euros, 2022 a été une année particulièrement bonne. Le résultat opérationnel s’élevait à près de 167 millions d’euros, le bénéfice net à 126 millions d’euros.
Pourtant, Clarebout Potatoes n’a pas versé de dividendes. Le rapport annuel du conseil d’administration n’était pas non plus enthousiaste. Il mettait en garde contre la hausse des prix de l’énergie et les fortes fluctuations du prix journalier des pommes de terre.
Le fait que le consommateur fasse attention à ses dépenses était cependant une bonne chose. « Le volume de produit fini a augmenté parce que le consommateur s’est davantage tourné vers les marques de distributeur en raison de l’inflation et de la crise énergétique. »
Inventeur des frites surgelées
J.R. Simplot a inventé le concept de frites surgelées. L’entreprise est ainsi devenue, au siècle dernier, le fournisseur exclusif de McDonald’s. Dans les années 1980, la chaîne de restauration rapide représentait 40 % du chiffre d’affaires. La famille est considérée comme la plus riche de l’État de l’Idaho.
La société mère consolidante des activités liées aux pommes de terre pour les cinq usines est la société anonyme Clarebout. Cependant, elle a déposé son dernier bilan consolidé pour l’exercice 2018. Les administrateurs de cette société pivot sont Jan Clarebout, son CFO Gert Masselus et le directeur des achats de pommes de terre Yves Capoen.
Selon le bilan simple de l’exercice 2024, le chiffre d’affaires s’élevait à 795 millions d’euros, avec un résultat opérationnel de 9 millions d’euros. Le rapport annuel du conseil d’administration reste avant tout prudent.
Des prix des pommes de terre très volatils
La hausse des prix de l’énergie a entraîné en Europe des coûts nettement plus élevés à toutes les étapes de la chaîne allant de la pomme de terre à la frite. Les prix des pommes de terre ont fortement augmenté ces dernières années. En 2024, les prix contractuels négociés avec les producteurs ont encore augmenté de 5,2 %, après une hausse déjà de 36 % en 2023.
De plus, les prix quotidiens des pommes de terre sont restés très volatils. En avril 2024, le prix était de 400 euros la tonne, en juillet de 600 euros la tonne, pour redescendre à 125 euros la tonne en août.
Vers un géant mondial?
Le manque de transparence est typique de plusieurs grands acteurs du secteur. L’entreprise américaine Lamb Weston Holdings fait toutefois exception, car elle est cotée en Bourse. Le géant de la frite publiera ses résultats annuels pour l’exercice 2025 (de fin mai 2024 à fin mai 2025) la semaine prochaine, le 23 juillet. Au cours des neuf premiers mois de l’exercice, le chiffre d’affaires s’élevait à 4,8 milliards de dollars, pour un bénéfice opérationnel de 479 millions de dollars.
Le numéro un mondial est McCain Foods. Là aussi, il faut deviner les chiffres exacts de ce groupe familial canadien. Selon son site web, le leader mondial affiche un chiffre d’affaires de 16 milliards de dollars canadiens (environ 10 milliards d’euros). Une frite sur quatre dans le monde sort des chaînes de production des 49 usines de McCain. Deux usines belges jouent un rôle important dans cette production, via la société Lutosa.
Des chiffres flous
Chez J.R. Simplot, l’acheteur de Clarebout, les chiffres restent également flous. Ce conglomérat agricole privé, très discret, basé à Boise — la capitale de l’État américain de l’Idaho, terre de la pomme de terre — est actif principalement dans le secteur de la pomme de terre, mais aussi dans les engrais et l’élevage de chevaux, entre autres.
J.R. Simplot affiche une histoire bien plus ancienne que Clarebout. L’entreprise, qui emploie plus de 15.000 personnes, a été fondée en 1929. Elle est aujourd’hui active aux États-Unis, au Mexique, en Australie et en Asie. Son fondateur, John Richard Simplot (1909-2008), a été le pionnier des frites surgelées. Grâce à cette innovation, l’entreprise est devenue, au siècle dernier, le fournisseur exclusif de McDonald’s. Dans les années 1980, la chaîne de fast-food représentait à elle seule 40 % du chiffre d’affaires de Simplot. La famille Simplot est considérée comme la plus riche de l’État de l’Idaho.
Le magazine économique Forbes estime le chiffre d’affaires de J.R. Simplot à 11 milliards de dollars en 2024 (l’entreprise elle-même ne publie pas ses chiffres). Il s’agit toutefois du chiffre d’affaires de l’ensemble du conglomérat, et non uniquement de ses activités liées à la pomme de terre. Cette acquisition de Clarebout donne-t-elle naissance au plus grand géant mondial de la frite, devant McCain Foods ? Tant que Clarebout ne publie pas de comptes consolidés, la réponse reste incertaine.
